La Marée Solaire

La Marée Solaire

Tout objet ou événement extérieur est susceptible de satisfaire à deux lectures : l’une, physique et quantitative, représentée par sa description et son observation objective ; l’autre, symbolique et qualitative, représentée par la perception intuitive de son sens. Appliquons cette logique-symbolique au système solaire en son entier en suivant la voie tracée par Rudhyar : l'inergie unitaire solaire se différencie au fur et à mesure de sa capture par les planètes et, ce faisant, révèle progressivement leur nature essentielle. Dans une optique symbolique, et par conséquent chargée de sens, nous pouvons considérer le système solaire comme un grand symbole cosmique dont le décodage clarifie les grands principes sur lesquels reposent toute construction : construction physique (une maison), biologique (une cellule), psychologique (un individu) et spirituelle (un Avatar). Planètes et luminaires sont les seuls composants du système astrologique à avoir une réalité matérielle indéniable. Signes et Maisons ont une réalité symbolique basée sur la puissance archétypale des chiffres de un à douze. Les Nœuds Lunaires, la Lune Noire, les planètes noires et, peut-être, d'autres lieux encore à découvrir, ont une réalité géométrique. Points vides de l'espace ils focalisent dans l’invisible - dans les profondeurs inconscientes du psychisme individuel et collectif - les inergies distribuées par les planètes. Dans une dernière série de facteurs astrologiques se classeront les parts arabes, le point d'illumination, la part d'Esprit etc., qui, tous, relèvent d'une opération arithmétique.

Les planètes sont des points de concrétisation d'un processus continu de croissance qui a sa source dans le Soleil, chacune d'elle est une étape à atteindre puis à dépasser dans un triple mouvement d'acquisition (phase cardinale), d'identification (phase fixe) et de lâcher prise (phase mutable) avant d'atteindre la station suivante.

 

Le Soleil

Unique par sa fonction - qui est de générer de l'énergie - et par sa taille, le Soleil apparaît ici comme source de vitalité. Prana, Ki ou énergie éthérique selon les traditions, il est l’énergie qui soutient tout organisme. Puissance rayonnante, il brûle d'une vive intensité en déversant de la lumière blanche, synthèse de toutes les couleurs. Sa correspondance microcosmique sera naturellement le noyau, le cœur, le centre de tout organisme, vivant ou inerte. Toute genèse, tout germe, prend son origine dans le Soleil réel et symbolique. Un organisme croît et crée toujours à partir de son centre, position indispensable car ce centre a un pouvoir intégrateur, pouvoir de gravitation ou de cohésion dans la nature, pour attirer à lui les "collaborateurs" dont il a besoin. Etre dans son Soleil revient à se placer au centre de soi-même, centre autour duquel gravitent tous nos "moi" transitoires et circonstanciels. Sur le plan astronomique, toutes les planètes sont confinées dans le champ d'attraction solaire. L'astre représente la force d'intégration qui permet à tout organisme de rester unifié. Sur les plans physique, biologique, psychologique et spirituel la fonction solaire sera toujours la même : une puissance d'intégration et de synthèse. Point-référence de toutes les planètes, il est le garant de l'unité du système solaire et, symboliquement, de tout organisme.

Mercure

Comme le suggère son mouvement oscillatoire décrit par les rapides passages de la planète d'un côté puis de l'autre de l'écliptique, Mercure sanctionne la première différenciation de l'énergie solaire. De plus son excentricité anormalement élevée (aplatissement du plan de l’orbite de la planète) suggère un mouvement d'inspir et d'expir, en réalité la naissance du rythme. Si le Soleil trouve sa correspondance avec le cœur des atomes, Mercure symbolise tout ce qui émane directement de ce centre. Ce sera l’électricité produite par un transfert d’électron, l’énergie nerveuse induite par une onde de dépolarisation, l’indice de toutes les différences de potentiel.

Avec Mercure naît la dualité - et la première dualité réside dans la polarité des particules chargées positivement et négativement - et par conséquent l’objectivation de l'immense puissance solaire indifférenciée. Avec la charge électrique apparaissent les premiers phénomènes d'attraction et de répulsion propres à Vénus.

Vénus

La mise en vibration du point solaire conduit naturellement à une nouvelle étape de la manifestation du cœur. Caractérisée, comme Uranus, par une rotation axiale rétrograde elle correspond à une individualisation de l’inergie. En effet si la révolution orbitale, qui est un mouvement autour d'un centre, se rapporte au collectif (comme cela est le cas pour le zodiaque, chemin parcouru par la Terre autour du Soleil), la rotation axiale se rapporte à l’individualité de la planète (les Maisons, rotation de la Terre en une journée). L'inclinaison de l'axe polaire par rapport à l'écliptique indique le degré d'implication de l'individu dans le collectif.

