Pourquoi réenchanter le monde ?

A vrai dire nul ne réenchante le monde, il s’agit seulement d’une question de regard. L’œil utilitariste rend la nature utile, la vision poétique la rend belle et lumineuse. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’améliorer notre savoir technique, il nous faut aussi découvrir un ordre sensé du monde et notre place dans celui-ci. Tel était déjà le programme de Descartes. Un projet dont seul le premier pas est en voie d’accomplissement, et avec quel brio ! Il faudrait aujourd’hui compléter cet immense succès qui nous conduit droit vers des déséquilibres psychologiques et planétaires mortels par un « Traité de la Mythode », une jolie expression que nous empruntons à Gilbert Durand. C’est-à-dire explorer le monde imaginal, cette réalité invisible qui est comme la racine céleste des choses visibles. En ces espaces inconnus fleurissent les mythes ; les légendes ; les sources d’inspirations des créateurs, des inventeurs et des mystiques ; les esprits des plantes ; les ondines et l’âme du Monde. Cet univers, que toutes les cultures, à l’exception notable de la notre, ont exploré à le pouvoir, pour celui qui le contacte, de susciter de la joie et de le transformer profondément. C’est à cette exploration que nous souhaitons consacrer ce site, sur la base de nos travaux en symbolisme, mais aussi en consacrant des espaces aux différentes initiatives qui « réenchantent le monde », que ce soit dans les arts, la politique, la littérature, l’économie, le développement intérieur ou la science.

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Qu’est-ce qu’un symbole ? 

C’est un langage. Grâce à lui nos rêves nous parlent, la nature s’exprime, l’univers murmure. Le lecture symbolique est un formidable moyen pour entrer en contact avec les autres mondes, avec ces "énergies signifiantes" qui organisent notre vie quotidienne au moins autant que les forces mécaniques. La racine grecque sumbolon signifie « rassembler » et désigne un « objet de reconnaissance ». Le symbole est un pont entre le visible et l’invisible. Une fleur, une situation, un événement, un style de vêtement, une couleur, un mot, une lettre, un son, une parole, un geste, un rêve… tout est symbole pour celui qui sait voir ce qui transparaît derrière ce qui paraît. Pour l’esprit mécanique ces choses précédemment citées sont logiques et de l’ordre du démontrable. Pour le symboliste ces même choses existent afin de montrer quelque chose, car l’univers n’est pas seulement une immense horloge, c’est aussi un éternel dialogue où s’échangent en permanence des flux d’informations palpitantes.

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L’entreprise icarienne

L'entreprise, se sont avant tout des individus. Or l'individu est à la fois un être rationnel et un être symbolique. Quelque soient ses objectifs les deux voies sont toujours indissociables et intimement mélangées. Si je désire une voiture c'est à la fois pour des raisons rationnelles (me déplacer) et symboliques : la voiture est aussi l'expression de ma propre valeur, de ma réussite, une manière d'afficher l'image ma personnalité. La voiture doit donc être à la fois efficace, rapide, économique et esthétique, puissante, confortable.

Nos sociétés occidentales ont développé depuis trois siècles des outils physico-mathématiques extrêmement performant pour maîtriser et appliquer les lois du monde physique régi par la rationalité. D'où notre extraordinaire savoir-faire en termes d'infrastructures, de ponts, de téléphones, de voitures, de cartes à puces, de grattes ciel et autres merveilles technologiques.

Il  nous manque encore la connaissance des lois du monde symbolique pour prendre en charge et déployer l'aspect esthétique, l'aspiration à la beauté et au sens, de la nature humaine. Une entreprise qui saurait répondre à ces aspirations, loin d'être défavorisée dans la course à la compétitivité, serait immédiatement reconnue comme nouvelle et, répondant aux besoins du plus grand nombre, fructifierait en dehors du système actuel. Un système devenu mécanique et robotisé à force de rationalité.

Nous vivons dans un univers économique extrêmement efficace qui a éradiqué les famines et les épidémies, qui donne à certains beaucoup plus que leurs besoins. Mais nul ne sait où va ce système, beaucoup ont l'impression d'être l'otage d'une machine soudain emballée qui roule pour elle seule.

Aveuglément. Elle distribue richesse et facilités à tous ceux qui ont su ou pu se placer au bon endroit au bon moment comme le suggère la spéculation boursière. A tel point que la question n'est plus de savoir s'il faut ou non aller vers la mondialisation de l'économie : c'est un fait qui est en marche, que nous le voulions ou non, imposé par l'histoire et ses aléas.

La question serait plutôt de savoir de quelle mondialisation nous voulons, et quel sens nous voulons lui donner. Il faudra peut-être un jour inverser les priorités : le sens devrait gouverner l'économie. Aujourd'hui c'est la richesse économique, individuelle et collective, qui donne sens à nos vies et à nos efforts.

L'entreprise icarienne, c'est une entreprise qui se construit des ailes pour échapper au labyrinthe infernal des chemins de traverse ne conduisant nulle part, pour s'évader de ces itinéraires touffus, semblables aux circuits financiers, semblables aux parcours des marchandises sur le globe, semblables à la multiplicité des "idées" et des "conseils" qui, sous couvert de nouveauté, promettent des ersatz d'autoroute pour sortir de la complexité.

L'entreprise icarienne, c'est aussi une entreprise qui ne se brûle pas les ailes au soleil de midi, car elle connaît son rôle et son sens au sein du plus grand tout où elle produit et dont elle dépend. Evitant ainsi de se croire à l'image Dieu (ou de la vérité, ou de la pensée dominante, ou le héraut d'un système idéologique) elle évite la chute. Une banque prête et reçoit des capitaux : pour qui ? pour faire quoi ? quelle image de la société défend-t-elle inconsciemment (ou non) ? Bref! avant de se servir, à quoi sert-elle ? La NEF est un bon exemple de banque qui annonce aux épargnant à quoi sert leur argent. Un producteur d'électricité doit, certes, fournir la population en énergie. Est-ce suffisant ? Que signifie "alimenter le corps social en énergie ?". L'industrie nucléaire, par exemple, ne devrait-elle pas se pencher sur la teneur symbolique du mythe de Faust pour comprendre son identité, les peurs irrationnelles qu'elle soulève, les réels dangers qu'elle fait encourir à l'humanité et enfin les conditions pour ne pas être broyée par son aventure faustienne ? Le développement de la métaphore du fonctionnement du corps humain avec le cœur (biologique / nucléaire) qui pulse la force vitale (sanguine / électrique) vers toutes les cellules du corps (physique / social) n'enrichirait-elle pas AREVA en lui fournissant de nouvelles valeurs sur la manière de concevoir son travail ?

L'entreprise icarienne c'est une entreprise qui connaît et honore son identité et sa mission. celles-ci conditionnant et soutenant sa notoriété et ses productions. Un marchand de salades qui sortirait de la "logique financière"- plus expressément de la folle spirale concurrentielle qui anime notre société - pourrait-il encore vendre des produits emplis de pesticides, d'engrais chimiques, d'insecticides et autres poisons violents ? Combien de paysans ont leur jardin "bio" pour leur consommation personnelle à côté de leurs champs "industriels" dont les produits sont réservés à la vente ?

Une entreprise icarienne, contrairement à une entreprise libérale, ne vit pas sur un seul niveau de réalité car elle comprend que, créée par et pour des hommes, elle se doit de résonner avec la nature humaine dans sa globalité, une nature physique mais aussi émotionnelle, mentale, spirituelle....

Une entreprise icarienne, contrairement à une entreprise libérale, ne s'échine pas à parcourir le plus rapidement possible les chemins complexes de la concurrence pour monter sur la plus haute marche du podium du profit. Ayant réalisé sa note, étant fermement en accord - au sens musical - avec l'idée directrice qui l'anime, elle comprend l'importance de la coopération pour accomplir ensemble une mondialisation non concurrentielle.

Une mondialisation qui serait comme une symphonie où chaque entreprise aurait sa partition à jouer, mais où aucune ne répéterait indéfiniment le même morceau en laissant croire au public hypnotisé qu'il s'agit là du véritable chant de la Terre! Nous parlons par images, mais comment faire autrement ? La vision précède toujours la réalisation. Dire ou tenter de dire d'une manière non métaphorique ce que devrait être la mondialisation serait une gageure car, ici comme ailleurs, l'avenir se construit par épigénèse.

La forme de la civilisation mondiale dans cinquante ans est à peu près imprévisible. Mais ce qui est prévisible, ce qui est laissé à notre volonté, c'est le filum de sens sur lequel l'humanité va s'accorder - toujours au sens musical ! - pour réaliser l'unité planétaire. Si ce mythe est darwinien alors les cinquante prochaines années seront marquées par la victoire des tenants de la lutte pour la vie, de la concurrence, du non sens généralisé érigé en justification d'un pouvoir sans limites des uns sur les autres.

Peu importe à vrai dire de qui sur qui. Si le mythe est icarien et orphique, s'il inclue la multidimensionnelle de l'être humain, s'il reconnaît la complémentarité des savoirs technologique et symboliques - de la science et du sens -, alors les cinquante prochaines années seront telles. Tout cela ne dépend pas de notre savoir-faire, de nos prouesses technologiques, d'une invention nouvelle, mais de quelque chose de beaucoup plus simple à la portée de chacun : du regard que nous portons sur le réel.

Le filet d’Héphaïstos et Pygmalion, considérations astrologiques

Dans un précédent article nous avons développé le sens symbolique de deux structures mythologiques : Pygmalion et le filet d’Héphaïstos. Voici à présent leurs contreparties astrologiques afin de monter à quel point les mythes sont vivants à travers nos parcours d’existences.

Le filet d’Héphaïstos

Les indices astrologiques de ce mythe sont assez simples : une conjonction Vénus/Mars dominante, en aspect avec les autres acteurs du drame : Mercure, Neptune et Soleil.

Dominique Strauss-Khan, 25 avril 1949 à 11h10, Neuilly sur Seine (France)[1]

Le thème de D.S.K. présente une illustration parfaite des personnages mythologiques mis en jeu. La conjonction Vénus/Mars signe la passion nocturne des amants, mise soudain dans la lumière publique par les feux médiatiques par un Soleil (Hélios) qui les éclaire tous les deux en maison X. Cette triple conjonction appartient à la structure du « moi » puisque le soleil est le maître de l’ascendant Lion. Vénus et Mars, conjoints au maître de l’AS, deviennent dominants dans le thème natal. Cet amas planétaire à donc toutes les chances de passer du plan psychologique vers celui des événements. Quant à Mercure/Hermès, il est en Taureau, conjoint à Vénus, et complète ainsi la scène mythologique.

L’épisode médiatique de l’été 2011 fut donc la mise en scène d’une structure archétypale – d’où son pouvoir de fascination - avec Nafissatou Diallo dans le rôle de Vénus, D.S.K. dans celui de Mars, les médias ont endossé celui d’Alectryon et les avocats de Mercure. Quand à « Neptune », il est figuré par une nouvelle Lune progressée en maison XII au moment des faits. Le héros du feuilleton mythologique de l’été du encore verser une amende pour se libérer de sa prison-filet et traverser le sentiment de honte en reconnaissant publiquement sa « faute ».

Et puis, ultime ironie de l’histoire, le coq (Alectryon) qui annonce le nouveau soleil est le symbole de l’état Français. Or celui qui était promis aux plus hautes fonctions publiques fut victime d’un dysfonctionnement du Galinacée. En d’autres termes cet épisode devrait, plus amplement, nous interroger sur l’état de l’Etat français : somme nous occupés à fuir notre propre lumière, c’est-à-dire le génie de la nation, où à annoncer le futur de la civilisation comme le firent en leur temps les révolutionnaires de 1789 ?

Bien sûr, les transits au moment des faits ont extériorisé le mythe sous une forme événementielle.  Le 14 mai 2011 (inculpation) Uranus passe sur la Lune, réactivant son opposition à Neptune et la confusion entre la personne et la déesse, Jupiter céleste est en conjonction à Mars natal, il amplifie les désirs… et une nouvelle progressée se forme en maison XII, sur le cinquième degré du Cancer, dont le Symbole Sabian est étonnamment parlant : « une automobile écrasée par un train gît près d’un passage à niveau ». Rudhyar propose l’interprétation suivante : « la probabilité de désastre lorsqu’un désir irrationnel vient contrarier le cours impersonnel et presque inéluctable des usages collectifs »[2].

Sylvio Berlusconi, 29 septembre 1936, 5h40, Milan (Italie).

Ses frasques passionnent et désespèrent l’Italie. Le thème présente un sextile entre Vénus et Mars qui encadre les acteurs du mythe du « filet magique » : Vénus-Aphrodite, Mercure-Hermès, Soleil-Hélios et Neptune-Poséidon. Néanmoins, ici, le Soleil en Balance est dominant car il est conjoint à Mercure, le maître de l’AS. Il est lui-même « les projecteurs médiatiques » qu’il contrôle à son avantage. Un sextile à plus de recul qu’une conjonction. Cet aspect permet « d’organiser » ses passions sans s’identifier totalement à elles lorsqu’elles surgissent comme dans la conjonction.

Notons également la présence d’une opposition Lune-Neptune, comme sur le thème de DSK.

Bill Clinton, né le 19 août 1946, 8h51, Hope (Arkansas, U.S.A.)

L’ancien président des Etats-Unis passa lui aussi sous les fourches caudines d’une humiliation publique suite à une affaire sentimentale. Son thème présente une conjonction Vénus-Mars qui encadre Neptune. Celle-ci appartient à la structure du « moi » puisque Vénus est maîtresse d’un ascendant situé en Balance. Ses mésaventures sont assez semblables à celles de D.S.K : révélation par les médias d’une liaison, reconnaissance publique de sa « faute » et prix financier à payer. Par contre la triple conjonction se place en maison XII, celle des « choses cachées » et de la transcendance. Longtemps ses passions « vénus-mars » furent tenues secrètes.

Notons encore le sesqui-carré (135°) qui sépare la Lune de Neptune dans le thème de Bill Clinton.

La maison XII valorisée par la présence d’un amas planétaire, incluant le maître de l’As, le relie fortement aux forces de l’inconscient collectif et tend de faire de lui un bouc-émissaire lorsque ces énergies ne sont pas conscientisées, positivement cette connection à l’âme des peuples lui confère du charisme puisqu’il sent ce que les personnes veulent entendre. Dès le début de sa présidence, Clinton fait face à de nombreuses attaques personnelles de la part de ses adversaires politiques. Il sera ainsi victime d'un véritable acharnement de la droite conservatrice et de l'extrême droite. Après ses deux mandats il sera blanchi. Sauf pour l’affaire Lewinsky entre mai 1997 et novembre 1998. Pendant cette période Uranus s’oppose à l’amas en X et Saturne à l’autre amas en XII.

Les épouses et le mythe de Pygmalion

Les hommes cités plus haut possèdent tous dans leur thème un aspect dissonant Neptune-Lune, ce qui crée une confusion, au risque d’idéaliser la femme de chair (Galatée) en l’élevant au rang d’une déesse (Aphrodite). Or ces personnages ont rencontré leur « Pygmalion » en la personne de leurs épouses. Tout se passe comme si un aspect de tension entre la Lune à Neptune rendait l’homme disponible au rêve de façonnage des femmes pygmaliennes.

Les indices astrologiques du mythe se déduisent de son contenu. Un aspect entre Saturne et Mars pour la statuaire et une relation tendue (carré, opposition, demi-carré et sesqui-carré) entre Mars et Vénus. Le coup de burin qui frappe la statue de Galatée peut en effet se lire de deux manières contraires : une violence contre ce que l’on aime (carré Vénus-Mars) et/ou le désir de modeler l’autre sur le modèle de la beauté et du potentiel de réalisation que l’on perçoit en lui. En résumé « Pygmalion » est une association de trois planètes : Saturne, Vénus et Mars, avec un aspect de tension entre les deux dernières.

