Éloges de la faiblesse

Le chemin vers la victoire

Il y a dans le monde une voie toujours victorieuse et une voie qui ne l’est jamais. Celle qui est toujours victorieuse s’appelle douceur, l’autre, la voie qui ne vaine jamais : violence. Elles sont toutes les deux aisées à connaître, mais l’homme les ignore.

C’est pourquoi on disait, dans la haute antiquité : les violents l’emportent sur ceux qui le sont moins qu’eux-mêmes ; la victoire des doux provient d’eux-mêmes. Les premiers sont en grand danger dès qu’ils rencontrent leur égal, les seconds ne connaissent aucun danger. De ceux qui de cette façon se domptent eux-même, de ceux qui de cette façon se chargent du gouvernement du monde, on peut dire qu’ils vainquent sans vouloir vaincre, qu’ils gouvernent sans vouloir gouverner.

Maître Yu dit : « Désires tu la rigidité ? Tu l’obtiendras par la souplesse. Désires tu la force ? Protèges la par la faiblesse. Pratiques la souplesse et tu deviendras ferme. Exerce-toi dans la faiblesse et tu deviendras fort. Si tu observes donc avec attention la conduite (des gens), tu prévoiras leur avenir, malheur ou bonheur. Le violent vainc celui qui l’est moins que lui, mais, quand il se heurte à qui lui ressemble, il lui faut se durcir (il y a risque de cassure) ; la supériorité du doux étant en lui-même, il possède une puissance sans mesure.

Lao Tan dit :

« Les armes sont-elles puissantes ? Elles seront détruites.

Un arbre est-il puissant ? Il se brisera.

Ce qui est mou, ce qui est faible, voilà es amis de la vie

Ce qui est rigide, ce qui est violent, voilà les amis de la mort.[1] « 

 [1] Citation du Tao te King, 76

 

Le coq de combat

Ki sio-tseu dressait un coq de combat pour le roi Siuan de Tcheou. Dix jours (après le début du dressage), le roi s’enquit, « le coq est-il déjà bon pour le combat ? », l’autre répondit « pas encore, il est vaniteux et suffisant ».

Dix jours se passèrent, le roi réitéra sa demande. L’autre dit encore : « Pas encore, il réagit à chaque ombre, à chaque bruit ». Dix jours plus tard, le roi s’enquit de nouveau. Toujours rien, lui fut-il répondu. « Il a encore le regard trop irrité et un air triomphateur ». Enfin, après dix autres jours, comme la demande se renouvelait (Ki Siao-tseu) déclara : « Il y est presque ! Quand d’autres coqs chantent cela ne fait aucune impression sur lui. En le regardant, on croirait voir un coq en bois. Sa force intérieure (te) est parfaite. »

Les autres coqs n’osaient s’approcher de lui ; (au contraire), ils se détournaient et s’en allaient.

 

Extraits de Lie Tseu, Le Vrai Classique du vide parfait, p.88 et p.94, Gallimard.