Vénus construit la forme archétypale ou ira se lover la matière lunaire, elle est le champ magnétique d'où émergent les lignes de force essentielles du futur individu. Uranus aura ce même rôle, construire un organisme unique et indépendant, mais du point de vue de l'affirmation extérieure (planète sise au-delà de l'orbite de la Terre) alors que Vénus, à l'intérieur de l'orbite de la Terre, définit sa forme essentielle.

La Lune

Satellite de la Terre, il procède à toute naissance. Naissance d'un organisme concret sur la base d'un champ de forme archétypal (Vénus) et de l'énergie électrique (Mercure). De par sa position privilégiée de satellite, la Lune se réfère essentiellement à toutes les expériences terrestres. Elle est centrée sur la Terre, sur le développement de la vie organique. A partir de notre planète les choses ne sont plus abstraites, mais reposent sur une cellule préoccupée de sa survie. La fonction de la Lune est d'offrir à la parcelle de vie (Soleil) qui a su se séparer de la totalité (Mercure) puis se créer une forme potentielle (Vénus), la substance adéquate à son expression concrète. Elle est directement concernée par tous les phénomènes de croissance, comme le suggère sa forme changeante. Elle nourrit l’être physique (aliments) comme l’être psychique (images, rêves).

Tous les facteurs lunaires (Nœud Nord et Nœud Sud, Lune, Lune Noire) sont circumterrestres, par conséquent ils décrivent l’évolution, le mûrissement puis le dépassement de l'ego.

 

Mars

Les organismes qui virent le jour à l'étape précédente ne demandent qu'à croître et à se multiplier, c'est une étape de conquête et d'invasion de nouveaux territoires.

Si l'énergie provient toujours du soleil, elle est assimilée par l'organisme lunaire. Aussi Mars représente l'activité, sous toutes ses formes, de cet organisme. Alors que le Soleil diffuse dans toutes les directions, Mars focalise son énergie dans une seule direction à la fois. Ici le plus faible disparaît irrémédiablement au profit du plus fort, c'est-à-dire ceux en qui l'énergie solaire est transformée avec le meilleur rendement. C'est une période de haute lutte. Au niveau biologique Mars symbolise la division cellulaire, la reproduction sexuelle, les comportements de défense du territoire et de conquête de nouveaux espaces. Cette planète est en relation privilégiée avec les organismes unicellulaires (virus, bactéries) et les organismes capables de transformer l'énergie lumineuse (chloroplastes) ou chimique (mitochondries). Cette phase d'évolution s'inscrit parfaitement dans la théorie Darwinienne de la sélection naturelle (Avec Pluton dans le rôle de facteur mutagène).

Les astéroïdes entre Mars et Jupiter représentent les obstacles que doivent surmonter les organismes biologiques pour s'étendre toujours plus loin. La phase de croissance se heurte nécessairement, tôt ou tard, à l'épuisement du milieu.

Jupiter

Lors de cette étape certains organismes comprennent les avantages de la coopération sur la compétition. Ainsi en est-il des Actinomycètes qui, lorsqu'ils disposent d'une grande quantité de nourriture sur le sol de la forêt, agissent comme un groupe de cellules individuelles, chacune étant indépendante de ses voisines et vaquant à ses propres occupations. Mais lorsque la nourriture vient à manquer, ces individus fusionnent en une entité collective. Ils se rejoignent pour devenir un être unique qui se déplace sur le sol de la forêt, et se séparent à nouveau lorsque la nourriture réapparaît. Cet exemple illustre clairement la fonction Jupitérienne qui est le passage d'un comportement individuel (Mars) à un comportement collectif sous la pression de la nécessité.

Avec Jupiter nous assistons à la formation d'organismes pluricellulaires mieux adaptés aux conditions difficiles de leur environnement. La synergie prime sur les efforts d'individus séparés et avides. Jupiter est cette fonction qui rassemble les siens en une unité plus vaste, il impose la formation de communautés de ressemblances. Communautés d'intérêts au niveau humain (corporations, partis, cercles d'amis, cercles de pensée…) ; au niveau biologique formation d'organes composés de cellules à même vocation. Ce rassemblement des cellules pour former des organes, et des hommes pour constituer des tribus, génère une nouvelle forme de chaleur . Une chaleur issue de la mise en commun du surplus d'énergie libéré par Mars, qui profite à l’ensemble de l’organisme ou de la communauté. Chaleur protectrice au sein de laquelle chacun va entamer le long processus de différenciation saturnien.