Anne Sinclair, née le 15 juillet 1948 à 16h30, New-York (U.S.A.)

Elle possède avant toute chose un mythe de Prométhée (Lune Noire en Verseau et Uranus en opposition au Maître de l’AS) et, secondairement, un mythe de Pygmalion avec un carré Vénus-Marsvalorisé (Vénus opposée au maître de l’A.S. et Mars en maison X) soutenu par Saturne en sextile à Vénus.

Hilary Clinton, 26 octobre 1947, 20h00 à Chicago (U.S.A.)

C’est un mythe de Pygmalion presque parfait avec une conjonction Saturne-Mars en carré à une vénus en scorpion et en maison V. celui-ci est identitaire, il fait partie du « moi », puisque Vénus est conjointe au maître de l’Ascendant.

Véronica Lario (Mme Berlusconi), née le 19 juillet 1956, 19h05, à Bologne (Italie).

Le maître de l’As relie le carré Vénus-Mars par quinconce et trigone. En 2009, « excédée par le comportement de son mari », elle décide de demander le divorce. Pendant cette période Uranus rétrograde entre 26° et 23° des poissons, réactivant le carré Mars-Vénus natal, et au trigone de la triple conjonction natale Mercure-Soleil-Uranus en VII.

Voici un thème masculin, celui de Georges Bernard Shaw[3] qui écrivit une pièce de théâtre à succès sur le mythe de Pygmalion :

Il présente exactement les facteurs astrologiques qui sont mis en scène pour procéder à la naissance Galatée : Saturne est valorisé par sa conjonction au maître de l’Ascendant, Mercure ; on observe également un carré Vénus-Mars mis en lumière par la présence du Soleil. Enfin un demi-sextile (large) relie Sature à Vénus.

Tous les Pygmaliens ne sont pas des artistes. Le signe et la maison de Vénus indiquent le type d’œuvre que la force de l’amour cherche à façonner. La conjonction Soleil-Vénus en Lion de Georges Bernard Shaw oriente son œuvre vers l’expression théâtrale et le jeu des dialogues (AS Gémeaux) ; Anne Sinclair à une Vénus en maison VII et en Gémeaux : c’est son compagnon qu’elle tente de façonner à l’aide de ses conseils ; Hilary Clinton à une Vénus en maison V, celles des projets, des enfants et des engagements affectifs. Il en est de même pour Véronica Lario, mais Saturne rétrograde au MC suppose une transformation du « moi » plutôt que celui des autres.

Luc Bigé

http://universite.dusymbole.free.fr


[1] Les dates de naissance proviennent de astrotheme.fr.
[2] Dane Rudhyar, Astrologie de la personnalité (Librairie de Médicis).
[3] George Bernard Shaw est né le 26 juillet 1856 à 0h55 à Dublin (Irlande).

Pygmalion, façonner l’autre au nom de l’amour ?

Les planètes sont des dieux. Leurs aventures sont les nôtres.

Au cœur du psychisme humain se jouent de grandes scènes mythologiques infiniment plus fondamentales que nos conditionnements culturels et sociaux. Par elles et grâce à elles nous nous transformons en profondeurs, à condition toutefois d’oser les vivre pleinement. Ces forces signifiantes ne sont pas personnelles, elles appartiennent à l’univers des archétypes, elles nous traversent et, en passant, nous transforment.

Chacun d’entre nous est en résonance avec un ou plusieurs mythes fondateurs qui sont autant de points de contact avec le monde spirituel. Parfois les événements qu’ils représentent nous harponnent, mais c’est pour mieux nous élever vers la lumière. Pourtant le mythe en soi n’est pas le plus essentiel, c’est le processus de métamorphose auquel il nous convie qui compte. Ces archives sans âge du psychisme humain jouent le rôle de la carte géographique vis-à-vis du territoire. Elles nous indiquent les vraies pistes et les faux chemins, les directions et les buts, les gares et les oasis, les pièges et les points de vue panoramiques. Mais elles ne nous dispensent jamais de partir, bien au contraire !

« Vénus » provient de la racine indo-européenne wen qui signifie « désirer » ; le Latin le transforma en veneris « désir sexuel », mot qui a donné le français « venin ». Ainsi de « valeur » à « vénéneux » en passant par « vénal » Vénus cache dans son étymologie toute la gamme de ses applications.

Façonner l’autre au nom de l’amour ?

Roi de Chypre, le lieu de naissance de Vénus, Pygmalion s’éprit de la déesse dès qu’il l’aperçut. Hélas ! celle-ci se refusa à lui. Alors il décida de sculpter son corps dans la pierre. Au fur et à mesure du progrès de l’œuvre, l’homme devint éperdument amoureux de l’image naissante. Désespéré de vivre un amour à sens unique, il supplia la (vraie) déesse d’avoir pitié de lui. Sensible à ses pleurs, Aphrodite pénétra dans la statue et lui donna la vie. La pierre animée prit le nom de Galatée (« d’une blancheur de lait »). Pygmalion est amoureux, non d’une personne, mais d’un idéal de pureté. Galatée porte dans son nom la couleur blanche d’une perfection sans tache. Il y a une grande naïveté à façonner une relation amoureuse exactement conforme à l’image idéale portée dans le cœur. Le nom se du sculpteur se traduit par « poing qui tremble ». Le poing est exactement contraire à une main ouverte, disponible et sensible, capable de donner et de recevoir. Ses cinq doigts se referment avec force sur un seul objectif. Pygmalion est une obsession qui ne sert qu’un seul but : révéler la beauté de l’autre au nom de l’amour. Geste grandiose auquel la déesse va répondre. Geste ambigu, comme le sont toutes les rencontres avec une situation archétypale. Geste désespéré car jamais une statue pierre ne sera une vraie Vénus.

Sans obsession, rien de grand ne pourrait se produire. Sans une inaltérable passion, rien de magique ne surgirait. L’amour du Pygmalien pour sa bien aimée la transforme en une déesse nimbée de beauté. Sa force attractive est si puissante qu’Aphrodite accepte de donner un peu d’elle-même a cette image adulée. Et pourtant ! Galatée n’est pas Vénus mais seulement son image, même parfaite.

Pygmalion imagine que, au nom de l’amour, il va pouvoir façonner l’autre pour l’accomplissement de sa beauté intérieure. Mais l’autre devient un « objet » que le Pygmalien en herbe tente de conduire à la découverte de son âme. En réalité l’artiste est amoureux, non d’une personne, mais d’un idéal qu’il projette sur celle-ci. L’amour éclaire et rehausse la beauté de l’autre, mais vouloir réaliser cette vision en cherchant à le façonner au meilleur de lui-même pour lui donner une nouvelle existence… n’en ferait qu’un bel objet simulant la beauté vivante.

Même si toutes deux naquirent sur la même île, Galatée n’est pas Vénus. L’âme de l’autre a besoin d’un espace d’accueil pour se révéler, elle ne peut se mouler dans une forme pré-figurée, si lumineuse et si juste soit-elle. La beauté intérieure d’un compagnon ou d’une compagne ne peut jamais être totalement sculptée par la volonté tremblante d’une passion ébahie, ce serait la diriger vers des espaces de révélation qui ne sont pas exactement les siens. Elle a surtout besoin d’une main ouverte pour l’accueillir sans prises de pouvoir, sans direction assignée, sans qualités prérequises.

Pygmalion oublie volontiers qu’il façonne une image. Il pense vivre avec une déesse alors que la femme qu’il voit devant lui est le fruit de son habileté jointe à son imagination amoureuse. Il perçoit d’abord la lumière et les dons de l’autre, sans savoir accueillir ses ombres.

Mais la vie n’offre pas que des Pygmalions amoureux. Des études ont montré que lorsque les enseignants attendent de bons résultats de leurs élèves ainsi qu’une amélioration de leurs capacités intellectuelles cela se produit comme imaginé. Mais l’inverse est vrai : si les professeurs n’attendent aucun résultats particuliers, les performances des étudiants vont stagner ou même diminuer.

L’amour est un puissant catalyseur qui accompagne la révélation et la croissance des dons de chacun. Mais combien de ces étudiants suivront plus tard, disons une filière littéraire, alors que leur vocation est scientifique, simplement parce que leur professeur de français sut les aimer ?

Et pourtant ! celui qui ne serait façonné par aucun lien d’empathie mourrait de solitude. L’autre devient tel qu’il est vu. Est-il vraiment vu tel qu’il est ? C’est en tout cas la question que devrait se poser Pygmalion.

Nous sommes en présence d’une situation archétypale qui affiche sa contradiction intrinsèque. L’amour porté aux autres révèle leurs qualités, mais celui-ci contient toujours une part de d’obsession qui enferme dans des formes préétablies. Cette « conjonction des opposés » garantit l’évolution du psychisme. Elle maintient la personne dans un état de questionnement permanent, bien plus stimulant que toutes les réponses qui pourraient lui être proposées.

Ajoutons qu’il est dangereux pour un simple mortel de coucher avec une vraie déesse ! Anchise s’en souvient encore. Remarqué par Aphrodite, celle-ci se métamorphosa en mortelle pour séduire l’appétissant jeune homme, ce qui ne fut pas très difficile ! Pourquoi un tel artifice ? On raconte que tout mortel qui aurait une relation directe avec un dieu ou une déesse vieillirait prématurément. Et Anchise ne voulait pas encourir ce risque ! Le sachant, la déesse prit soin de ne lui révéler son identité qu’après avoir partagé son lit. Elle lui demanda ensuite de garder le plus grand secret sur leur aventure. Or, un jour qu’Anchise était ivre, il se vanta de sa nuit mémorable. Entendant cela, Zeus, par pure jalousie, lui envoya la foudre et le jeune homme devint boiteux pour le restant de ses jours.

Le contact avec un dieu ou une déesse ressemble à un « coup de foudre » amoureux, il tétanise la psyché et le corps, il les immobilise et les fige sous l’effet d’une révélation foudroyante. Curieusement « Anchise » évoque le français « hanche » qui est précisément le lieu corporel qui alimente notre foi envers le divin.

Par son amour obsessionnel focalisé sur sa compagne, un groupe d’élèves, un projet social où une œuvre artistique, le pygmalien ouvre une porte par où va descendre la présence d’un Dieu, ou d’un archétype. Cela est nécessaire car tout projet à besoin d’une âme pour devenir vraiment vivant, pour quitter l’état de la pierre de taille emplie d’objectivité, de mesures et de retours sur investissements. Le défi de Pygmalion consiste à se laisser féconder par la force que sa concentration bienveillante à suscité, à se laisser éblouir et tétaniser par la révélation des beautés qu’il appelle de toute son âme. Alors seulement la déesse, son âme, pourra prendre tout l’espace dont elle a besoin.

Crise actuelle et mutation ontologique

"Quand Dionysos guidera, la terre dansera"
Euripide

Les crises actuelles – écologique, économique, énergétique et éthique – ne sont pas banales au sens où elles ressembleraient à des soubresauts inévitables dans le processus d’évolution continu de la civilisation humaine. Leurs analyse symbolique montre que nous sommes à la veille d’un profond changement de la nature humaine, mutation qui s’amorce déjà.

Vaste programme que « guérir la planète » ! Qu’est-ce en effet que « guérir » ? Qu’est-ce vraiment que la « planète » ? Et que signifient ces deux termes accolés ? L’être humain devrait-il y jouer un rôle, et si oui lequel ? Et comment ?

Pour simplifier il nous faut poser des hypothèses et adopter une posture philosophique, sans quoi ces questions seraient pour le moins abscondes et susceptibles d’interprétations multiples. Admettons ici que la maladie est le signe visible d’une disharmonie entre les parties d’un tout. Le symptôme désigne également le processus de la guérison visant à recouvrer cet équilibre perdu, mais à un niveau de conscience à la fois plus précis et plus inclusif. Admettons encore que la « Terre » est un être vivant et, comme le précise le Tibétain, une planète non-sacrée. Posons enfin l’hypothèse qu’une planète sacrée a réussi à fusionner son anima mundi avec sa nature matérielle et biologique. Qu’est-ce qu’un espace sacré si ce n’est une géographie orientée où chaque point cardinal est porteur de sens, c’est-à-dire d’une force signifiante qui imprègne les mondes visibles ? Nous pourrions alors envisager la maladie actuelle de la planète comme un processus nécessaire pour sa sacralisation. Ce sont ces points que nous allons développer.

La « maladie » actuelle

Il y a plusieurs manières de la diagnostiquer. La première, développée par le W.W.F.[1] et certains spécialistes de l’évolution, consiste à remarquer que nous nous dirigeons à marche rapide vers la sixième grande extinction. Cinq extinctions de masse ont déjà impacté la vie sur la Terre. Entre 50% et 95% des espèces ont alors disparu, selon des époques. La plus ancienne répertoriée, il y a 500 millions d’années, vit la disparition des trilobites et des brachopodes qui avaient alors envahi le milieu marin ; la plus récente, il y a 65 Ma procéda à l’élimination des dinosaures et, avec eux, disparurent 50% des espèces vivantes. Celle d’aujourd’hui est beaucoup plus rapide que les précédentes puisque la vitesse de la disparition des espèces est environ mille fois plus élevée que lors des autres catastrophes. Son origine est bien sûr anthropique. L’action de l’homme sur l’environnement avec l’agriculture, l’urbanisation, l’industrialisation et la pollution entraîne des modifications irréversibles de la biosphère. Il semble que de tels phénomènes aussi radicaux surviennent lorsqu’une espèce vivante a conquis tout l’espace disponible, mettant ainsi l’ensemble de l’évolution biologique dans une impasse. C’était le cas pour les trilobites du Cambrien et les dinosaures du Crétacé, c’est le cas aujourd’hui pour l’homo sapiens.

Pourtant, malgré la succession de ces catastrophes, la courbe représentant l’accroissement du nombre des espèces vivantes en fonction du temps revient toujours là où elle aurait dû être si ces phénomènes n’avaient pas eu lieu. Les « catastrophes » sont en effet suivies de l’apparition d’une floraison d’espèces nouvelles. Tout se passe comme si, en danger, la vie développait une extraordinaire créativité. C’est, du reste, grâce à la disparition des dinosaures que l’homme existe. Les mammifères apparurent à peu près en même temps que les dinosaures, au Trias Supérieur, il y a quelque deux cent trente millions d’années. Pendant 165 millions d’années, ils ont évolué dans l’ombre des grands reptiles, se transformant certes, mais restant petits – d’une taille inférieure à celle d’un chat - et peu diversifiés. Puis les dinosaures disparurent. Une dizaine de millions d’années « seulement » après la catastrophe de la limite Crétacé-Tertiaire, il existait déjà des mammifères d’une taille fort respectable (de la taille d’un ours), adaptés à des modes de vie variés.  Aujourd’hui, 65 millions d’années après la crise, notre monde est peuplé de rats, de chauves-souris, de baleines, d’éléphants, de fourmiliers, de guêpes, de chevaux et d’humains. Ce monde si varié est le résultat d’une vaste radiation évolutive grâce à l’effacement forcé des dinosaures. Ainsi les grandes extinctions sont toutes de formidables facteurs, si ce n’est de « progrès », du moins de renouvellement.

La crise formidable que traversent les autres règnes de la nature sous nos yeux aveuglés est accompagnée d’une crise de l’humanité prise dans la totalité de son histoire. Il y a plusieurs manières de la montrer, nous n’en développerons que deux ici[2]. Depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs, il y a environ deux cent mille ans, la vitesse des communications s’est accélérée d’une manière exponentielle. Celle-ci conditionne à son tour l’accélération des découvertes, la transmission des idées et la rapidité des évolutions techniques et sociales.

