Causalisme et/ou symbolisme : un débat fondamental (2)


Nous affirmions dans un précédent article, sans l’argumenter, que l’astrologie ne pouvait pas être scientifique. Je voudrais à présent présenter ici les quelques réflexions qui m’ont conduit provisoirement à penser cela.

L’astrologie traite de la question du sens. Or le sens est une question qui échappe complètement à la méthode scientifique. La science sait traiter des signaux mais pas des signes. Elle décode de « l’information », mais au sens de Shannon dans sa « théorie de l’information ». C’est-à-dire, pour simplifier, l’organisation statistique des 1 et des 0 dans une suite numérique. Entre dire qu’il y a plus de « 1 » ici que là et en déduire une signification il y a un monde. La nature du sens reste extrêmement mystérieuse pour le scientifique car les outils méthodologiques qu’il utilise dans sa quête de connaissance sont incapables de le saisir. Le sens n’est ni mesurable, ni quantifiable, ni répétable. Il est sans dimension, impondérable et spontané. Pas plus que le poème il ne supporte l’analyse. A ce jour au moins trois hypothèses sont envisageables sur le sens du sens :

  • Il s’agit d’un épiphénomène produit par le chaos neuronal et le jeu des médiateurs chimiques. C’est là la position scientifique classique qui suppose que le sens naît de la matière.
  • Il s’agit de la troisième émergence de l’histoire de l’univers. Depuis le Big Bang l’univers s’est déployé en donnant naissance successivement à la matière puis à la vie biologique.Et  aujourd’hui vient la troisième émergence avec l’apparition de l’homme porteur de la conscience de soi. Tout se passe comme si l’univers s’était créé un cerveau pour se penser, un œil pour se voir, une main pour se transformer… et un être humain pour prendre conscience de lui-même. Cette thèse développée pour la première fois par Sri Aurobindo est à présent développée par certains physiciens quantiques et astronomes.
  • La troisième hypothèse est de type hégélienne : il existe, parallèlement à notre réalité matérielle, un monde saturé de significations qui interagirait sans cesse avec la matière. Le processus d’évolution serait la conséquence de cette immense interaction entre l’Esprit et la substance.

Les astrologues causalistes considèrent, qu’ils ne veuillent ou non, que le sens est un épiphénomène transitoire produit par la biochimie de l’organisme humain. Il est réductible à une information. Même si une influence planétaire est un jour mise en évidence, sur les gènes par exemple, il restera à combler le fossé immense qui sépare le signal du signe, l’information du sens. Si l’automobiliste s’arrête au feu rouge ce n’est pas à cause du signal, de la force électromagnétique émise par la lumière, mais bien à cause de son sens symbolique. Personne n’a jamais vu un chien contourner spontanément un tapis rouge ni se recueillir méditatif sur un banc d’église. Les humains en sont capables, rien ne les « influence » pourtant si ce n’est le sens du symbole, le sens du sacré, le sens du sens. Ce sens du sens peut-être intellectuel (le feu tricolore), culturel (le tapis rouge) ou profondément inscrit dans la nature humaine (le sacré). Les symbolistes se situent dans la seconde ou la troisième hypothèse. Signes et planètes disent plus que ce qu’ils sont du seul point vue physique, un peu comme le feu tricolore qui fait plus que ce qu’il ne pourrait faire en étant strictement scientifique[1].

Les deux lectures ne sont pas antagonistes. Ce week-end, alors que j’animai un séminaire sur la relation entre conte de fée et zodiaque, un étudiant tombe en panne de voiture. La logique causaliste cherche naturellement à cela une explication : défaut d’entretient du véhicule, etc. A la question que je lui posai sur le sens de cet événement il me répondit que cette voiture appartenait à son père décédé exactement un an plus tôt, et que son problème actuel était d’oser se dégager de « toutes les vieilleries » à lui léguées par cet aïeul. Certes il faut bien une cause pour produire un événement, mais le dit événement ne se produit jamais n’importe quand ni n’importe comment et, pour la personne, il est porteur de sens. Tout se passe comme si le monde du sens interagissait avec la réalité objective pour se dire : le symbole – ici la panne de voiture - est alors la trace laissée par un sens qui cherche à devenir conscient. Mais tout cela n’est absolument pas scientifique. Pourquoi ?