Saturne

Le grand processus d'attirance du semblable par le semblable mené à terme produit nécessairement des choses différenciées. Plutôt que de retourner vers une activité individualiste de type Martienne comme le fait l'actinomycète, l’organisme Saturnien découvre les avantages de la spécialisation et du cloisonnement. Les cellules se différencient, chacune accroissant sa compétence en vue de la production de quelques substances spécifiques. De plus, s'il souhaite maintenir cet embryon d'organisation interne, l’organisme doit apprendre à sélectionner les nutriments de son environnement en fonction de ses besoins. Il apprend, peu à peu, à fonctionner comme un tout séparé et autonome. Ici œuvrent les germes du processus d'individuation. Cette période saturnienne correspond à tous les processus de cloisonnement, de limitation et de structuration : la peau et les os en biologie, mais aussi les cellules hyperspécialisées comme les neurones, les frontières et les lois d'une nation, les moyens de production spécialisés (usines…), la Taylorisation du travail, etc.

N'oublions pas que si l'inergie vitale solaire paresse trop longuement sur l'une de ces stations planétaires elle creuse le sillon d'une impasse évolutive. Ainsi en fut-il des bactéries (Mars) comme de ses colonies de termites (Saturne), spécialisées à un tel degré de perfection qu'elles semblent défier le pouvoir transformateur du temps.

Idéalement l'énergie Solaire qui prit forme (Vénus) dans un organisme (Lune) fonctionnel (Jupiter) et spécialisé (Saturne) reflue vers son centre. Suite à la phase involutive d'incorporation de l’inergie universelle, vient la phase évolutive caractérisée par la formation d'une identité individuelle. Le corps biologique ou social précédemment élaborés deviennent le support d'une nouvelle qualité : la conscience de soi ou, sur le plan collectif, la conscience de groupe.

L’histoire d’Israël : les enjeux du processus de paix

L'histoire d'Israël et son avenir, vus par l'astrologie

Note : cet ouvrage fut écrit en 1995

Ce processus de paix commencé subjectivement en 1982 et officiellement en 1993, que va-t-il advenir ? Certes, ce que la clairvoyance des nations en fera ! Si cette clairvoyance a quelques chances d'être soutenue par la lecture cyclique et symbolique des processus historiques, c'est en dégageant aussi clairement que possible les enjeux du futur en termes de sens et de dates.

En termes de sens nous avons noté l'interférence de deux structures cycliques à partir de 1966-1967 :

  • Celle relative à la naissance puis à la consolidation de l'Etat israélienau sein du Moyen-Orient. Il s'agit du Grand Cycle Saturne-Pluton détaillé dans cet ourage, il arrivera à son apogée en 2001-2002.
  • Celle, plus générale, qui concerne l'ensemble de cette région du globe jadis représentée politiquement par les Empires byzantin puis ottoman. Sur les ruines de Baghdad (1055) puis sur celles de Byzance (1453) les Turcs construisent ce qui deviendra l'une des puissances majeures de l'Europe et du Moyen-Orient. Ce cycle est symbolisé par la séquence des conjonctions Uranus-Pluton. L'implantation des colonies juives en territoires occupés commencée après la guerre des six jours et inlassablement poursuivie depuis, malgré les accords d'Oslo, relève de la phase croissante d'un de ces cycles.

Les précédentes conjonctions Uranus-Pluton eurent lieu en 1850-1851, 1710-1711, 1597 et 1453-1455. Cette dernière date, nous l'avons déjà souligné, marque la fin de l'Empire Romain d'Orient. Le début des années 1850, date qui correspond aux premières implantations juives en Palestine, interfère avec les destinées de l'Empire ottoman sur le déclin. Cet Empire, que les chancelleries occidentales qualifiaient de "vieil homme malade", sera officiellement enterré en 1923 avec la proclamation de la République turque.