Il y a trente mille ans la tribu primitive ne connaissait encore que la parole et les jambes, elle avait besoin d’un temps considérable pour transmettre ses idées à ses voisins. Plusieurs millénaires s’écoulaient parfois avant que des peuples d’origines différentes ne se rencontrent et décident de guerroyer ou d’échanger leurs poteries et leurs femmes. Il y a cinq mille ans environ les peuples nomades puis les agriculteurs réussirent à domestiquer des animaux pour se déplacer : chameau, cheval et âne. La communication devint tout à coup considérablement plus rapide, le délai pour échanger des idées passe subitement du siècle à l’année. Depuis trois siècles seulement, le monde industriel multiplie à l’envie les voitures, les voies télégraphiques, les bateaux de gros tonnage et les avions de lignes si bien que le temps de déplacement moyen pour transmettre une information d’un point à l’autre de la planète se réduit à la journée. Finalement, depuis moins de trente ans, Internet va à la vitesse de la lumière. Toute nouvelle découverte scientifique est instantanément transmise vers tous les laboratoires de la planète. Chemin faisant les moyens de communication se sont libérés du sujet en passant de la personne au cheval, puis  à la voiture et enfin à l’ordinateur, cet écran derrière lequel nous regardons le monde avec un processus de désinvestissement affectif croissant, à moins de vivre dans la bulle de l’imaginaire. La vitesse de transmission du savoir accélère le processus d’évolution en réduisant considérablement le temps mis par une invention pour faire le tour de la planète, mais son prix est cher payé car l’homme pense de moins en moins à ce qu’il est pour se décentrer de plus en plus de lui-même et évacuer sa participation sensible au monde extérieur.

Les moyens d’échange sont à l’avenant. Ils passent eux aussi de la terre vers le ciel, du concret vers l’abstrait. L’objet troqué par les nomades se transforme d’abord en jeton d’argent ou de bronze chez les agriculteurs. Puis le métal perd de sa densité pour se multiplier sous la forme de papier-monnaie et d’actions avec l’industrie. Finalement il disparaît dans l’invisible, véhiculé sur les ondes des échanges bancaires, réduit à un simple chiffre sur un compte dans le tourbillon généré par les échanges informatiques. Au final, le cheval, le champ et la chèvre sont devenus des nombres purs.

Et puis, entre le néolithique et maintenant, nous vivons une extraordinaire accélération du temps. Non qu’il le soit dans l’absolu, mais notre sens du temps est lui-même réduit au très court terme. Aujourd’hui nul n’envisage sérieusement l’avenir à plus de 10 ans alors que les Egyptiens construisaient des tombeaux-pyramides pour assurer la vie éternelle de leurs occupants avec vivres, bétail et serviteurs. Pourtant si, comme nous le suggérions précédemment, l’accélération de l’histoire est proportionnelle au temps que met une information pour faire le tour de la planète, infiniment longue (relativement à une vie humaine) à l’âge des cavernes, rapide comme l’éclair aujourd’hui, une telle accélération ne pourra plus se poursuivre. Après les chasseurs-cueilleurs, les agriculteurs, les industriels et les créatifs culturels, nous savons qu’il est impossible d’aller vers un « cinquième âge », non seulement en raison de sa vacance mythologique, mais aussi pour une cause purement physique : la vitesse de la lumière est théoriquement et expérimentalement indépassable.

Devant nous, le mur.

N’est-il pas symptomatique que ce lieu qui réunit vitesse maximale, des valeurs réduites à des chiffres sur un compte bancaire, le culte du nombre pur qui efface l’éthique, là où le temps est devenu de l’argent… s’appelle précisément Wall Street, la « rue du mur » ?

Après les nomades, les agriculteurs, les industriels et les informaticiens, il n’y aura pas de cinquième époque de la civilisation car la vitesse de la lumière est physiquement indépassable.

À moins d’un changement radical de la nature humaine.

Aujourd’hui le choix est entre l’Apocalypse et l’Illumination. La crise actuelle n’est pas économique ni même écologique, elle est ontologique. Elle invite l’être humain à une initiation collective qui le conduira vers une nouvelle espèce. Et toute initiation suppose un abandon radical de l’ancienne manière de se représenter le monde.

La grande mutation ontologique

Existe-t-il des signes de son approche ? Et à quoi pourrait-elle bien ressembler ? Comment faire aussi bien que le dinosaure qui sut si remarquablement se transformer à l’approche de la grande catastrophe en devenant oiseau ? Quel « oiseau » va jaillir de l’homme moderne, cette merveille en péril ?

mutation ontologiqueLes premières tentatives historiques pour aller vers un « homme nouveau » datent seulement de la « grande guerre » 1914-1948, une période rythmée par deux rencontres successives entre Saturne (le principe de réalité) et Pluton (le principe de métamorphose)[3] et marquée par la découverte de cette dernière planète en 1930 par Percival Lowell et Clyde Tombaugh. Les deux faces de son sens astrologique sont déjà codées dans les noms de leurs découvreurs : la « mort (tomb) pour autant que (aught) »… d’un côté et le « bon amour » de l’autre ! « Percer héroïquement le val (percival) qui conduit vers l’amour du cœur à moins de rencontrer la tombe de l’espèce humaine »…. Tel est le programme symbolique de Pluton et, historiquement, de la seconde guerre mondiale d’où jaillit une nouvelle vision politique barbare et immature : le national-socialisme prit le pouvoir au Reishtag en 1931, exactement un an après la découverte de Pluton. A l’Est, cette tentative pour créer un « homme nouveau » était déjà dans l’air depuis quelques années. Entre 1917 et 1933 les soviets imposèrent au peuple russe une marche forcée vers le communautarisme au nom d’un idéal de transformation de la nature humaine. Si les formes politiques meurent en raison de leur immaturité, les idéaux persistent dans l’inconscient collectif. Après l’échec des tentatives de métamorphoses du vieil homme en un nouvel homme par le mythe et la guerre (le nazisme), puis par la collectivisation et l’idéalisme (le communisme), la voie mécanique et matérialiste persiste : nos « élites » rêvent encore d’homme bionique et de « superman » au génome « amélioré » en qui se fondent nanotechnologies, biologie et puces électroniques.

Ces trois tentatives, un peu folles, sont fondées sur une conception matérialiste de l’homme (la biologie moderne), sur un idéalisme aveuglant (le communisme) et, d’une manière plus radicale avec le national-socialisme, sur le mythe d’une race pure ancestrale. Si l’inconscient collectif affirme l’urgente nécessité de transformer la nature humaine, il a des difficultés pour l’accomplir. Mais enfin, les dinosaures ne sont pas devenus oiseaux en un seul jour ! L’adhésion de la conscience humaine au mythe du surhomme s’est révélée foncièrement destructrice, elle a choisi la voie de la mort et non la percée du voile vers l’amour. L’idéalisme forcé de la société socialiste sans classes a rapidement sombré dans la rééducation idéologique. Enfin les choix contemporains pour bricoler le corps humain sont certainement aussi dangereux, bien que nous ne nous en rendions pas encore compte, car ils idolâtrent notre matière biologique, ce temple de l’Esprit.

Existe-t-il alors une quatrième voie qui conduirait vers la transformation de l’homme ?

L’année de la découverte de Pluton, en 1930, Sri Aurobindo publiait à Pondichéry un opuscule intitulé the superman. Il développera plus tard cette vision dans un autre ouvrage, La manifestation du Supramental sur la Terre.

Cette vision devient-elle aujourd’hui une réalité ? Les témoignages recueillis par le réalisateur autrichien Peter-Arthur Straubinger dans son documentaire « Lumière » semblent aller dans ce sens[4]. Combien sont-elles ces personnes qui ne se nourrissent plus que d’énergie éthérique (ou prana), sans nourriture solide et parfois sans eau, dans le monde ? Mille, cinq mille, dix mille ? Les opinions divergent sur ce point. Nous en avons rencontré deux, l’une au Portugal est mère de famille, elle cuisine pour ses enfants. L’autre habite à Nantes et vit de prana depuis maintenant huit ans. Tous deux vivent intensément dans le cœur. Henri Monfort organise des sessions de 21 jours pour mettre en place la nourriture pranique. Il insiste sur l’alignement des corps physique, émotionnel, mental et spirituel pour accomplir cette mutation ontologique et définit trois critères de réussite : une division par deux du temps de sommeil, la sensation d’avoir une grande énergie et la stabilisation du poids corporel. La plupart des personnes ayant réussi le changement de nourriture l’ont fait progressivement en devenant végétariennes puis crudivores et enfin praniques. Et puis il y a le cas étonnant de ces jeunes artistes « respiriens » en Equateur, Camila et Akahi, qui viennent de mettre au monde une petite fille[5]...

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce phénomène soit mondial et indépendant des philosophies, des religions et des pratiques spirituelles. Certains y sont arrivés spontanément en réalisant soudain qu’ils ne pouvaient plus manger de nourriture, d’autres en pratiquant le processus de 21 jours proposé par Jasmuheen, d’autres encore par de longues pratiques de chi kong et des exercices respiratoires assidus.

Ce qui est remarquable c’est que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité certains spécimens de notre espèce rompent le cercle mortifère où la vie doit se sustenter de la mort des autres espèces. Ici la vie se nourrit de la vie.

Et la légèreté, la liberté, la souplesse et l’ouverture du cœur l’emportent sur les autres considérations.

La chose semble si simple et si incroyable que la presque totalité des scientifiques et l’immense majorité du public adoptent une attitude de déni face à l’évidence[6] ! Tout se passe comme si la conscience ordinaire ne voulait ou ne pouvait pas voir la mutation en cours qui bouleverse radicalement cent mille ans de croyances : il faut manger de la nourriture solide pour vivre. Cela pose évidemment une question aujourd’hui sans réponse : comment font donc les cellules pour se nourrir uniquement de prana ?

Après les tentatives collectives avortées, ou en voie de l’être, du national-socialisme, du communisme et de l’homme bionique, après la réussite individuelle des respiriens chez quelques spécimens de l’espèce humaine tout autour de la planète, existerait-t-il d’autres signes avant-coureurs qui nous indiqueraient que la grande mutation de l’être humain est en cours ?

On sait que la radioactivité est corrélée avec le symbolisme de Pluton. La première réaction nucléaire réalisée en laboratoire le fut à la veille de la découverte de la planète, par le scientifique Allemand Otto Hahn en décembre 1929 ; les accidents de Tchernobyl et de Fukushima éclatèrent lorsque Pluton avait une position remarquable dans le ciel : son entrée en Scorpion en avril 1986 au demi-carré d’Uranus puis en Capricorne au carré de cette même planète en mars 2011. Deux zones d’exclusions s’ensuivirent, redonnées à la nature et donc libres de la pression de sélection liée à la présence de l’espèce humaine.

Comment lire symboliquement ces événements ? Est-ce le signe que le moment est venu d’intégrer psycho-spirituellement ce que la matière radioactive réalise objectivement, à savoir les trois caractéristiques de la radioactivité : l’émission spontanée de lumière, la transformation de l’état de la matière et une manifestation physique a-causale[7] ?

Mais n’est-ce pas cela que vivent les respiriens contemporains ? Ils se nourrissent de lumière, ils ont radicalement changé les habitudes plurimillénaires du corps humain et se laissent guider par les synchronicités de leur existence. Alors, plus besoin de « zones d’exclusion » pour libérer la planète de la voracité humaine puisque l’agro-alimentaire n’aura plus lieu d’être, pas plus que les industries pharmaceutiques et le modèle consumériste qui est le plus souvent une consolation compensatoire liée au faible alignement entre les corps physique, émotionnel, mental et spirituel de l’homme.

Certes, la planète est malade car de nombreuses espèces disparaissent à une vitesse vertigineuse. Et la race humaine arrive au terme d’un long développement psychologique et social qui n’a, aujourd’hui, pas d’autre horizon qu’un mur opaque : celui de la bourse. Pourtant la Nature et l’âme du monde ont plus d’un tour dans leur sac. Les grandes catastrophes écologiques, rarissimes dans l’histoire longue de la planète, cinq ou six seulement, permirent à chaque fois l’explosion de la vie et la floraison de nouvelles espèces. Le seul défi réel est de savoir si nous saurons accompagner consciemment ce passage historique en choisissant de devenir une nouvelle espèce, ou si la pression des événements sera l’aiguillon de notre métamorphose vers un monde où l’espace sera sacré et où le temps de la causalité sera dissous.


[1] World Wildlife Fund, http://www.wwf.fr/
[2] Luc Bigé, Prométhée, la sublime irrévérence (Janus).
[3] Luc Bigé, Les sept jours de la création d’Israël (Janus).
[4] Voir également les entretiens diffusés par la chaîne de télévision Internet http://suprememastertv.com/fr/bmd/?sca=bmd3 au mot clef « breatharianism » (sous-titrés en 42 langues dont le français).
[5] Tous deux se nourrissent uniquement de prana depuis plusieurs années. Si le corps peut vivre normalement dans ces conditions il peut également enfanter, comme le montre leur témoignage diffusé sur YouTube : http://pranique.com/video/tuavucevideo-camilacastilo-enceinte.html
[6] Dans le même ordre d’idée, mais à un degré moindre, un journaliste écrivait un jour dans un grand mensuel français, à l’occasion d’une enquête sur l’Inde, que Saï Baba, disait-on, transformait des objets en cendres. On sait qu’il n’en est rien puisqu’il matérialise, entre autres choses, de la vibuti, cette « cendre » qui les Indiens de l’ashram utilisent pour souligner l’espace du troisième œil. Tout se passe comme si la pensée de la matérialisation lui paraissait si impossible que, en une sorte de déni inconscient, il avait transformé le phénomène en quelque chose de supposé plus acceptable car observable dans la nature : réduire des objets en cendres. Pourtant des milliers de personnes, dont l’auteur de ces lignes, ont pu observer la création de vibuti et en ramener un peu chez eux !
[7] Voir l’article de Hubert Reeves dans l’ouvrage collectif  La Synchronicté, l’âme et la science (Albin Michel).

L’astrologie

L'astrologie est infiniment plus qu’une technique capable de parler de la personne et, éventuellement, des événements qui ponctuent sa vie. C’est avant tout, à nos yeux, une philosophie pratique qui a le mérite de relier l’abstrait avec le concret, l’archétype avec la vie quotidienne et le sens avec l’événement. C’est pourquoi un thème astrologique se déploie à la fois sur les plans métaphysique (le sens de l’existence), psychologique (la connaissance de soi) et pratique (sa mise en œuvre dans sa vie).

Souvent les écoles d'astrologie se spécialisent dans l’une ou l’autre de ces approches alors que celle-ci entrent en permanence en résonance les unes avec les autres. Les événements qui m’arrivent me parlent de qui je suis sur le plan psychologique. Ce « qui », à son tour, sert de véhicule pour l’expression des forces transpersonnelles présentes à la source de toute poésie et de toute création.

Certes, la prédiction des événements à partir du thème natal est possible. Encore faut-il se demander quel sens cela peut avoir. Trop souvent la prédiction sert à figer la conscience dans l’attente ou dans l’angoisse de ce qui est supposé advenir. Ce serait alors faire une astrologie enfermante qui focalise l’attention du consultant sur une forme événementielle au risque d’éclipser l’élargissement de conscience que cet événement pourrait produire.