  • Par ce qu’« il n’y a de science que du général » (Aristote) : l’expérience citée plus haut est un événement rare, voire unique. De même un thème natal est unique. L’astrologie n’est pas une science, pas plus du reste que l’histoire ou la psychanalyse, car elle s’intéresse à l’unicité de la personne. La science prouvera que vous avez 99% de chance de ne pas avoir d’accident d’avion, mais elle est incapable de dire si vous, en tant que personne particulière, risquez de chuter en vol. L’astrologie par contre peut répondre à cette question, mais elle n’a aucun moyen d’évaluer la fréquence des accidents d’avion dans le monde. Ces deux approches sont donc complémentaires mais ne relèvent pas des mêmes critères de validation.
  • Parce que la science ne traite pas de la question du sens, or l’expérience citée plus haut est justement fondée sur le sens. Le thème astrologique de la personne dira les enjeux de la relation au père, mais pas que la voiture va tomber en panne ! Même si un astrologue suffisamment sensible au symbole peut émettre l’hypothèse de la panne. Le fait que l’événement prédit se réalise n’implique pas un déterminisme astrologique car un même sens peut toujours prendre plusieurs formes événementielles différentes pour se dire. Et s’il est conscientisé il n’a plus besoin de se dire.
  • Parce que la science ne sait pas s’occuper du temps. Or l’exemple de la voiture tout comme l’astrologie sont intimement liés à la nature du temps. Les équations de la thermodynamique, par exemple, supposent un temps réversible : ce que le monde réel rend impossible. Un sucre se dissout dans le café, l’opération inverse spontanée est infiniment improbable. La science réduit le temps à une variable « t », sans flèche ni contenu, contrairement à l’expérience courante. La pratique astrologique réintroduit la valeur du temps : chaque moment est littéralement lourd de sens. Tout se passe comme si, à sa naissance, l’enfant, totalement réceptif, était « imprégné » par des « forces signifiantes[2] » dont le temps est porteur. Remarquons au passage que mathématiciens et physiciens sont tellement embarrassés avec la nature du temps que les théoriciens des cordes se gardent bien d’ajouter des dimensions de temps supplémentaires à leur théorie, ils se contentent de modéliser un univers à 10 dimensions d’espace et une de temps.

Traiter l’astrologie par les voies de la science, et au passage affirmer que la science à le monopole de la connaissance, est pertinent mais très superficiel. Pertinent car les statistiques montrent un lien entre planètes et vie humaine ou animale[3]. Remarquons au passage qu’une statistique significative n’infère rien quand au « mécanisme » mis en jeu mais indique simplement une corrélation entre deux événements, l’un céleste, l’autre terrestre. Cette corrélation peut-être causale ou a-causle, aujourd’hui nous en sommes encore réduits aux hypothèses. « Superficielles » parce que la « scientifisation » de l’astrologie ressemble un peu à l’analyse d’un poème : le sens, la beauté, la liberté, le souffle, s’échappe de la coquille des mots épars laissée là, inerte, sous le scalpel de la pensée rationnelle. La difficulté, c’est que cette pensée rationnelle là ne comprend pas que c’est le souffle qui a façonné la coquille, que c’est l’inspiration du poète qui a su trouver cet arrangement de sonorités uniques, à nul autre pareil. Une telle attitude revient à vouloir enfermer le grand vent dans un filet à papillon et, face à l’insuccès, en conclure fièrement à l’inexistence de l’air. Les scientifiques prétendent aussi qu’il n’y a de connaissance que scientifique : c’est là une maladie infantile de la pensée. Ernesto de Martino, ethnologue italien étudiant la magie des peuples primitifs, a bien analysé la situation de l’observateur occidental aux prises avec les présupposés scientifiques :