Il convient donc de replacer la naissance d'Israël dans un contexte historique plus large, à savoir la succession des Empires romain, byzantin puis ottoman. Tour à tour les Romains, les Grecs, les Francs et les Turcs ont envahi ces immenses territoires quasi-désertiques du Moyen-Orient. Seule la civilisation musulmane née à Médine avec Mahomet a su rassembler les tribus indigènes, les réunir au nom d'une foi commune, puis développer une civilisation florissante. Or l'Empire islamique vit - vivait - au rythme des conjonctions Uranus-Neptune alors que les "colonisations" successives sont symbolisées par les cycles Uranus-Pluton. Finalement, pour comprendre les enjeux contemporains du Moyen-Orient, il faut réfléchir non pas aux deux mais aux quatre structures cycliques qui, à des degrés divers, interviennent et parfois interfèrent :

  • La première, la plus importante en raison de son affinité avec la société juive d'Israël, nous l'avons analysée en détails en suivant pas à pas le G.C. Saturne-Pluton.
  • La seconde est relative à la nature et au devenir des peuples moyen-orientaux rassemblés sous une même foi, l'islam. Elle est symbolisée par les cycles Uranus-Neptune. Malheureusement, une argumentation de cette affirmation dépasserait le cadre de cet ouvrage. Notons simplement que l'enseignement de Mahomet (620-632) et la conquête extrêmement rapide qui s'ensuivit survinrent en synchronicité avec une conjonction entre ces deux planètes dans le signe de la Vierge en 623-624. Rappelons que le calendrier musulman commence avec l'Hégire, l'expatriation du Prophète et des premiers musulmans de la Mecque vers Médine, daté du 16 juillet 622.
  • La troisième est relative aux invasions du Moyen-Orient par des puissance militaires étrangères désireuses d'y fonder un empire : l'Empire romain d'abord, puis les Turcs et les Croisés. Les étapes de d'union et de désunion du moyen-orient sont scandées par les cycles Uranus-Pluton.
  • La quatrième matérialise - sens de Saturne - la fonction "Uranus" de la conjonction Uranus-Pluton de 1851-1852. Il s'agit des cycles Saturne-Uranus marqués par les conjonctions de 1897, 1942 et 1988. Ces cycles sont surtout représentatifs de l'évolution, de la transformation et de l'application de l'idée de liberté, une idée qui prit corps dans le champ économique sous la forme de la doctrine libérale et de l'esprit d'entreprise. Négativement cette fonction conduit, dans les domaines intellectuel et économique à la spéculation, et, dans l'univers social, au clivage entre riches et pauvres.

Le processus de paix n'appartient pas au même courant signifiant que la question des Territoires occupés relatifs à la conjonction Uranus-Pluton en Vierge de 1965-1966. Le premier parle de dialogue, de reconnaissance mutuelle des Etats palestinien et israélien, d'établissement de justes relations entre deux peuples ; le second réactive la mémoire collective des croisades et, plus proche de nous, les souvenirs de la colonisation franco-britannique perçue comme une ingérence occidentale. Or, le carré croissant entre ces deux planètes se formera seulement entre 2012 et 2015, dates où le processus de colonisation des Territoires risque de subir de profonds revers si une solution n'est pas trouvée d'ici là. A titre d'illustration, le demi-carré (45°) entre Uranus et Pluton était exact pour la cinquième fois le 9 décembre 1987, le jour même du début de l'Intifada à Gaza, suivie de son extension rapide en Cisjordanie.

En Israël cette conjonction Uranus-Pluton s'intègre dans un existant : une situation de tensions politiques où la survie de la nation est en jeu et une mentalité collective qui s'efforce sans cesse de concilier liberté et pouvoir au sein d'une "démocratie autoritaire". Partout dans le monde, en ces années de révolte, la liberté battait en brèche les systèmes répressifs. Or Israël, dans le même temps, installait un nouveau système répressif en territoires conquis.

Alors, qu'en conclure ?

Conclure, ce sera sans doute l'Histoire qui s'en chargera. Nous ne pouvons ici que proposer des hypothèses :