D’une manière un peu provocante nous disons souvent que le monde extérieur n’existe pas. Il est simplement le reflet de nos plus intimes pensées. Tout ce qui nous arrive – une rencontre, un changement professionnel ou une maladie -  pourra alors être lu d’une manière symbolique car cet « événement » est un sens refusé qui s’est cristallisé dans une forme objective. Lorsque ce sens est intégré dans la conscience l’événement n’a plus lieu d’être, ou, en tout cas, ne pose plus de difficultés. Chaque situation extérieure devient alors un vivant miroir de nous-même qui nous aide à grandir, c’est-à-dire à devenir ce que l’on est. Le rôle de l’astrologue ne devrait pas être, dans ces conditions, de prévoir un événement mais de montrer en quoi cette situation peut se produire et se produira si sa signification profonde n’est pas perçue par avance. C’est ainsi que l'astrologie prédictive pourra enchaîner sur la seconde fonction de la lecture du thème : la connaissance de soi

L’interprétation psychologique du thème natal ne remplace pas un travail thérapeutique. Si la lecture du thème entraîne des prises de conscience, l’expérience montre que celles-ci sont souvent recouvertes par le retour dans la vie quotidienne. Par contre, la lecture astrologique  peut avantageusement accompagner un travail thérapeutique en dirigeant l’attention de la personne vers la nature de ses mémoires de souffrance, mais aussi vers ses dons et ses qualités particulières pour l’aider à déployer sa nature profonde. De plus, le thème dira le type de travail de développement personnel le plus adéquat, et le meilleur moment pour l’accomplir.

Descendre au cœur de soi-même ouvre sur les autres et sur le monde. Non d’une façon conventionnelle et culturelle, mais par la voie du cœur. C’est là toute la thématique du mythe de Narcisse qui décrit avant tout un processus de connaissance de soi. Aller au fond de son unicité ouvre à grand battant les portes de l’universel. A ce moment-là l’astro-psychologie devient une astro-mythologie et la question « comment puis-je réussir ma vie et développer mon potentiel ? » devient « comment puis-je accomplir mon destin et réussir la mission de mon âme ? ». Les grands mythes comme Prométhée, Icare ou Narcisse nous proposent une sorte de mode d’emploi de développement spirituel en nous mettant en garde contre les pièges du chemin. Le thème natal est alors utile pour connaître notre (ou nos) mythe fondateur. Nous entrons ici dans l'astrologie de la Lune Noire qui décrit comment l’universel s’incarne avec ferveur et intransigeance dans une personne particulière.

Ce contact direct avec l’étincelle divine en soi, ce plan métaphysique de l’être, ouvre encore un nouveau chemin : la contact avec l’anima mundi, l’âme du monde. L’astrologue qui s’engage dans cette exploration pratique ce qu’il est convenu d’appeler l'astrologie mondiale. Ici encore, la prédiction des événements mondiaux ne devrait être que la conséquence d’une philosophie et d’une vision, elle ne peut pas être un fin en soi. L'astrologie mondiale questionne le sens dans l’Histoire (et non pas le sens de l’histoire) et, pour le formuler comme cela, décrit les rythmes d’incarnation de l’âme du monde sur la Terre au moyen des communautés humaines. Ce n’est pas l’histoire qui a crée les mythes, mais les mythes qui produisent l’histoire. Ce sujet est en réalité d’une extrême importance. Mieux le comprendre nous permettrait, enfin, de prendre collectivement en main les conditions de notre futur, plutôt de que vivre dans une civilisation chaotique qui avance sans direction ni but.

L'astrologie est une science du sens qui fonde sans jamais les figer des systèmes de valeurs. C’est un langage composé de symboles qui nous facilite cette grande traversée qui va du questionnement sur des événements particuliers à notre existence jusqu’à la compréhension des grands défis de l’histoire du monde, en passant par le développement personnel et le questionnement spirituel. Cela peut paraître extravagant, mais la raison en est simple : la nature n’obéit pas seulement à des lois mécaniques, elle fonctionne aussi comme une unité où événements, psychologie, transcendance et Histoire s’interfécondent en permanence. Cette unité est ordonnée par la pensée analogique qui est précisément celle qu’utilise l'astrologie et, plus largement, les systèmes symboliques.

A quoi sert l’astrologie ?

A quoi sert l'astrologie dans notre monde moderne fondé sur la raison ?

Afin de mieux cerner l'essence de l’astrologie, il nous parait nécessaire de préciser d’abord ce qu'elle n'est pas. En effet, sa vulgarisation par les média en offre souvent une image simpliste, voire caricaturale.

  • L'astrologie n'est pas un art divinatoire, ni une technique de prédiction des événements au sens où cela est couramment compris.
  • Elle n'est pas non plus un déterminisme qui s'ajoute aux contraintes génétiques, biologiques, éducatives et sociales.
  • Elle n'est pas une clé résolvant comme par enchantement tous les problèmes.

Voyons à présent, très brièvement, ce que l'astrologie peut-être :

  • Un système symbolique permettant une meilleure connaissance de soi et des autres.
  • Un outil dont l'usage suggère à quel moment il est préférable d'employer telle « énergie » plutôt que telle autre pour arriver au but que nous nous sommes proposé d'atteindre.
  • Une vision globale (holistique) de l'homme qui retrouve ainsi sa place dans l'univers, une place décodée en terme de sens.

Il s'agit, dans un premier temps, de situer l'astrologie parmi les différents systèmes de pensée élaborés par l'homme au cours des âges dans le but d'atteindre à la plénitude de la présence. L'astrologie n'est pas une conception du monde, mais une vision du monde. C'est son ouverture sur le possible, l'absence de lois rigides et établies par avance, en un mot les multiples niveaux de perception autorisés par la méditation sur le symbole qui en font la richesse et l'inépuisabilité.

Le thème natal est un instantané du ciel au moment de la naissance. Il représente, au moyen d'un certain nombre de symboles, la position de la Terre et des autres planètes au sein du système solaire à l'instant exact du premier souffle. C'est, en quelque sorte, notre carte d'identité naturelle, unique et différente de toutes les autres. De ce fait, il est possible de se contenter d'apprendre l'astrologie pour travailler sur son thème, et donc sur soi-même.

Le thème ne représente pas ce que nous sommes mais ce que nous pourrions être si nous étions conscients de toutes nos potentialités. Il est l'image archétypale de ce que nous sommes. En ce sens, le thème de notre naissance représente plus que la simple photographie des étoiles au début de notre existence consciente. A notre naissance le cliché est encore en chambre noire, il révèlera ses véritables couleurs au fur et à mesure que la lumière viendra à lui. Au cours de la croissance apparaît un développement plus ou moins homogène des zones de brillance et des zones d'ombre… mais la qualité de la lumière n'est pas inscrite par avance sur la photographie.

L'étude des cycles des planètes dans le ciel après la naissance - appelés "transits" - ainsi que l'abord de cycles plus intérieurs (les "progressions") permettent de définir les grandes lignes du développement de la personnalité. L'astrologie propose un regard sur la trame de base de notre propre rythme d'évolution. Elle nous indique à quelle période de notre vie et dans quel champ d'expérience (familial, professionnel, financier,…) nous devrions porter notre attention consciente, et, pour cela, quelles qualités développer préférentiellement. C'est ainsi que certaines zones de la photographie recevront plus de lumière à tel ou tel moment du développement. Au fond, image photographique et personnalité se développent de la même manière : par réception et accrochage de la lumière. Lumière solaire ou lumière de la conscience.

Certaines zones du cliché recevront plus d'énergie lumineuse à tel ou tel moment de leur développement. Il sera alors possible de leur donner plus de relief et de les harmoniser avec l'ensemble en jouant sur la quantité et la qualité du rayonnement.

Au fil des âges

Voici un rapide survol historique afin de mieux saisir la place de l'astrologie dans le monde contemporain. Les racines de cette discipline se nourrissent des connaissances véhiculées depuis plusieurs millénaires par les plus anciennes civilisations. De tous temps des astronomes-astrologues ont tourné leurs regards vers les étoiles, scruté le ciel et soigneusement répertorié leurs observations. Chez les peuples de l'antiquité, astrologie et astronomie étaient sœurs jumelles. Ce double savoir, intimement lié, relevait bien souvent de la compétence du clergé. En fait, il existait une étroite convergence naturelle entre l'astronomie, l'astrologie et la vie spirituelle.

La conception du monde était alors fort éloignée de ce que nous considérons aujourd'hui comme valable.

La pensée du XIXème siècle, encore très présente dans nos mentalités modernes, considéra l'homme comme une machine biologique perdue sur une petite planète, la Terre, qui navigue dans un espace quasi-vide et sans vie. L'homme est seul dans un univers froid, sa présence résulte d'un accident ou d'un hasard. Ces considérations n'avaient pas leur place au sein des grandes civilisations dont la pérennité s'étendit sur plusieurs millénaires. Le subjectif, c'est-à-dire la vie intérieure de l'homme, n'était pas coupé de ce qui se passe à l'extérieur comme cela est aujourd'hui le cas. La dichotomie objectif/subjectif n'existait pas encore. Les anciens avaient découvert un lien symbolique unissant l'astronomie - l'observation du ciel extérieur - et ce que nous nommons aujourd'hui la psychologie, c'est-à-dire l'observation de nos constellations psychiques intérieures. Ce lien a pour nom astrologie.

Gardons-nous bien de considérer cette vision du monde comme « infantile » ou « archaïque ». Il s'agit plutôt d'une mentalité différente de celle que nous acceptons - souvent inconsciemment - comme valable. Si différente que nous avons, en réalité, grand-peine à en imaginer la richesse et le sens par delà les quelques poteries et autres objets qui nous sont parvenus.

Témoins privilégiés de ces anciennes cultures humaines, les Védas, les textes sacrés de l'Inde, dont l'origine remonte à plus de 6000 ans en arrière. Ce sont probablement les archives les plus anciennes de l'humanité. Celles-ci relatent la vie religieuse et sociale des premiers peuples indo-européens. Vie étroitement dépendante des conditions célestes. Dans le même ordre d'idées citons également la division géographique de l'Egypte pharaonique en 42 nomes ou "territoires", un peu comme les départements en France. Chacun de ces nomes trouvait sa correspondance symbolique avec une partie du corps d'Osiris, lui-même relié aux constellations zodiacales.

En occident, on retrouve également une certaine persistance - muette ! - de l'astrologie puisque la date des fêtes religieuses est fixée en fonction du cycle du Soleil et de la Lune. Chaque année Pâques est célébré le premier dimanche qui suit la pleine Lune de l'équinoxe de printemps. Il n'est pas rare non plus de découvrir dans certaines églises romanes des XIème et XIIème siècle (Issoire,…) une représentation des douze signes zodiacaux dans la partie la plus sacrée de l'édifice religieux.

Il existe donc encore, disséminés ici et là, un certain nombre de symboles astrologiques dont le sens profond est souvent perdu.

Après la chute de ces grandes civilisations, l'astrologie s'émancipa de la pensée religieuse. Elle se tourna de plus en plus vers la vie séculière, de sorte que bon nombre de personnages publics eurent leur astrologue-conseil. Les siècles s'écoulant, elle devient de plus en plus événementielle et se spécialise dans la prévision de l'avenir, l'anecdote et le détail. Néanmoins, loin des fastes de la cour et des spéculations de l'époque œuvraient dans l'ombre quelques astrologues et alchimistes anonymes. Certains ont laissé un nom dans l'histoire. L’un des plus éminents fut sans doute Paracelse. Médecin, astrologue et alchimiste réputé pour ses guérisons spectaculaires, il fut l'un des premiers à utiliser l'horoscope du malade pour établir un diagnostic.

Le XVIIe siècle marqua un tournant important dans l'histoire de la pensée. En effet, depuis l'antiquité, le thème natal était calculé pour la nation entière ou encore pour le roi qui avait en charge les destinées du pays. Le fait de dresser le ciel de naissance de tout le monde implique une importance croissante de l'individu par rapport au collectif. Le microcosme est à présent représenté par l'être humain et plus seulement associé à un territoire et au devenir du groupe qui l'habite.  Pour être complet il faut encore mentionner d'autres personnages dont l'histoire à retenu le nom pour leurs découvertes scientifiques. Citons Newton et Képler qui se sont intéressés à, et ont probablement pratiqué, l'astrologie et l'alchimie. Curieusement l'histoire des sciences a gommé une partie importante de l'œuvre de ces chercheurs pour n'en garder que ce qui correspond à la mentalité et aux croyances modernes.

Bélier2

 

Différents types d'astrologie

En astrologie, pas plus qu'ailleurs, il n'existe de connaissance absolue. Tout est mouvance. Mais mouvance ne signifie pas errance. Le thème natal forme un tout structuré qui offre une vision globale du clair-obscur de la psyché. Il existe aujourd’hui différentes écoles et diverses voies de recherche, toutes complémentaires les unes par rapport aux autres. En d'autres termes il n'y a pas une astrologie mais des astrologies. Chacune est représentative d'une époque et d'une façon de penser. Ces diverses approches existent en fonction des besoins de l'humanité et de sa vision du monde. L'astrologie prit des formes diverses suivant les lieux et les temps. Ainsi il existe une astrologie Aztèque, Chinoise, Hindoue, Egyptienne, Sumérienne…. Tenter une étude un tant soi peu exhaustive de toutes ces branches serait une gageure pratique car nous ne sommes pas imprégnés de la mentalité chinoise ou aztèque. Parmi les différentes écoles se côtoyant actuellement dans le monde occidental, trois prédominent :

L'astrologie traditionnelle

Elle tire ses sources essentiellement des travaux de synthèse de Ptolémée, astrologue et astronome du deuxième siècle, à qui nous devons la représentation géocentrique de l'univers. Cette conception selon laquelle toutes les planètes, plus le Soleil et la Lune, tournent autour de la Terre, survécut dans la conscience de l'occident jusqu'à Galilée. Ptolémée eut le mérite de consigner par écrit la tradition astrologique de son époque, transmise jusqu'alors oralement. Il y associa également la théorie des quatre éléments formulée définitivement par Empédocle, philosophe Grec du VIème siècle avant notre ère. Au fil des âges cette astrologie devint de plus en plus événementielle, c'est-à-dire axée sur la prédiction des événements. L'être humain est soumis aux "influences" astrales et n'a d'autre choix philosophique que de lutter ou de subir. Apparaissent alors les notions de fatalité / libre-arbitre à partir desquelles on a imaginé tous les dosages possibles pour justifier des actes des hommes.

L'astro-psychanalyse

Les apports de la psychanalyse freudienne à la connaissance de la nature humaine ont incité certains astrologues à adapter cette lecture aux différents éléments du thème natal. Chaque planète correspond ainsi à une instance psychologique telle que le ça, le surmoi, le moi, et l'idéal du moi. Cette approche permet un gain en profondeur dans l'interprétation du thème natal. Elle reste néanmoins statique. Cela signifie que le thème astrologique est un constat de ce que l'on est au moment de la naissance, révélant un certain nombre de complexes, un certain degré de lucidité, des points forts, etc. Mais il ne nous est cependant pas donné la clé qui pourra mener la personnalité à une véritable prise en charge de son thème de naissance, et donc d'elle-même. La carte du ciel est le reflet des traumatismes vécus dans l'enfance, ainsi que des divers conditionnements qui font ce que nous paraissons être. Cette approche de l'astrologie ainsi que la précédente sont dualistes. Il existe des planètes "bénéfiques" et "maléfiques", des "bons aspects" et des "mauvais aspects". Tout cela a naturellement pour conséquence l'existence d'horoscopes "favorables" et "défavorables".

Cette analyse astrologique correspond à la vision du monde développée en Occident au XIXème siècle. Vision du type blanc ou noir, bien ou mal, vrai ou faux… maintenant matérialisée dans le langage binaire de l'informatique, avec la logique comme critère de connaissance.

L'astrologie humaniste

Le thème natal, simple carte d'identité, devient le nom symbolique de la personne. Nommer une chose, c'est la connaître, c'est lui donner une forme dans notre conscience. Le ciel de naissance devient ainsi un outil privilégié de connaissance de soi et d'action.