« L’application de la méthode naturaliste aux phénomènes paranormaux, et la tentative de les prouver sur le plan où se meut la science expérimentale de la nature, révèle donc, à un certain point ses limites ou, plus exactement, une contradiction interne : pour les prouver, il faut les considérer comme s’ils étaient des phénomènes donnés, alors que leur caractéristique est justement de se trouver encore immédiatement inclus dans la sphère de la décision humaine et, par conséquent, de n’avoir pas de loi ou d’avoir plusieurs lois selon la libre démiurgie des représentations, des sentiments et des intentions de l’homme. La science expérimentale de la nature s’est constituée en prenant pour idéal une nature épurée de toutes les « projections », et cela non seulement dans la pure croyance, mais bien dans la réalité. Il en résulte que la simple possibilité de phénomènes paranormaux répugne intimement à l’histoire interne du mouvement scientifique moderne : pour accepter cette possibilité, ou il doit nier ses origines historiques en instituant une sorte de cryptogamie avec la magie, ou bien il doit dépasser son histoire propre pour essayer d’atteindre à un point de vue plus élevé, à une vision plus compréhensive[4]. »

La science s’est constituée en retirant le psychique de la nature, c’est un scandale pour l’esprit scientifique que de vouloir réintroduire une nature chargée de psychisme, que celui-ci soit simplement une présence qui donne des signes à l’homme (la pensée symbolique) où - pire ! - un facteur inconnu qui puisse interagir avec la matière (la pensée magique opérative).

Pourtant une astrologie purement causale résiste difficilement à l’analyse. Comment en effet expliquer l’opérativité des progressions par exemple ? Il s’agit là d’une technique purement symbolique qui fait appel à un temps passé pour expliquer un temps présent. Comment comprendre le passage de l’information à la signification, du signal au signe ? Comment expliquer l’extraordinaire logique interne du système astrologique qui, une fois décodée, permet de proposer de nouvelles significations sans interroger l’expérience, sauf pour vérification[5] ? Comment, tout simplement, comprendre le zodiaque tropique qui est un système symbolique fondé sur les nombres trois, quatre et douze ? Les tenants d’une astrologie causale devraient non seulement travailler en sidéral mais abandonner le zodiaque en ne conservant que les points énergétiques : étoiles, planètes, soleil et lune. Que signifie, d’un point de vue causal, des lieux géométriques comme l’axe des nœuds et la lune noire ? Que signifie, d’un point de vue causal, les parts arabes, pur produit du calcul ? Pour qu’il y ait influence il faut une source d’énergie. Pour les planètes et les étoiles on peut toujours en discuter. Mais pour le reste ? l’intersection de deux orbites n’a, d’un point de vue scientifique, jamais été considérée comme pouvant avoir une influence sur quoi que ce soit et ne le peut pas. Pourtant l’expérience astrologique montre le contraire. Alors il faut bien remettre en cause la méthode scientifique, ou plus exactement comprendre les limites de son champ d’investigation, limites imposées par la Méthode, et réfléchir à d’autres formes de rationalité : par exemple la logique analogique (Newton, Paracelse), la logique du tiers inclus (Lupasco) ou encore la logique cyclique dont la vie biologique est friande et dont la pensée orientale a magnifiquement su rendre compte.

In fine ce n’est pas la science qui doit affirmer ou infirmer l’astrologie, c’est le fait astrologique qui doit questionner la vision du monde imposée aux hommes par la science depuis quatre siècles. Et le défi est immense.


[1] Sur le déterministe scientifique et sa contradiction avec l’évidence de la vie quotidienne où chaque instant est un moment de liberté voir l’ouvrage de Henri Atlan La science est-elle inhumaine ? (Fayard,2002).
[2] Comment les nommer ? leur nature est encore inconnue : est-ce des idées platoniciennes, un champ morphogénétique, une catastrophe mathématique du genre plis ou fronce ? (voir l’article du précédent numéro).
[3] Voir l’étude de Suzel FuzeauBraesch « astrologie causale : une expérience sur les chiens » in la lettre des astrologues n°29. Ces résultats montrent que « l’influences » astrologique ne peut pas être culturelle, produite par l’imagination humaine. Mais elle ne permet pas cependant de trancher entre une causalité (par exemple l’action d’une force sur un gène) et une imprégnation de l’animal par un sens « transcendant », préexistant, source de son instinct. Ainsi, par exemple, René Thom « explique » le comportement agressif du chien par sa thérorie des catastrophes, de manière géométrique, sans faire appel à une influence matérielle.
[4] Ernesto de Martino Le Monde Magique p 67-68, les empêcheurs de penser en rond (1999).
[5] Nous avons développé cette logique symbolique dans deux ouvrages : La Symphonie du Zodiaque(2000) et Le Chœur des Planètes (2001) parus aux éditions de Janus.(info@janus.com).

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