  • Le rêve du "Grand Israël" que crurent accomplir certains en occupant militairement Gaza et la Cisjordanie reçut, au milieu des années soixante, le "coup de pouce inergétique" de la conjonction Uranus-Pluton, une conjonction qui, à chaque fois qu'elle se forme, pose la question du dialogue entre Orient et Occident, fut-ce le plus souvent par les armes. En réalité, la question des Territoires occupés soude le fragile consensus qui réunit les pays arabes bien plus qu'elle ne permet de construire l'élargissement territorial d'Israël. Dans une certaine mesure elle nuit à la sécurité nationale puisque ce cycle Uranus-Pluton interfère dans les esprits avec le processus de paix qui devrait se matérialiser en 2001-2002 par deux Etats se reconnaissant mutuellement.
  • Ce rêve réactive les souffrances, les humiliations et les incompréhensions nées des croisades entre les trois protagonistes que furent les Latins, les Grecs et les Musulmans. Elles sont réactualisées à chaque ingérence occidentale dans le monde oriental. La question, aujourd’hui d'importance, d'une réunification des valeurs véhiculées par l'Orient et l'Occident se pose au rythme des cycles Uranus-Pluton. Israël, tant géographiquement que culturellement, pourrait devenir un point pivot pour cette réunification. Ce serait exprimer les valeurs d'Uranus (individualisme et démocratie) et de Pluton (puissance de la volonté et sens du Tout) d'une manière nouvelle, en cohérence avec l'évolution planétaire qui entre rapidement dans la société d'information. Les territoires ne sont plus géographiques mais intellectuels.
  • Si le futur est envisagé à coup d'idéologies et de visions à court terme la politique de colonisation des Territoires pourrait se poursuivre bon an mal an jusque dans les années 2012-2015, malgré le coup de semonce donné par l'Intifada au moment exact du demi-carré Uranus-Pluton. En 1987 l'esprit de liberté (Uranus) renaissait au mépris de la volonté de puissance (Pluton). Il renaîtra encore de manière plus violente et, surtout, plus définitive au moment du carré si rien n'est fait pour concilier ces deux fonctions inergétiques. Le monde arabe pourrait alors prendre conscience de son unité de manière plus concrète. Deux à trois ans auparavant, vers 2009-2010 lors du second carré du cycle 5, une nouvelle crise aura secoué l'Etat hébreu, une crise qui mettra en lumière les limites et les imperfections des accords signés en 1993 et matérialisés en 2002 sans que soit intégré un règlement de la question des Territoires occupés.

Si cette question des "Territoires" occupe bien une place à part elle n'en doit pas moins trouver une solution pour affronter la période cruciale de 2012-2015 avec sérénité.

La conjonction des trois cycles dès 1851-1852 suggère l'existence d'une confusion entre trois motivations qui guidaient l'installation des premiers colons en Palestine. Motivations qui, à l'époque, en raison même de la nature de la conjonction, étaient loin d'être claires :

  • L'implantation dans un territoire et, à terme, la création d'un Etat juif : le Grand Cycle Saturne-Pluton.
  • Une entreprise néo-coloniale visant à démanteler encore un peu plus l'unité politique du Moyen-Orient : les cycles Uranus-Pluton. Cette thèse est défendue par les pays arabes sous influence socialiste et, bien sûr, par les Palestiniens.
  • Le rôle de la Diaspora qui soutient financièrement et intellectuellement le projet national sans s'impliquer physiquement : les cycles Saturne-Uranus. Ces cycles, en réalité, dépassent largement le cadre de la Diaspora puisqu'ils scandent l'histoire du progrès scientifique et économique depuis 1760. Les motivations, ici, sont d'ordre financières et technologiques.

 

 

Cinq cerveaux pour un Sapiens

La coupe verticale d'un cerveau d'homo sapiens dévoile trois zones biochimiquement et fonctionnellement distinctes. Paul Mc Lean, chef du laboratoire de recherche sur l'évolution cérébrale et le comportement au National Institute for Mental Health, a montré que celles-ci correspondaient à trois étapes de l'évolution.

La partie située immédiatement sur le pourtour du tronc cérébral avec, notamment, le cervelet, est la plus ancienne. L'homme la possède en commun avec les reptiles, les tortues et les lézards. Ce cerveau reptilien contrôle les instincts les plus fondamentaux communs à toutes les espèces vivantes : la volonté de survivre, les rapports de force de type dominance/soumission, les rituels, la défense du territoire, les "forts" qui se liguent contre les "faibles", les parades sexuelles.

Au-dessus de cette zone de réflexes immémoriaux est venue se greffer au fil de l'évolution une nouvelle structure que nous possédons en commun avec tous les mammifères : rat, lapin, kangourou. Ce système limbique enregistre des émotions comme la faim, la soif, le plaisir, la douleur, etc. En bref il est le siège de la motivation. Avec lui l'organisme manifeste sa colère, sa peur, son intérêt, sa passion. Il gère le fonctionnement du système nerveux autonome et possède déjà la capacité de s'abstraire de l'immédiateté de son environnement. En effet, si le cerveau reptilien est le lieu du réflexe de survie, la stimulation du système limbique perdure longtemps après la disparition du stimuli. Il possède "une intelligence affective" grâce à laquelle il interprète à sa manière son environnement en réagissant sur le mode de la valeur : "j'aime ou je n'aime pas, c'est bon ou mauvais". Si on supprime le système limbique d'un singe il conserve ses capacités motrices mais son comportement ne ressemble plus à celui du singe. Il tentera de manger des ordures, de copuler avec des poules. En un mot il perd contact avec le savoir de son espèce, avec "l'esprit" du monde des singes.