L'astrologie humaniste fut formulée pour la première fois dans les années 1930, aux Etats-Unis, par Dane Rudhyar. Celui-ci considère l'astrologie comme une technique d'étude des cycles de la vie individuelle, cycles qui entrent en résonance avec les rythmes des planètes. Les astres ne nous influencent pas, ils ne sont pas en dehors de nous mais en nous. Le thème natal est une représentation symbolique du monde intérieur à l’aide d’un nombre limité d'éléments. La force de l'astrologie vient du fait de ce nombre restreint de symboles. En d'autres termes, l'harmonisation de notre rythme personnel avec le rythme du cosmos nous permet de découvrir notre nom véritable et, par suite, de donner un sens à notre participation à la vie de l'univers.

Le thème nous aide à prendre conscience de ce qui est en nous, de ce que nous sommes en tant qu'individu. Nous sommes plus que nos conditionnements, ceux-ci sont des conditions à notre disposition pour devenir ce que l’on est. De ce point de vue, être totalement libre c'est vivre son thème à cent pour cent. A partir de ce moment-là tout jugement de valeur disparaît, il n'y a plus de "bonnes "ou de "mauvaises" planètes mais chaque élément du thème est ce qu'il est, une fonction parmi d'autres fonctions. Cette approche astrologique se base sur une nouvelle façon de penser, mais aussi et surtout sur le développement d'une nouvelle qualité d'être. La logique, de binaire qu'elle était auparavant, s'efforce de devenir ternaire, voire multidimensionnelle.

L'accent, lors d'une interprétation, ne porte plus sur les événements objectifs mais sur leurs correspondances symboliques dans la vie subjective d’une personne qui s'efforce de comprendre sa nature essentielle et la meilleure manière de l’exprimer. L'astrologue ne travaille plus avec des objets (planètes) mais avec des « énergies », présentes partout et à chaque instant, qui entrent en résonance les unes avec les autres en suivant des rythmes spécifiques.

L'astrologie transpersonnelle

Alors que l'astrologie humaniste est une voie pouvant conduire l'être à devenir une personne à part entière, l'approche transpersonnelle, également développée par Rudhyar, indique ce que serait cette personne si elle devenait canal pour une énergie plus-que-personnelle. Une énergie qui transcende ses intérêts immédiats et réponde à un besoin du collectif. Le thème natal reste toujours identique à lui-même, c'est le "niveau" d'interprétation qui change. Le ciel de naissance indique de quelle façon la personne peut repolariser son mode usuel de comportement dans le but de focaliser en elle une énergie spirituelle diffuse. Ce nouveau développement de l'astrologie est intimement lié à la prise de conscience croissante que l'humanité forme un tout… et à la découverte que "le soleil est aussi une étoile" voyageant au sein de la galaxie, accompagné de milliers d'autres.

Sur le plan symbolique, ces deux phénomènes entraînent un changement de regard. La conscience n'est plus focalisée sur la satisfaction des besoins personnels (symboliquement le "moi-soleil" posé au centre de l'univers) mais s'efforce de percevoir sa place au sein du plus grand tout qu'est l'humanité (symboliquement le Soleil est une étoile parmi d'autres dans la Galaxie). Les rapports humains passent d'une structure hiérarchique rigide (le Soleil, régisseur de son cortège de planètes) à un système basé sur la co-opération (le Soleil accompagné d'autres étoiles). L'humanité prise comme un tout essaie ses premiers pas sur la planète : peut-être l'ère du Verseau verra-t-elle ceux-ci se transformer en une danse adressée à l'univers entier.

Pour conclure, remarquons qu'il n'y a pas un système meilleur qu'un autre : on fait l'astrologie qu'on est. Que notre pensée se dirige plus naturellement vers l'abstraction ou la pratique, la rigueur ou l'intuition, chaque méthode donne un éclairage significatif.

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De « la Méthode » vers « la Mythode » ?

Symbole et sens

L’occident à, depuis trois ou quatre siècles, fondé sa représentation du monde un immense paris : celui de la rationalité du réel. Des philosophes à la pensée profonde comme Leibnitz, Kant puis Hegel sont à la source de notre manière de comprendre la réalité. En affirmant la rationalité du réel ils ont ouvert les grandes avenues de la science et de la technologie, pavant notre vie quotidienne d’une capacité de contrôle sur la nature et sur nos vies à nulle autre pareille dans l’histoire de l’humanité. La superstition et les pseudo explications globalisantes vécurent la fin de leurs beaux jours sous la houlette de l’expérimentation rigoureuse et de la vérification. Hegel fut sans doute le dernier penseur global de la Nature, s’intéressant à la fois à l’art, à l’histoire et aux sciences de son époque. Cette victoire de la pensée, que les scientistes[1] considèrent comme ultime, est aujourd’hui comme débordée par un certain nombre de faits, tant scientifiques que « magiques », face auxquels nous ne pouvons qu’opposer trois nouvelles hypothèses. Soit ceux-ci ont une explication rationnelle encore incomprise du fait de l’imperfection des théories actuelles ; soit il existe une autre forme de rationalité qui inclut et dépasse celle que nous connaissons ; soit, enfin, la connaissance du réel fondée sur la pensée est impossible dans sa totalité car limitée par la nature biologique du cerveau humain, qui est, ne l’oublions pas, le fruit d’une évolution naturelle inachevée.

Le mythe du Progrès

Eliminons d’emblée la thèse du Progrès qui est la simple continuation des idées philosophiques développées depuis trois siècles. Cette posture de la pensée est largement partagée, trop du reste puisqu’elle est devenue – on se demande pourquoi – une vérité quasi-universelle au risque de se transformer en mythe, au sens de sa définition anthropologique : le discours fondateur invérifé qu’une société tient sur elle-même. En effet, le matérialisme et la raison ne sont plus aujourd’hui l’objet d’une réflexion philosophique mais sont devenus une simple une « évidence » acceptée par beaucoup. Le catholicisme puis Hegel ont affirmé que Dieu est Raison, puis la raison est devenue l’outil d’exploration du monde. Or, que ce soit délibéré, conjoncturel ou une conséquence nécessaire de ces idées, force est de constater qu’il n’existe plus aujourd’hui de philosophes capable de nous aider à réfléchir sur les grandes questions fondamentales et de renouer avec ce qui particularise l’être humain : qu’est ce que ma mort ? comment celle-ci m’aide-t-elle à penser ma vie ? qu’elle est la nature du sens ? qu’est-ce que la réalité ? qu’est-ce que c’est que d’être un homme ? quel est mon rapport aux autres règnes de la nature ? comment me relier à l’univers ? Au lieu de cela la raison toute puissante, jointe à la dissolution de l’enseignement philosophique et artistique, à façonné une société de bons ingénieurs et de techniciens remarquables qui vouent leur vie au service du mythe du Progrès et de ses conséquences : le consumérisme, la sécurité d’un appartement et d’un travail, le commerce comme valeur première et un « épicurisme » qui ferait rougir le vieil Epicure. En d’autres termes les réussites de notre société occidentale ne sont pas la preuve de l’omnipotence de la Raison. C’est exactement l’inverse : l’hégémonie de la rationalité positiviste à produit notre modernité. Une modernité qui adhère aveuglément à son histoire et, du coup, s’interdit, toute remise en question. De simples anicroches dans le tissus serré de la raison soulèvent d’immenses et impensables boucliers de la part des zélateurs du progrès, exactement comme s’il s’agissait-là d’un sacrilège. Témoins les incroyables péripéties et avanies que dû subir Jacques Benvéniste lorsqu’il montra scientifiquement que de l’eau dynamisée pouvait guérir. Philosophiquement cela remettait en cause le principe fondateur de la chimie moderne, à savoir que seule de la matière et des forces peuvent agir sur une autre matière. En effet, au-delà de 9CH les dilutions homéopathiques ne contiennent plus aucune molécule chimiques issues de la solution mère. Témoins aussi les (faux) débats médiatiques sur l’astrologie, la voyance ou les tarots qui, fautes de pouvoir prouver leur rationalité, sont attaquées comme des ennemis dangereux du fondements de notre société : la raison. Pourtant ne considérer comme réel que ce que l’on peut démontrer est absurde : je ne connais pas pourquoi mon cœur fonctionne (et personne ne le sait) et pourtant il fonctionne ! Heureusement la communauté humaine aura toujours ses Galilée, ceux qui reconnaissent les évidences au risque de troubler les certitudes aveugles de leurs contemporains.

Le mythe du Progrès, outre le fait de clore le débat philosophique sur des questions pourtant essentielles, nous a rendu otages de l’esprit de la machine. L’homme occidental qui a inventé la technique pour se libérer des servitudes du travail échoue aujourd’hui à cause du succès de son entreprise. En effet les qualités imputables à une machine idéale sont devenus des « idéaux » humains incontournables : toujours plus d’efficacité, de rendement, de sécurité, d’abondance et de production. C’est cette aliénation de l’esprit humain à l’esprit de la machine qui constitue sans doute le plus grand drame contemporain.

L’inachèvement de l’homme

Nous laisserons également de côté la troisième hypothèse. Celle qui reconnaît l’immaturité du cerveau humain et sa totale dépendance envers l’évolution biologique et la culture prodiguée par la société. Car la question est difficile. Comment en effet explorer la nature de la réalité avec un outil encore dans l’enfance ? Comment prétendre développer une philosophie du réel qui tienne la route si le véhicule est relatif ? Avant de penser il faudrait, en quelque sorte, adapter son corps, son cœur et son esprit à la nature de la réalité, c’est-à-dire à l’Inconnu. Ce monde-là est exploré par les mystiques qui acceptent de mourir à leurs représentations pour se laisser enseigner, et « ensaigner », par le Mystère. Ici connaître c’est désapprendre. Bien que cette voie soit la seule qui soit vraiment raisonnable il est difficile de la penser avec un cerveau contemporain. Le Progrès est habituellement défini comme la capacité des cultures à fabriquer des objets, et nous somme devenus des champions hors normes dans ce domaine. Pourtant un « mystique » définirait le progrès différemment : comme la capacité croissante d’un peuple à vivre et à partager la joie sans cause.

Après avoir rappelé rapidement les succès et les conséquences dangereuses d’une vision du monde fondée uniquement sur la raison et sur l’idéal du Progrès, après avoir évoqué la nécessaire humilité qu’impose toute recherche de la vérité à cause de nos limitations biologiques et de nos conditionnement culturels, il nous reste à explorer plus en détails la troisième hypothèse. Existe-t-il une autre forme de rationalité qui aurait échappé à la sagacité du siècle des Lumières ?

Le monde symbolique

Il faudrait aujourd’hui compléter le « Discours de la Méthode » par un « Discours de la Mythode » qui explorerait, avec la même rigueur et la même exigence que la science contemporaine, le monde du sens[2]. Comprendre par exemple que notre société s’articule autour de deux grands mythes, Prométhée et Faust, éclairerait sous un jour nouveau cette folie du monde que tous déplorent avec un curieux sentiment d’impuissance. Mais avant d’entrer dans l’univers des symboles il convient de clarifier la posture philosophiques qui sous-tend notre démarche. L’a priori métaphysique des Lumières était d’imaginer que notre réalité pouvait s’expliquer à partir de phénomènes physiques régis par la causalité. Dieu fut relégué au rang d’un Etre Suprême ayant ses propres lois inconnaissables, puis l’échec de la dimension métaphysique du programme de Descartes le fit disparaître des questions raisonnables. Il appartient désormais à la sphère privée et n’est plus un objet de connaissance. Un autre a prioriest cependant envisageable, vieux comme le monde. Celui qui envisage que l’univers du sens (ou « dieu ») interagisse en permanence avec les mondes objectif et subjectifs au moyen d’une « transcausalité » libre de toute rationalité physique. Dans ce cas le divin redeviendrait un « objet » de connaissance, mais à certaines conditions :

  • le sens ne se construit pas : il se révèle.
  • Le sens à son langage, celui des symboles.
  • Le symbole ne démontre ni ne prouve rien, il est juste là pour montrer.
  • Néanmoins le symbole est opératif.
  • Les lois du monde symbolique ne ressemblent pas à celle du monde objectif.
  • L’axiome d’Aristote « il n’y a de science que du général » est à repenser.
  • L’objectivité scientifique est une posture intenable

Examinons ces points en détail avant d’observer à quoi pourrait ressembler un tel monde qui prendrait en compte une préexistence du sens.

Le sens ne se construit pas, il se révèle

Les panneaux de la circulation routière forment un système de signes élaborés par la raison pour coder un comportement, c’est-à-dire du sens. Leur efficacité résulte de l’action conjuguée de la culture et de la loi, de l’apprentissage et de la répression. D’évidence, ils n’ont rien de symbolique. Pourtant, à y regarder de plus près, le symbole n’a pu s’empêcher de s’y immiscer. Prenons à titre d’exemple la couleur rouge que l’on retrouve sur les sens interdits, les feux tricolores et les panneaux « stop ». Curieusement une même couleur marque toujours le danger et l’interdiction. La Chine de Mao Ze Dong à l’aube de la Révolution Culturelle avait bien tenté de remplacer la fonction du feu rouge par une lumière verte, mais la pagaille fut telle qu’il fallut rapidement revenir en arrière. Au grand dam de ce régime « rouge » qui trouvait fort inconvenant d’associer sa couleur fétiche à des valeurs d’arrêt et de danger ! Les Mandarins de la Chine Impériale comme les instituteurs de la République utilisaient des encres rouges pour corriger les fautes de leurs élèves et signaler le danger d’une erreur grammaticale ou orthographique. Tout se passe comme si le sens du « rouge » s’était imposé aux hommes par-delà les idées qu’il pouvait porter sur lui, par delà les cultures et les périodes historiques.

Depuis les travaux de Georges Dumézil sur la tripartition fonctionnelle nous savons que trois grandes fonctions organisent à la fois la mythologie, la vie sociale et l’expérience quotidienne des peuples Indo-européens[3]. Il s’agit de la fonction de souveraineté qui détient le pouvoir juridique du contrat et le pouvoir magique des charmes, de la fonction guerrière qui a pour tache de canaliser l’énergie afin de la transformer en valeurs de conscience, et de la fonction de production occupée à la multiplication du même. Blanc et or appartiennent à la Souveraineté, le rouge est relatif au Guerrier, le bleu et le vert sont du domaine de la Production. « Canaliser les flux d’énergie pour créer plus de conscience », n’est-ce pas là le rôle des feux rouges et des instituteurs ? Et puis est-ce un hasard si les deux nations qui mirent en mouvement l’immense processus de destruction de la seconde guerre mondiale affirment leur identité en arborant fièrement un drapeau où domine le rouge ? Est-ce un hasard si les pays « rouges » - l’ex-URSS et la Chine communiste - firent ensuite régner la terreur en multipliant les massacres sur leur propre territoire ? Inversement l’Europe n’arrive que très difficilement à s’accorder sur une armée commune alors qu’elle se signe avec drapeau bleu et or. Deux couleurs qui marquent la production unifiée (fond bleu) et la souveraineté partagée (étoiles jaunes). Il lui manque la couleur rouge de la « guerre ». Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France possèdent tous un drapeau tricolore. Ces trois nations furent à un moment où à un autre de leur histoire capables d’harmoniser les fonctions de souveraineté, de guerre et de production pour construire un Empire. Evidemment, le symbole national ne « démontre » rien ni n’est la cause de l’histoire des nations ! Le penser serait revenir à une logique causale de pacotille qui confinerait à la superstition. Ce serait feindre de croire que  la force électromagnétique de la lumière rouge arrête l’automobiliste à la croisée des chemin. Le symbole « rouge » montre simplement - et c’est déjà beaucoup – la nature de l’Etre qui s’en habille. Il ne dit ni ce qu’il fera, ni comment il agira. Le symbolisme n’explique rien, il ne développe pas une science de l’action et de l’efficacité. Cela, c’est l’apanage de la science et de la technologie. Le symbolisme est une science de l’Etre qui nous parle de la nature des choses. Il nous apprend à voir bien plus qu’à agir et à transformer. Et il répond à la question philosophique : « qui suis-je ? ».

Nous avons évoqué rapidement le fait que les drapeaux nationaux et les feux tricolores ne sont peut-être que pas de simples conventions, ni les fruits des aléas de l’histoire. La même analyse pourrait se répéter en choisissant de nombreux autres exemples. Prenons simplement les mots que nous utilisons dans la langue française. La « maladie » ne nous parle-t-elle pas du « dit du mal », et plus précisément encore le symptôme n’est-il pas le symbole d’une souffrance (le mal) de la Déité (D.I.T.) qui cherche à se dire ? En d’autres termes certaines pathologies sont, comme les mots nous le rappellent, un cri silencieux du mythe fondateur de l’être (« sa déité ») qui souffre, faute de trouver des voies d’expression objective. « Anorexie » se décode : « je sais que je porte en moi de l’or (or) mais je me sens privé (a) d’axe (exie) et incapable d’affronter ma violence (n, haine) ». Il existe ici un désir de perfection (l’or) qui ne peut s’exprimer du fait d’un refus (a) de la haine (n) et d’un manque d’incarnation (ex, en dehors de) autour de sa verticalité (I). Egalement : « je refuse de voir (a privatif) la haine qui m’habite (N) et me prive d’eau (O) et d’air (R) au risque de perdre mon axe (exie) ». Côté lumière, la maladie nous dit « Anneau Rex I », le désir d’alliance (anneau) avec le roi (Rex) divin (I). Cette maladie des hauteurs renvoie directement au mythe de Prométhée qui traite justement du paradoxe de l’alliance et de la liberté. Un dernier mot pour la route et pour le plaisir : l’interdit. « Inter-dit » se lit ce qui est « entre les dits » et, d’une manière plus métaphysique, ce qui est « entre la déité (DIT) ». L’inaccessible, pour nous les hommes, c’est bien sûr tout ce qui n’a pas encore été verbalisé, tout ce qui est resté dans le monde du silence sans jamais recevoir aucune définition, même très imprécise. Tout ce qui n’est pas formulé nous est interdit. N’oublions pas que formuler un interdit c’est déjà dire quelque chose et par conséquent sortir de l’inter-dit. Le véritable interdit, c’est l’inimaginé et le non verbalisé, là où les mots sont absents. Et pour celui qui a la foi il s’agit de tout ce qui n’est pas dieu. Mais c’est là seulement une question d’éclairage puisque la déité est « d i t », dieu est Parole.

Par leurs sonorités et la forme de leurs lettres les mots cherchent à nous dire quelque chose. De ce point de vue la langue serait semblable à une entité vivante avec sa vie, son histoire et son sens intrinsèque porté par des mots-symboles. Si les couleurs, les formes des lettres et leurs sonorités font symbole il est temps à présent de tenter une définition de ce terme.

Les symboles, le langage de l’être

L’hypothèse d’une préexistence de forces signifiantes peuplant le monde imaginal et d’une interaction permanente entre celui-ci et le monde psycho-physique habituel à deux conséquences : le phénomène de synchronicité et le réel symbolique[4]. Les symboles sont les traces laissées par des archétypes entrés en contact avec notre monde. Un marcheur laisse l’empreinte de son pas sur le sol meuble. Un archétype marque la Terre de manière similaire. La taille, la profondeur et la forme de l’empreinte du soulier informe l’observateur sur la corpulence, le sexe et la direction du promeneur. Les formes, les couleurs et les sonorités du symbole révèlent partiellement la nature de la force signifiante qui est passée par là. Le symboliste observe ce qui transparaît derrière ce qui apparaît. Certes, il ne « voit » pas tout. Il ne verra jamais tout car l’empreinte n’est qu’une faible partie de sa cause. C’est pourquoi un symbole est à la fois polysémique et incomplet. Polysémique car il manifeste la richesse d’un archétype, incomplet car ce n’est là qu’une « signature ». Et la signature n’est pas la personne.

Face à un symbole, il est essentiel de tirer sur le fil d’une lecture qui se profile sans s’arrêter benoîtement aux premières conclusions. De plus, comme dans le laboratoire scientifique, c’est toujours la nature qui a raison et non les théories ou les espérances humaines. C’est pourquoi une interprétation symbolique ne devrait jamais rester isolée afin d’éviter l’écueil la projection et l’imagination. L’interprétation se confirme lorsque plusieurs faisceaux de sens concourent vers la même direction. Prenons un exemple. La forme serpentine de l’intestin rappelle les circonvolutions du néocortex ; le serpent est symbole, entre autres, d’une transgression pour la connaissance ; la « panse » du bas résonne euphoniquement avec la « pense » du haut ; le latin « in-testus » signifie « dans la tête » ; des neurones agrémentent la paroi intestinale ; le labyrinthe gestaltique renvoie au mythe d’Icare et à sa folle tentative d’égaler l’Esprit par l’esprit ; la fonction de l’intestin consiste à séparer le bon grain biologique de l’ivraie, elle est analogique à celle du cerveau qui sépare la vérité de l’erreur ; lorsque l’enfant n’a pas envie d’aller à l’école il a mal au ventre : tous ces indices convergent vers une même idée force tendant à faire de l’intestin un « cerveau » sur son propre plan. Du reste, suprême ironie de la langue française, les « tripes » forment l’anagramme du mot « esprit ».

Une autre clef de lecture consiste à conserver dans un coin de notre mémoire le fait qu’un symbole représente très souvent une chose et son contraire, fidèle en cela à la nature de l’archétype qui est à la fois ombre et lumière. C’est ce que Jung appela la « conjonction des opposés ». Ainsi la pomme, symbole infiniment riche et polysémique, contient plusieurs idées contraires. La conscience de veille (« ma pomme » = « moi ») et la perte de cette conscience (« tomber dans les pommes ») ; l’imaginaire chrétien à curieusement associé ce fruit à l’arbre du Paradis et au processus de la chute, malgré le fait que la Genèse ne précise nullement la nature de cet arbre-là. Or la chute est précisément le premier pas vers la conscience de soi : « et ils virent qu’ils étaient nus » précise le texte[5] après la sortie de l’Eden. La pomme est encore un symbole de concorde puisqu’elle fut offerte par Gaïa au couple Zeus-Héra pour honorer leur mariage… et de son contraire, la discorde que met en scène le jugement de Pâris qui entraînera le divorce de la belle Hélène et la guerre de Troie. Elle symbolise aussi l’immortalité (la Freïa germanique) et la mort (le fruit empoisonné des contes). Lorsqu’un symbole commence à révéler sa double nature, c’est là un indice sûr que le fil sur lequel tire le symboliste est bien enraciné dans un archétype ! L’aspect contradictoire du symbole est garante de l’évolution et de la transformation permanente du monde du sens. Sans cette conjonction des opposés rien de vraiment nouveau ne pourrait apparaître. Nous avons un vague reflet de cela lorsqu’une science, sous la pression des paradoxes qui la bousculent, change de regard sur le monde et ouvre des voies de recherche totalement nouvelles. Dans le monde du sens la contradiction, loin de signer l’erreur comme dans l’univers objectif, désigne la force de la vie en action.

Une autre manière d’évoquer la polysémie du symbole consiste à introduire la notion de dégradation de l’archétype. En descendant en quelque sorte de l’invisible vers le visible la force signifiante perd de son ampleur et se colore des systèmes de croyances générés par les cultures spécifiques et par l’histoire de l’humanité. En d’autres termes un symbole n’est jamais « pur » car il appartient à un temps et à un espace donné. Ainsi, par exemple, dans toutes les traditions du globe l’acquisition de la connaissance s’accompagne toujours d’un rapt et d’une transgression. L’univers nous rappelle sans cesse et partout que des forces contraires s’opposent au connaître et que celui-ci n’est atteint que si l’homme trahit le monde des dieux. Cette grande idée est pourtant mise en scène de manière particulière par chaque tradition culturelle et religieuse. Le Prométhée Grec vol le feu du soleil de son propre chef, l’Adam biblique écoute les recommandations de sa compagne et du serpent. D’autres cultures évoquent encore bien d’autres péripéties, mais toujours autour de cette idée centrale du vol, de la transgression et de la punition. Il existe donc plusieurs « niveaux » de manifestation du symbole depuis sa dimension universelle jusqu’aux symboles personnels en passant par les grandes images culturelles. Les images des rêves son personnelles, les drapeaux nationaux sont culturels, le thème du vol du feu est universel. Pourtant tous se relient à un ou plusieurs archétypes fondateurs qui en sont, en quelque sorte, la source.

Un langage s’appuie sur des mots, leur assemblage forme des phrases. C’est là une construction spécifiquement humaine. La nature muette à inventé une autre manière de dire qui elle est. Le langage de l’Etre parle par la voie des symboles, ses phrases sont des assemblages d’images symboliques. C’est là la définition la plus simple du mythe. Une histoire mythologique est en fait une constellation de sens, ce sont des symboles qui ont décidé de vivre leur vie ensemble et d’accompagner la nature dans une direction particulière. Analogiquement ils réalisent ce que savent faire les cellules sur la plan biologique : s’associer pour former des organes et des organismes.

Il existe enfin des systèmes analogiques comme l’astrologie, les tarots, l’arbre des séphiroths et les sept rayons de la tradition théosophique qui franchissent un pas supplémentaire. Ces systèmes théorisent le monde symbolique et tentent de représenter la nature des forces vives du monde du sens. Ce sont des théories analogiques, les équivalents des théories logiques que nous connaissons dans le monde scientifique.

En résumé l’Etre possède des mots pour se manifester (les symboles), des phrases pour dire ses valeurs (les mythes) et une grammaire pour se comprendre (les systèmes analogiques).

Le symbole ne démontre rien, il se contente de montrer

Il serait dangereux d’appliquer la logique de la cause et de l’effet au monde symbolique. Ce serait aborder cet univers avec des catégories qui lui sont étrangères au risque de furieux contresens. Les symboles, les mythes et les systèmes abstraits qui tentent de les ordonner sont là uniquement pour montrer. Ils ne démontrent absolument rien car ils ne relèvent pas d’une logique causale. Une fois encore ce n’est pas la force électromagnétique du feu rouge qui arrête les automobilistes, ni le choix de cette couleur pour dessiner le drapeau nazi qui fut à l’origine de la seconde guerre mondiale ! Ce sont là des évidence. Pourtant c’est devenu un lieu commun que de parler d’« influences » astrales, de l’effet des lettres hébraïques sur la conscience du méditant, ou encore de la « carte de rayons » qui structure et organise la nature d’une personne. Que fait-on alors ? Les vieux automatismes de la pensée sont durs à amollir : un effet sans cause semble impossible. Aussi, pour sauver la mise, l’intellect imagine des causes plus qu’improbables. Les influences astrales sont au moins aussi faibles que l’intensité de la lumière du feu tricolore, sans parler du fait que des lieux d’où n’émane aucune énergie (un drapeau, un point géométrique de l’espace comme le second foyer de la lune autour de la terre[6], une forme géométrique particulière, une photo) s’avèrent avoir des impacts considérables dans le monde psycho-physique. Alors la pensée qui a horreur du vide saute sur ses vieilles catégories et imagine une causalité pour émousser le vertige qui l’étreint. Comment dès lors comprendre cette situation impossible : un effet sans cause ? Dans un premier temps il est sage pour l’apprenti symboliste de remettre cette question à plus tard car ses conséquences sont immenses. Toute connaissance commence par une longue observation avant d’oser des théories. Or le symbole est le langage de la nature et de l’inconscient, par lui le monde objectif et l’univers de la vie intérieure nous parlent de leur nature profonde. Une nature saturée de sens, une nature emplie de vérité. Gœthe exprimait déjà cela d’une manière saisissante en notant que « le bleu du ciel est déjà la théorie du ciel ». Le premier pas vers le monde symbolique consiste à entrer dans le non-savoir. S’il est vrai que le sens existe en soi, alors le mieux sera de laisser de côté nos systèmes de croyances pour ouvrir notre conscience et notre cœur au silence des dieux, des plantes, des étoiles, des sonorités et des images. En bref expliciter et transmettre le sens d’un symbole est grand consommateur d’informations scientifiques, mythologiques, artistiques, historiques, littéraires, biographiques et ésotériques. Maiscomprendre un symbole suppose un oubli momentané de tout cela par l’acceptation d’entrer dans notre ignorance jointe à une ouverture sensible à la présence du sens qui cherche à se révéler à notre conscience. L’exploration du monde du paradoxe impose au chercheur de se mettre lui-même dans l’état paradoxal de la docte ignorance.

L’opérativité du symbole

C’est là une évidence pour qui s’est penché sans a priori sur la question. L’astrologie parle fidèlement de la personne, les tarots répondent de manière surprenante aux questions des consultants, tout comme la lecture dans le marc de café[7], dans les entrailles des animaux sacrifiés, ou encore dans le tirage des tiges d’achillée qui détermine les oracles du Yi King. Si les systèmes symboliques sont efficient, les symboles le sont aussi : contacter intérieurement une plante à coté de soi peut induire un processus de guérison. Ce sont là les travaux du Dr. Bach à l’origine des Elixirs Floraux. Un témoignage digne de confiance, et vérifié par l’Eglise Catholique,  nous a rapporté avoir vu une photo de la Vierge accrochée à un mur pleurer. J’ai aussi rencontré en Inde un yogi qui, comme Saï Baba, matérialise des cendres (le vibuti) afin de nettoyer le karma de la personne à qui il s’adresse[8]. Un autre maître spirituel à ce pouvoir, entre autres choses, de transmettre la grâce divine à travers ses photographies[9]. Sans même aller jusque là il est possible de montrer que les mythes grecs qui fondent en partie notre culture occidentale sont encore vivants aujourd’hui[10]. Accepter l’opérativité du symbole est difficile pour la mentalité moderne car cela questionne les fondements même d’une culture construite sur la rationalité du monde. Alors la tentation est grande de nier tout cela en bloc, ou encore de le réduire à une improbable causalité. Pourtant, pour celui qui a commencé à voir le symbole, le chemin de son opérativité se déroule devant lui dans une aveuglante et déstabilisante évidence. Comment dès lors penser le monde symbolique ? Est-ce seulement possible puisqu’il semble se situer en dehors de nos processus mentaux habituels ?

Les lois de l’univers symbolique

Nous n’avons là-dessus, à ce jour, qu’une réflexion fragmentaire. Nous avons déjà évoqué quelques « principes » de base :

  • Le symbole est le lieu du paradoxe et de la contradiction
  • Il est polysémique
  • Il ne fonctionne pas selon une logique causale et déterministe
  • C’est un langage naturel, celui de la nature et de l’inconscient, composé   de mot, de phrases et d’une (ou plusieurs) grammaire
  • Il dévoile un monde analogique où plantes, planètes, humains, « anges » et minéraux sont reliés par le sens
  • Un sens qui se révèle, les construction de l’esprit humain lui font obstacle
  • Il est opératif
  • Il se contacte par l’intermédiaire du cœur

Ajoutons encore que sa fonction première, donnée par  l’étymologie de symbolein(« réunir ») consiste à rassembler des mondes qui, d’habitude s’ignorent. Notamment la réalité objective avec le royaume subjectif et le monde spirituel.