Le troisième "cerveau", qui n'appartient qu'aux primates, et que l'homme a particulièrement développé, est plus connu : il s'agit du néocortex. Il contrôle les activités conscientes ainsi que les relations avec les événements extérieurs de l'environnement. Notons que la concentration sur une pensée ou un objet stimule particulièrement une petite zone spécifique du néocortex. Par conséquent la concentration est une diminution du champ de conscience. Ici le recul par rapport à la réalité immédiate atteint un sommet puisque, par la pensée, l'homme est capable de se "re-présenter" le monde, voire de le théoriser. Aucune trace d'émotion n'émane du néocortex. Il ne cherche pas à savoir ce qui est "bon" ou "mauvais" mais différencie le "vrai" du faux".

Au fond, chaque individu possède dans sa mémoire des comportements reptiliens, mammaliens et humains.

"Gay Talese dans The Kingdom of the Power a fait remarquer que la place où l'on s'assied dans la salle de rédaction du New-York Times n'est jamais fortuite. Comment ces gens si savants ont-ils appris à se comporter de cette façon - en lisant la description que fait Liewellyn Evans d'un combat de lézards noirs, pour la première place, sur un mur de cimetière ?"

D'après Paul Mc Lean les connexions anatomiques entre le néocortex et les deux cerveaux anciens sont relativement rares et transmettent l'influx nerveux lentement. Cette "schizophysiologie" serait responsable d'un profond déséquilibre du comportement humain qui se manifeste par une croissance exponentielle de la techno-science, alors que l'éthique n'évolue pas et reste confinée dans la vision idéaliste d'un Christ ou d'un Bouddha. Pourtant l'urgence d'une réconciliation entre l'intelligence du cœur et la perspicacité du mental est plus que jamais nécessaire à l'heure où la maitrise technologique de l'environnement est susceptible de matérialiser les démons les plus archaïques qui hantent l'esprit des organismes vivants. Une non intégration de ces trois cerveaux - reptilien, mammalien et néocortical - conduirait à une impasse évolutive et, à terme, à la quasi disparition de l'espèce. Des phénomènes tels que l'antisémitisme ou la diabolisation de la société occidentale par l'Islam intégriste ne sont pas nouveaux en soi. La différence - fondamentale - c'est que, aujourd'hui, le besoin de boucs émissaires qui jaillit des cerveaux anciens récupère à son profit le pouvoir d'action sur l'environnement développé par le néocortex. La diabolisation n'est plus simplement un moyen "naturel" d'exprimer ses peurs et ses angoisses. Une formidable synergie s'opère avec le développement scientifique de sorte que ce qui devait rester une expression émotionnelle envahit le plan physique et événementiel. L'holocauste n'est que la matérialisation de cela.

Ce que Jung appelait "l'intégration de la personnalité" sera probablement la grande œuvre du XXIe siècle, imposée par l'urgence du danger qu'induit l'actuel déséquilibre entre extériorité et intériorité, représentation du réel (néocortex) et expérimentation du monde (système limbique). Toute évolution se fait sous la pression de la nécessité ; nous en sommes cependant arrivé à un point où l'homme peut - doit - participer consciemment à ce grand processus dont la fin lui échappe encore.

A cette structuration du cerveau humain en trois zones fonctionnelles qui gardent les traces de la phylogenèse s'ajoute une division, en deux parties anatomiquement comparables, du néocortex et du cerveau mammalien (ou limbique). De sorte que l'homme possède cinq "cerveaux"

Le cortical gauche et le cortical droit

Le limbique gauche et le limbique droit

Le reptilien

L'hémisphère gauche, situé derrière l'œil gauche, donne des ordres à la partie droite du corps ; l'hémisphère droit, situé derrière l'œil droit, commande la partie gauche du corps.

Un pont de matière grise transmet les informations entre les deux parties du néocortex : le corps calleux. La commissurectomie, ou section chirurgicale de ces fibres, entraîne la perte de coordination entre les deux hémisphères cérébraux. Les informations perçues par l'un sont inconnues de l'autre. C'est précisément de telles opérations qui ont mis Roger Sperry sur la piste de l'autonomie fonctionnelle et de la spécialisation très poussée de chaque hémisphère.

" Si, par exemple, on donne à un patient commissurectomisé un crayon dans sa main droite qu'il ne peut voir, il peut immédiatement dire que c'est un crayon car sa main droite le connecte avec son hémisphère gauche. Mais si le crayon est placé dans sa main gauche, l'hémisphère droit reste silencieux, incapable de donner à l'hémisphère gauche l'instruction nécessaire pour décrire le crayon."

Cette spécialisation hémisphérique semble caractériser l'homme adulte. Elle n'existe ni chez les primates ni chez le nouveau-né jusqu'à l'âge de deux ou trois ans. Il est probable que cette différenciation soit en rapport avec l'apprentissage du langage. Dans l'état actuel des recherches il semble que 95% de la population traite l'information de la manière suivante :

 hémisphère gauche   hémisphère droit
 verbal  non verbal
 nomme   visualise

 analytique

 holistique (global)
 rationnel   intuitif
 traite des séquences en discontinu  recherche la synthèse
 le temporel  le spatial

Classification essentiellement occidentale valable pour un monde de droitiers qui écrivent de gauche à droite. Il semblerait que le fonctionnement cérébral des peuples extrême-orientaux, des Chinois et des Japonais, ne soit pas aussi spécialisé. De plus, en Occident, l'homme utiliserait préférentiellement la partie gauche du cerveau alors que la femme serait une adepte du côté droit.

Le cerveau gauche :

- Nomme et, par conséquent, objectivise le réel.

- Mesure et, par conséquent, normalise le réel.

Alors que le cerveau droit :

- Voit la totalité d'une situation et cherche à comprendre son unicité.

- Cherche la fonction de l'objet au sein de son environnement, 
c'est-à-dire son sens.

En s'appuyant sur les travaux de ces neurophysiologistes, Ned Hermann développa un outil capable de mesurer la dominance cérébrales des individus, complétant ainsi la description des caractéristiques fonctionnelles des quatre cerveaux, limbique et néocortical.

La description des diverses zones fonctionnelles du cerveau humain, si importante soit-elle pour la philosophie des sciences, ne répondra jamais à cette question plurimillénaire qui ressurgit aujourd'hui de manière cruciale : qu'est-ce que la pensée ?

Est-ce, comme le suggère John Eccles, prix Nobel de médecine, dans son livre Évolution du cerveau et création de la conscience " un champ de conscience dépourvu de masse et d'énergie, qui exerce pourtant une influence sur la transmission de l'influx nerveux en activant certaines particules biologiques élémentaires dans les synapse ", ou est-ce un épiphénomène fugace et transitoire généré par l'activité électrochimique des neurones comme le laisse entendre J.P. Changeux dans L'Homme neuronal ?

Force est de reconnaître que, dans l'état actuel de nos connaissances, il est impossible de trancher définitivement entre ces deux hypothèses de travail.

Le cerveau est-il organe de réception qui capte un "champ d'information" immatériel ou est-ce un créateur de pensée et de signification ? Se comporte-t-il comme le poste de radio qui décode d'invisibles et intangibles ondes, ou comme un caillou jeté dans l'océan du monde dont la chute infinie soulève une kyrielle de pensées frétillantes ?

L'histoire des sciences depuis Pythagore jusqu'à Newton montre que la cohabitation de ces deux a priori métaphysiques s'est, bon an, mal an, déroulée sans prise de pouvoir excessive de l'un sur l'autre. L'apogée de la culture Arabe, au XIIe siècle, fut même une héroïque tentative de synthèse entre ces deux manières d'appréhender la réalité. Or les trois derniers siècles du millénaire ont conduit la civilisation occidentale sur la pente dangereuse d'un déséquilibre en faveur du cerveau gauche analytique, rationnel, coupeur de cheveux en quatre dans le sens de la longueur, aux dépens de l'hémisphère droit plus synthétique, plus esthétique aussi.

Nous soulignions il y a un instant l'urgence d'un rééquilibrage et d'un fonctionnement complémentaire des deux hémisphères (du cerveau, de la planète) pour éviter la construction d'une société dangereusement schizophrénique. Une telle tentative impose de voir clairement les enjeux ainsi que les conséquences, tant philosophiques que pratiques, du déséquilibre cerveau droit / cerveau gauche. Il sera seulement possible, alors, de proposer des solutions ou, plus exactement, une méthode qui intègre analyse et synthèse (gauche et droite), cœur et intelligence (limbique et cortical).