Les mythes et les symboles organisent notre réalité au moins autant que les lois mises en évidences par la science. Par contre ils sont « platoniciens » dans la mesure où leur action est indépendante du niveau d’organisation auquel ils s’adressent et du support matériel qu’ils utilisent pour transparaître. Ainsi le mythe de Prométhée marque à la fois les plans spirituel (l’ardent désir d’Eveil), historique (le siècle des Lumières), musicaux (la 9e Symphonie), biographiques (Beethoven), pathologique (l’anorexie, la migraine), social (la Révolution Française), philosophique (la liberté) et économique (le libéralisme). Evidemment toutes ces manifestations du sens sont très différentes les unes des autres, mais elles sont toutes animées par une même « intention », une même « âme » : celle qui aspire violemment à une nouvelle alliance avec un monde rénové. C’est pourquoi le symbole à le pouvoir de réunir : en rassemblant par le sens des modes d’expression jugés très disparates au premier abord. Il s’oppose bien sûr au « diabole » qui règne sur une autre opération fondamentale : la division.

La démarche scientifique se fonde justement sur la division et la comparaison. Deux attitudes que récuse la démarche symbolique. Non que la science soit « diabolique », mais elle est réellement pertinente là où règne la mort : dans le monde des objets. Rappelons qu’il n’existe pas aujourd’hui de théorie du vivant, mais seulement un amoncellement d’observations qui ne nous disent rien sur la vie. Le symbolisme est le langage naturel de la psychologie car il porte le sens. Pourtant, si la science a besoin de la pensée analytique et séparatrice pour se renouveler, le symboliste qui ne considérerait que cet outil aurait de la difficulté à percevoir les essences qui affleurent derrière la multiplicité des formes. Ici, c’est le cœur qui est le canal de la connaissance. Plus large le cœur est ouvert, plus sensible il est, plus le monde symbolique devient une évidence. Le mental prendra seulement ensuite le relais pour expliciter les informations perçues. La démarche symbolique impose de renoncer au sacro-saint principe d’objectivité expérimentale et demande d’oser relier notre intérieur avec notre extérieur… jusqu’à ce que cette différence s’efface dans la conscience de l’unité du premier avec le second et que grandisse le sentiment d’unité : c’est cela le réenchantement du monde.

Repenser l’homme et sa fonction dans le monde

Malraux remarquait un jour que chaque grande époque de la civilisation occidentale était  tendue vers le développement d’un type d’homme idéal fondé sur sa représentation du monde, à l’exception de la nôtre. Le Grec défendait l’idéal d’un homme libre capable de discuter d’égal à égal avec les dieux ; le Romain celui du sénateur qui respecte le droit et affirme le pouvoir de l’Etat ; le Moyen-Âge à vu l’émergence du personnage du Chevalier au service de sa dame et en quête du « graal ». Le dernier en date, l’Empire Britannique, à produit la figure enviée du Lord. Quelle image emblématique de l’homme propose la société industrielle ? Quel idéal humain avons nous à offrir à nos enfants ? Il y a bien sûr les images du chercheur, de l’ingénieur, du technicien et du commercial. Mais ces gens-là sont les conséquences de notre manière de penser rationnellement le monde plutôt que des idéaux capables d’élever la nature humaine vers la fine pointe d’elle-même. Notre époque rationnelle assèche en quelque sorte les incroyables richesses potentielles de l’être humain en le réifiant, conséquence inattendue d’une objectivité mécanique érigée en règle de pensée. Or le monde symbolique nous oblige à repenser la nature humaine et son rôle au sein de son environnement visible et invisible.

Imaginons un instant ce que serait un monde où le symbole à droit de cité. Un monde qui aurait intégré dans son quotidien un hypothétique « Discours de la Mythode » dont le symbole serait la pierre angulaire. Celui-ci « porte » en quelque sorte le sens, exactement comme les mathématiques « portent » notre compréhension du monde objectif. L’analogie s’arrête là. En effet, lors de l’exploration l’espace intérieur du chercheur se substitue au laboratoire de recherche ; le sens esthétique remplace le sens pratique, la subtilité se substitue à la force ; le non-effort et l’acceptation de l’inconnu priment sur l’effort et l’accomplissement d’objectifs assignés ; le lâcher prise marque la victoire alors que la conquête est l’indice de l’échec ; la coopération devient de plus en plus une évidence naturelle alors que les restes de l’esprit de compétitivité marquent l’inaccomplissement du sentiment d’unité  du réel.

La chose n’est pas aisée dans notre modernité, ce monde qui déplace des montagnes non pour aller vers les jardins d’un quelconque Prophète, mais pour creuser des autoroutes vers le soleil d’un midi profane. Ce monde-là multiplie les occasions de bruit et de bavardages, il effraie des milliers colombes qui s’envolent à tire d’ailes, contrariant ainsi l’ardente intuition de Nietzsche qui affirmait que « ce sont des paroles silencieuses qui apportent la tempête ; des pensées qui viennent sur des pattes de colombes dirigent le monde[11] ». Ce monde moderne confond la douceur avec la faiblesse, par sa barbarie même il réfute, non le symbole – puisque celui-ci est inhérent au réel – mais toute opportunité de voir l’enchantement de la Terre qui sourit au regard symbolique.

Or la Terre est aussi un enchantement. Ce n’est pas seulement une carrière à ciel ouvert où tous les ambitieux et tous les assoiffés de reconnaissance jouent aveuglément comme dans une cruelle cour de récréation.

Les arbres, les arbustes et les herbes « disent » au moyen de leurs formes, de leurs couleurs et de leurs textures, les liens sympathiques qu’ils maintiennent avec les étoiles, mais aussi avec les organes du corps humain. Par ce qu’ils sont, ils décrivent très précisément leur sens : ce qu’ils soignent, et l’équilibre perturbé que leur simple présence réajuste. Poursuivant sur cette voie l’écologie se fait sensible. C’est une écologie à mille lieues de la compréhension intellectuelle du fonctionnement des écosystèmes. L’écologie sensible perçoit la beauté de la nature, dialogue avec les plantes et les rivières, un peu à la mode amérindienne, où encore dans l’esprit des travaux d’Edward Bach sur les élixirs floraux. Alors le jardin terrestre n’est plus seulement un monde assujetti aux caprices de homme mais un univers vibrant et vivant où l’être humain trouve sa place en devenant une fleur parmi d’autres fleurs. Pour la première fois, par la médiation du symbole, l’homme perçoit directement la nature de la Nature au lieu de projeter sur elle ses rêves, ses angoisses et ses théories. Une société attentive à la présence vivante et vibrante du réel, à l’âme du monde, développerait une écologie naturelle où l’humanité ne serait plus considérée comme un enfant capricieux que doit allaiter la Terre-Mère - ou encore comme un apprenti maître du monde enivré par ses nouveaux pouvoirs - mais comme une consciencesensible co-participative à l’évolution des autres règnes de la nature selon leurs propres lois. Dès lors, avec cette conscience-là, comment serait-il possible de mettre en danger le biotope ? Là où la loi et la force échouent, le simple changement de regard fait merveille.

De même, lorsque le corps parle de ses souffrances, lorsque la maladie dit le mal auto-infligé par celui qui ferme ses oreilles aux hurlements tragiques du Destin qui l’a     pelle, le bistouri supprime le symptôme… et entérine d’un coup vif la surdité ontologique du patient. Inversement, celui qui voit et entend que son corps symbolise un mal-être au moyen de la maladie évite la fuite dans l’absorption des pilules « miracles » des officines. Il verbalise le dit du mal, le « mal a dit », chacun le sait. Ainsi, lorsque le symptôme se fait parole, lorsqu’il devient conscience de quelque chose, celui-ci disparaît car il n’a littéralement plus « lieu d’être ». Une lecture symbolique du corps humain et de ses pathologies révolutionnerait les concepts médicaux aujourd’hui en usage… ainsi que le gouffre de la sécurité sociale !

Et puis il y a la vie quotidienne. Un jour, un journaliste demanda en substance à Einstein : « à votre avis, quelle est aujourd’hui la question la plus importante à résoudre ? » De la part d’un éminent scientifique la réponse attendue concernait un problème de physique important pour l’époque. Mais pas du tout. Einstein répondit : « aujourd’hui, la question essentielle est de savoir si l’univers est accueillant ». Etonnant, non ? Et pourtant ! Ô combien est-il essentiel de vérifier si l’univers est bon. Car s’il est « accueillant » plus rien ne justifierait la compétitivité, la concurrence, l’effort, la guerre, la société de contrôle et la hiérarchie autoritaire qui fondent notre réalité commune. S’il ne l’est pas, par contre, il est légitime de fonctionner sur la peur et de se barricader derrière des lois, des serrures de sécurité et une attitude de méfiance les uns envers les autres. Or que nous apprend le regard symbolique au quotidien ? Que les événements de notre vie sont les reflets exacts de nos plus intimes pensées. Tout ce qui nous « arrive » n’appartient ni au hasard ni à la fatalité, mais est là pour éveiller notre conscience sur notre nature profonde. Les événements de notre vie sont autant de messages qui nous rappellent sans cesse qui nous sommes. Alors nous comprenons que l’univers n’est ni bon ni mauvais, il est simplement juste. C’est un fidèle reflet, à travers les événements qu’il nous propose de vivre, de nos peurs, de nos angoisses, de nos joies et de nos espoirs enfouis.

La Terre enchantée par le symbole n’est pas un paradis new-age où tout le monde s’aime et se respecte dans l’utopie infantile d’un paradis de facilité, de facticité à vrai dire. Regarder droit dans les yeux les messages symboliques demande du courage. Le courage et l’humilité de sa fragilité ; le courage nécessaire pour l’ouverture de sa conscience vers des zones encore inconnues de soi-même et, finalement, le courage de l’amour de celui qui sait se laisser toucher par la nature du réel sans jamais le répudier ni chercher à le transformer.


[1] Le scientisme est la science comme idéologie, c’est-à-dire la croyance non démontrée que tous les phénomènes sont produits par des interactions matérielles mesurables et quantifiables. Le XIXè siècle avec Auguste Comte fut l’apogée de cette croyance élevée au statut envié de vérité. Bien que les données de la mécanique quantique et l’extraordinaire intelligence du vivant questionnent aujourd’hui cet a prioribeaucoup de penseurs contemporains adhèrent encore spontanément à cette vision du monde.

[2] Il serait trop long de l’argumenter ici. C’est fut l’objet de deux ouvrages que nous avons publié ailleurs L’Homme Réunifié (éd. de Janus) traite de la complémentarité entre les deux hémisphères du cerveau. Sur cette base nous avons cherché à développer une méthode pour explorer le monde du sens et répondre ainsi au « savoir faire » de l’hémisphère droit. La Force du Symbolique (Dervy) poursuit cette réflexion en explorant les caractéristiques et les limites des quatre grandes approches de la connaissance : la raison scientifique, l’approche systémique, l’analyse symbolique et l’exploration directe par le contact intérieur avec le monde du sens.

[3] Georges Dumézil, dieux et mythes des Indo-Européens () ainsi que la courtisane colorée ? La société chinoise n’est pas Indo-européenne, mais on peut montrer que le yin et le yang auquel s’est beaucoup intéressé Leibniz pour fonder le langage binaire occidental « universel » est en fait un cas particulier de cette logique ternaire. Sur Leibniz voir le numéro 28 des « génies de la science » qui lui est consacré.

[4] Il ne faut pas confondre le réel symbolique et la symbolisation du réel auquel procède l’enfant lors de son apprentissage. Le « réel symbolique » considère que la nature, le langage et l’inconscient sont en soi des symboles qui expriment à leur manière la nature de la nature, le sens profond des mots et la personnalité du rêveur. Symboliser la réalité est une opération mentale qui a pour objectif de se représenter le monde extérieur. Elle est à la source de la culture.

[5] Une autre raison est peut-être en relation avec le latin pomus qui signifie « fruit » et à donné en français le mot « pomme ». Mais c’est une explication qui reste centrée sur une langue vernaculaire.

[6] Ce point est la « lune noire » dans le système astrologique.

[7] J’étais il y a quelques années en voyage en Turquie, nous étions quatre. Un chauffeur de taxi avec qui nous avions sympathisé nous a proposé de rencontrer un homme qui avait ce don de lire dans le marc de café. Chacun d’entre nous fut vivement impressionné par sa lecture à tel point que, voyant notre réaction, il décida d’abréger afin de ne pas trop nous vexer !

[8] Swami Sri Lakshhmanacharya est un yogi qui habite dans l’Inde du sud, à Renigunta près de Tirupati. Il appartient à une longue lignée de yogi conseillés des princes de Mysore. Dans la grande tradition hindouiste il reçut sept années formation incluant divers exercices de méditation, de mantras et de musique, complétées part douze ans de solitude dans l’Himalaya sous la direction de son maître spirituel. Dr. en médecine ayurvédique il possède une double formation scientifique et yogique.

[9] Bhagavan, voir le site Internet où est présenté son « travail » : http://www.onenessuniversity.org. Son ashram, la Golden Age Foundation, se situe à 80 Km au nord ouest de Madras.

[10] Voir par exemple l’ouvrage que nous avons consacré au mythe de Prométhée. Son analyse symbolique relève bien des composants de notre modernité, en montre les limites et suggère une manière de ne pas se laisser broyer par l’idéologie du Progrès. Nous avons également montré que l’œuvre et la vie de Beethoven pouvait se comprendre à la lumière de l’aventure du Titan. (Luc Bigé ; Prométhée, le mythe de l’homme, publié aux éditions de Janus). Sur le rôle du mythe dans l’histoire voir également les ouvrages de Gilbert Durand, notamment son « introduction à la mythodologie » publié au livre de poche.

[11] Nietzsche, Ecce Homo.

La voie symbolique

L’être humain possède deux hémisphères cérébraux fonctionnellement distincts. Est-ce là un pur hasard où est-ce plus fondamentalement une dualité propre à la nature du réel ? L'hémisphère gauche est « scientifique » : avec lui nous nommons les objets, les mesurons, les pesons et les soupesons. La partie droite préfère quand à elle le global sur le local, la synthèse à l’analyse, l’image au mot.

Puisque notre cerveau est, bien plus qu’un outil de compréhension intellectuelle du monde, un produit biologique de l’évolution il semble légitime d’imaginer que la nature se construit et évolue selon deux modalités : la causalité scientifique représentée biologiquement par le fonctionnement de l’hémisphère gauche du cerveau, et un mode d'image représenté par le fonctionnement de l’hémisphère droit du cerveau. N’oublions pas cependant la complémentarité et l’unité des deux hémisphères : chaque objet, chaque situation est à la fois le fruit d’une logique analytique et d’une logique par l’image.

Avant de détailler cette étrange « logique par l’image » il convient de revenir un instant sur la méthode scientifique, sa nature et ses limites.

N’est objet de science que ce qui est mesurable, quantifiable et répétable. Cela fonctionne très bien lorsqu’il s’agit du trajet d’une pierre lancée en l’air ou du mouvement d’une foule dans une rue. Par contre des choses aussi simple qu’une couleur commencent déjà à poser des difficultés. Certes nous savons caractériser sa longueur d’onde mais nul ne saurait dire pourquoi le rouge est réputé « chaud » alors que le bleu représente une teinte « froide ». C’est, du reste, et nous verrons pourquoi, l’inverse de la réalité physique puisque la longueur d’onde du bleu est plus énergétique que celle du rouge.

La science n’examine que la dimension objective et quantitative du réel. Tout ce qui ne se pèse pas échappe à sa pertinence. Certes, l’adrénaline génère de puissantes et impondérables émotions, pourtant ce qui est mesuré ce n’est pas l’émotion elle-même mais le taux de médiateur chimique. Qu’elle différence objective existe-t-il entre un robot qui lève un bras et un être humain effectuant cette même opération ? Une chose fondamentale que nous appelons l’intention. Or qui dit intention dit mise en œuvre d’un sens. Celui-ci ne se voit ni ne se mesure en soi. C’est une perception globale qui, analysée, reste déconfite.

Les outils scientifiques ne savent pas faire de différence entre le robot qui lève son bras et l’homme effectuant la même opération : dans les deux cas un influx électrique autorise l’opération. Trop souvent cette incapacité méthodologique à quesionner le sens conduit les chercheurs à prétendre à son inexistence, à assimiler l’homme au robot.

Peut-on affirmer l’inexistence du grand vent en cherchant à l’attraper avec un filet à papillons ?

Les trois sens du sens

Aujourd’hui trois hypothèses indémontrées sont candidates pour expliciter la nature du sens, la force de l’intention.

  • L’idée partagée par la grande majorité des scientifiques, et notamment les biologistes, comme quoi le sens est un épiphénomène produit par la biochimie du cerveau. La signification se construit un peu par hasard en fonction des rencontres, du potentiel génétique, des aléas naturels, de l’éducation et de la culture.
  • La seconde hypothèse postule que le sens est le fruit naturel de l’évolution de l’univers, précisément sa troisième émergence. Qu’est-ce qu’une « émergence » ? C’est l’apparition d’une nouvelle qualité auparavant totalement inconnue. Par exemple lorsque l’oxygène mélangée à de l’hydrogène produit de l’eau que se passe-t-il ? Deux gaz donnent naissance à un liquide : le passé ne se répète plus comme dans la reproduction par exemple, mais il devient tout autre. Une propriété littéralement inimaginable apparaît : comment concevoir à priori un liquide sur la base de deux gaz ? Les trois grandes émergences totalement inattendues et pourtant parfaitement réelles de l’histoire de l’univers furent successivement l’apparition de la matière à partir de l’énergie lumineuse, la naissance de la vie organique sur la terre à partir de la matière, l’éveil de la conscience du sens chez l’homme à partir de l’immense réservoir écologique. Selon cette hypothèse de l’émergence matière, vie et sens étaient potentiellement contenues dans les lois de l’univers dès son origine. Elles ne font, en quelque sorte, que se rendre visible grâce au processus de l’évolution. Dans ce cas notre rapport au sens n’est plus individualiste et hasardeux comme dans la première hypothèse ; il ne nous appartient plus, nous en sommes à la fois le produit, le révélateur et le véhicule.
  • La troisième hypothèse sur le sens du sens est d’ordre transcendante. Des philosophes comme Hegel et Husserl se placent dans cette optique. Le monde du sens, l’univers métaphysique de l’Esprit, « tourne autour » du monde physique décodé par la science. De temps à autre ces deux univers se télescopent, de ces frottement naissent les étincelles du génie, les synchronicités, les grandes œuvres artistiques, littéraires, philosophiques et scientifiques.

Comment décider entre ces trois lectures d’un sens artificiellement produit par l’homme, d’un sens émergent fruit de l’évolution de l’univers et d’un sens transcendant au dessein peut-être à jamais mystérieux ?

Nous l’ignorons. Remarquons qu’ils ne s’excluent pas nécessairement l’un l’autre. Les panneaux de circulation routière (sens conventionnel produit par le cerveau humain) côtoient l’habileté naturelle des oiseaux à faire leur nid (émergence du sens) et la grâce divine (transcendance du sens).

La voie symboliqueTrop souvent l’intelligence de la nature - l’habileté des oiseaux à construire des nids - est réduite à la logique robotique des mutations et de l’adaptation des plus aptes à l’environnement (la sélection naturelle). Pourtant, sans entrer dans une argumentation trop longue, certains exemples de comportements biologiques sont édifiants, et difficilement interprétables, sans admettre des intelligences émergentes qui accélèrent le simple jeu du hasard darwinien. Que penser en effet de ce groupe des Foraminifères – un groupe de Protozoaires – qui présentent d’une espèce à l’autre des inventions analogues, les unes physiologiques et les autres techniques, avec des solutions intermédiaires. Une espèce sécrète une carapace de silice, une autre la fabrique par soudure de paillettes de mica glanées au fond de l’océan, une troisièmetisse une sorte de cote de maille avec des spicules d’éponge. Enfin, quelques individus maçonnent des chausses trappes indépendantes de leur corps, grâce auxquels ils capturent de petits crustacés. Qui sont-ils ces génie capables de telles prouesses ? des humains ? Non, bien sur, seulement des êtres formés d’une seule cellule pesant moins d’un millionième de gramme ! Sur les côtes de la Corse prospère une très grande moule, la Pinna. La pieuvre la convoite mais elle n’a pas une puissance suffisante pour forcer les valves. Alors elle va chercher de petits cailloux qu’elle dispose près de la Pinna puis attend patiemment que celle-ci se mette à bâiller. Aussitôt la moule ouverte la pieuvre place adroitement les cailloux dans la charnière des valves et attaque le pauvre mollusque, lequel essaie sans succès de se refermer. Victorieuse par ruse, la pieuvre dévagine son estomac sur sa victime et la digère. Une fois repue, elle va plus loin : après avoir enlevé les cailloux elle s’installe dans la coquille et referme les valves sur elle à l’aide de ses tentacules. Ainsi la Pinna lui assure bon souper, bon gîte… et bonne cachette pour chasser à l’affût des proies plus mobiles.

Il est étrange de constater à quel point les humains occidentaux, imbus de leurs ruses dites intelligentes, ne se différencient guère des autres organismes vivant tout en les considérant comme de pures mécaniques perfectionnées. Cette intelligence de la nature partagée depuis le protozoaire jusqu’à l’homme n’est-il pas un argument en faveur de la thèse de l’émergence du sens ?

Or comment explorer le monde de la signification si celui-ci relève des seconde et troisième hypothèses ? La pure mécanique biologique reste insuffisante. Si le monde du sens existe en soi – qu’il soit immanent et/ou transcendant – la logique scientifique est constitutionnellement aveugle… et prétend que ne pas voir cette réalité là est synonyme de son inexistence.

Pourtant, si l’homme possède deux hémisphères cérébraux fonctionnellement distinct n’est-ce pas là une indication pour penser que la nature elle-même se construit selon deux logiques différentes ? Par la voie de la causalité scientifique et par la voie symbolique ; par un traitement « cerveau gauche » de l’information et par une perception « cerveau droit » du monde du sens.

De ce point de vue les symboles seront une voie d’exploration du monde invisible et impondéral, exactement comme les mathématiques sont une grille de décodage de l’univers matériel. Alors une simple fleur exprimera à la fois un mécanisme biologique et un sens métaphysique (ou l’expression de l’émergence d’une signification présente dans l’univers).

La voie symbolique...

...explore la pressente présence du sens partout dans la nature. Elle ne peut pas être scientifique car la signification ne répond pas aux critères méthodologiques de la science.

Alors que faire ?

Les mythes et les sociétés traditionnelles ont conservé des éléments de réponse à cette question.

Les trois voies de contact

La mythologie grecque conserve en mémoire trois personnages liés à l’acte de connaissance :

  • Chiron, le centaure guérisseur est habile dans la médecine par les plantes, il enseigne les dieux et les héros, c’est aussi l’inventeur des constellations.
  • Apollon, dieu solaire tenant sous sa protection les pythies oraculaires de Delphes
  • Dionysos entouré des ses ménades, ces « femmes folles » en transe, semant la terreur tout en rétablissant l’harmonie perdue.

Tous dispensent un savoir magique, non rationnel, et pourtant guérisseur. Dans le monde magique l’acte de connaissance est un acte de guérison. Il existe donc trois voies de contact entre le visible et l’invisible, entre la matière et l’information.

Chiron : le sens par le symbole

Chiron (« main ») serait le créateur légendaire des constellations. Il apprit d'Apollon et d’Artémis les arts de la botanique, de la médecine, de la musique et de l'astronomie. Il pouvait prédire l'avenir d'après les étoiles. Il enseigna sa science à Dionysos, Achille, Hercule, Asclépios, Jason, Castor, Pollux, et Orphée qui, tous, devinrent des argonautes. C’est le précepteur des Héros. Une flèche empoisonnée lancée par Hercule le blessa accidentellement. Souffrant d’un blessure incurable, il finit par donner son immortalité à Prométhée.

La blessure de Chiron est le fruit d’un « accident », c’est-à-dire d’une injustice.

Cette injuste blessure symbolise le fait d’être placé dans une situation extérieure qui semble inacceptable : exil, guerre, persécution raciale, exploitation. La vie semble absurde, elle parait ne plus avoir de sens. Une rage inconsciente (la souffrance incurable) se met en place comme système de défense face à cette injustice. Chiron symbolise la nécessité de renoncer à une vision enfantine d’un monde idéal afin d’accepter la vie dans toute son imperfection là où l’on est.  Avec Chiron il s’agit d’apprendre à se servir de sa blessure comme de quelque chose qui nous permet de guérir et d’enseigner. Là où on fut blessé on a gagné le droit de guérir les autres. Par sa connaissance vécue de la douleur, par son expérience, il sait ce qui est juste pour guérir l’autre. Le guérisseur blessé enseigne en se servant de la souffrance et de l’injustice pour reconstruire quelque chose qui fait sens et guérit. Ce qui fait sens ce sera la lecture des signes dans le ciel : l’astrologie.

Finalement, avec Chiron, le sentiment d’injustice lié à la conscience de la souffrance et à son absurdité pousse l’homme à interpréter les signes du destin présents dans la nature, à contempler les messages du ciel, à lire dans le foie du mouton, Bref ! à s’ouvrir à autre chose qu’à lui-même en contemplant l’infini.

Dionysos : le sens par la transe

C’est là la voie chamanique. L’ingestion de plantes psychotropes, le jeune, les épreuves d’endurcissement comme la solitude, la répétition de stimuli acoustiques et visuels provoquent un abaissement du niveau de la conscience objective. Cette atténuation de l’être au monde, cette dissolution de la présence à soi-même, conduit l’apprenti chaman au cœur même de son angoisse, à la lisière de sa propre mort. Là, s’il sait convenablement chevaucher son ivresse, il pénètre dans le monde des esprits, reçoit des informations sur la conduite à tenir, guérit les disfonctionnements physiques et psychiques des membres de sa communauté. Dans cette état où l’être atteint le seuil du chaos il conclut un pacte avec lui. Alors son intention se révèle toute puissance : elle guérit, tue, illumine, brûle parfois, et lui apporte la clairvoyance. Par la transe l’explorateur découvre un monde de synchronicités permanentes au-delà de toute éthique. Sa conscience perçoit avec acuité la nature signifiante des plantes, des animaux et des esprits. Rien n’est plus là « par hasard », chaque chose est comme magiquement à sa place dans une étrange et innommable banalité.

Apollon : le sens par le détachement

La voie apollinienne de contact avec le monde du sens procède exactement à l’inverse de la précédente.  Au lieu d’entrer dans son chaos intérieur en plongeant dans sa propre labilité le prêtre Apollinien garde toute sa conscience, rien que sa conscience, en en laissant s’évaporer tous les contenus. Par la méditation, l’observation détachées de pensées, des émotions et des sensations, il se désidentifie de ses tuniques de peau jusqu’à ce que la pure lumière de la conscience-connaissance le touche de son aile. Alors, comme la Pythie, il profère des paroles oraculaires, dans un langage symbolique souvent mystérieux aux oreilles des auditeurs.  Car cette conscience là ne parle pas la langue descriptive des humains. Son expression se rapproche de la poésie ce mode d’expression le plus chargé de sens et le moins lourd en mots.

Ces trois voies de contact avec la présence du sens sont autant de tentatives pour établir consciemment un dialogue avec les intelligences de la nature. Le chercheur plonge, en quelque sorte, dans les trois dimensions de l’espace. Par le haut il rencontre le soleil apollinien d’une pure conscience dégagée des gangues de la matière ; par la descente dans les profondeurs il se laisse chevaucher par des forces signifiantes appelées « esprits » ; par l’horizontalité de la vie quotidienne il observe les signe, autant de clin d’œil d’un sens devenu visible en se densifiant en événements, objets, formes, couleurs et sons.

Apollon, Dionysos et Chiron ne sont pas thérapeutes au sens moderne dans la mesure où, en ces époques mythologiques reculées, le concept de développement de la personnalité était vide de sens, mais il procédaient néanmoins à des guérisons en reconnectant l’individu à une harmonie perdue : celle de son lien intelligent avec l’univers. C’est là en réalité la spécificité de l’homme, bien plus que la technique ou le langage qui ne sont que des floraisons des capacités animales. L’homme est l’unique créature de la biosphère qui sait lire et interpréter les signes, qui transforme sa danse en transe ou s’assied sur un zafou pour méditer, immobile et silencieux.

L’occident chrétien n’ignorait sans doute pas cela puisque les trois vœux monastiques visaient précisément à expurger l’animal de l’homme afin de l’ouvrir à l’une des ces trois voies de contact.

Le vœu d’obéissance freine le puissant et instinctif besoin de liberté des animaux non domestiqués. Il contraint notre pulsion animale à dire « oui » au monde, à accepter totalement ce qui est, jusque dans ses recoins les plus inacceptables et les plus injustes. Le sentiment d’injustice et la perte de sens qu’implique l’obéissance est certes une cruelle ascèse. Mais imagine-t-on un instant les souffrances de Chiron qu’aucune herbe jamais ne soigne ? l’absurdité de la blessure contraint l’homme qui a choisi la voie du Centaure d’accepter l’inacceptable. La contrainte sur sa liberté extérieure a pour finalité de lui apprendre la liberté intérieure. Il n’y a point là de miracle mais la perception intime, profonde, que tout ce qui arrive est fondamentalement juste et à sa place dans l’économie de l’univers. Il réalise alors la profondeur métaphysique des paroles que Voltaire met dans la bouche de Candide : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles.

Le vœu de pauvreté freine le puissant et instinctif besoin de propriété des animaux. Le marquage, la défense et l’élargissement du territoire sont des rappels de la présence de l’animal en l’homme. En ce sens aller sur la Lune n’a rien de spécifiquement humain, il n’y a donc pas de quoi s’en glorifier ! L’engagement à la pauvreté contraint le désir de possession à se retourner de manière à ce que l’être humain puisse accepter d’être possédé par un « esprit », par l’une des nombreuses forces signifiantes qui zèbre l’invisible. Cette difficile ascèse du dénuement jusque dans l’acceptation de la mort est source d’une métanoïa par où la richesse extérieure se transforme en richesse intérieure. Telle est, idéalement, la voie du chaman.

Le vœu de chasteté freine le puissant et instinctif besoin de reproduction des animaux. Il contraint la sexualité à se retourner afin que l’ascète accumule suffisamment d’énergie dans son corps et se prépare à être fécondé par l’Esprit sans risquer d’exploser sous l’impact d’une trop grande différence de potentiel qui foudroierait son corps non préparé. Cette grande métamorphose pour la naissance  de l’Enfant spirituel en l’homme est accomplie par le méditant qui cultive, seconde après seconde, la divine indifférence, le détachement de toutes ses identifications. Sans cette capacité il serait immédiatement aveuglé par la lumière des intelligences du monde magique.

En réalité l’obéissance rend libre, la pauvreté rend riche et la chasteté rend fécond. Toutefois ces outils extraordinairement puissant pour sortir l’homme de la vie animale, s’ils sont appliqués aveuglément sans intention et sans conscience de leur raison d’être génèrent de nombreuses pathologies et, en définitive, augmentent l’asservissement de l’homme de bonne volonté. Beaucoup l’ont, hélas, compris ! Sous prétexte de travail spirituel les religions créent parfois des zombies dépendant, dénués et frustrés.

Chiron, Dionysos et Apollon nomment la triple voie symbolique. Ce chemin délicat et plein d’incertitudes  n’est autre que le col de l’utérus par où l’homme-animal du passé pourra un jour accomplir sa véritable dimension d’être humain.