Jung ou la métamorphose du vieil homme

Jung ou la métamorphose du vieil homme

Carl Gustav naquit un 26 juillet, sous le signe du Lion. L’ascendant du thème de Jung se situe en Capricorne, Saturne rétrograde en Verseau et en première maison. Dans un thème, l'ascendant représente toutes les expériences qu'il nous faut appri­voiser, découvrir et assimiler afin de gagner en liberté intérieure. Ces expériences sont toujours ten­tantes mais elles demandent de s'ouvrir à l'inconnu. Elles peuvent être sources de grandes satisfac­tions comme engendrer de puissants déboires. Tout se passe comme si l'individu devait expérimenter dans sa vie con­crète toute la gamme d'expression symbolique de cette nouvelle qualité d’être. Agissant ainsi, il expérimente un sentiment d'unicité et de liberté jamais rencontré auparavant. Alors que les inergies du signe ascendant doivent être ac­quises par l'expérience, celles du signe solaire font déjà partie de la personna­lité. Idéalement l'individu devrait s'appuyer sur la confiance en soi générée par l'expression des qualités du signe Solaire pour expérimenter, apprivoiser puis assimiler celles de son ascendant.

Très souvent, et pour cette raison, le signe à la pointe de la première maison est vécu de ma­nière plus excessive et surtout plus inconsciente quand aux conséquences, que le signe so­laire. Là ou est le Soleil, là est la conscience ; là ou est l'ascendant, là est le désir d'expérimenter.

On comprend pourquoi la première maison est essentielle dans un thème natal. Elle repré­sente le prochain pas à franchir en vue de l'évolution de la per­sonnalité repré­sentée par l'axe des noeuds de la Lune. La maison et le signe du maître de l’ascendant. représentent la manière (signe) et le champ d'expérience (maison) où l'individu ex­prime le plus aisément son unicité. Là, il se sent libre d’être vraiment lui-même. Là, il a le sentiment de grandir.

L’ascendant Capricorne de Jung souligne l'importance accordée par l'enfant à son père. Pour se sentir en sécurité il a besoin d'une référence masculine qui lui donne des limites claires et définies. Un enfant de ce type est souvent « attaché aux jupes de son père » par contraste avec l'enfant né avec un ascendant Cancer qui a toujours besoin de sa mère. Très tôt s'installe un processus d'identification et d'admiration pour l'image paternelle. Cependant la rétrogradation de Saturne ne favorise nullement cette identification à l'image père. La fonction « acquisition des limites » est tournée vers l'intérieur, incapable de percevoir avec mesure les règles imposées par la figure d’autorité. En réalité Jung à dans sa tête l’idée de ce que devrait être un père idéal, du coup il a tendance à juger l’homme en chair et en os, naturellement faillible, comme étant incompétent. La présence de Saturne en première maison souligne que sa quête essen­tielle est celle de son identité. Le défi proposé par Saturne en Verseau consiste à intégrer la nouveauté sans se laisser déstabili­ser. Une nouveauté qui prendra le visage de l’architecture et des formes géométriques abstraites propres au « mental supérieur » dont le Verseau et Uranus sont les représentants.

En une simple phrase le psychanalyste résume merveilleusement le paradoxe engendré par la présence simultanée d’un ascendant en Capricorne et d’une rétrogradation de Saturne[1] :

« "Père" signifiait pour moi digne de confiance et… incapable »

Ce père « incapable » joua pourtant un grand rôle dans la vie de son fils. Lorsque ses parents firent chambre à part - notons le carré Saturne-Lune du thème natal, la tension entre les valeurs masculines et fémi­nines dans la psyché de Carl Gustav se rejoue dans la mésentente de ses parents – l’enfant choisit de dormir dans la chambre de son père plutôt que dans celle de sa mère.

Ce fut encore son père qui lui offrit, lors de sa quatorzième année (opposition de Saturne à lui même), le plus beau cadeau qu'il ne reçut ja­mais :

"Mon père me glissa un billet dans la main et dit : tu peux maintenant aller seul sur le Rigi-Kulm; je reste ici, deux billets coûtent trop cher. Fais attention à ne pas tomber.

"Le bonheur me rendait muet ! Enorme montagne, si haute que je n'en avais jamais vu de semblable auparavant ! Si proche des montagnes de feu que j'avais vues dans mon enfance, déjà si lointaine ! J'étais en effet presque un homme: j'avais acheté pour ce voyage une canne de bambou et une casquette an­glaise de Jockey, comme il sied à ceux qui vont de par le monde et maintenant j'étais, moi, sur cette immense montagne ! Je ne savais plus qui de moi ou de la montagne était le plus grand ! Avec son souffle puissant la merveilleuse locomo­tive me propulsait vers de vertigineuses hauteurs où sans cesse de nouveaux abîmes et de nouveaux lointains s'ouvraient à nos regards. Enfin je me trouvai au sommet, dans un air nouveau, léger, inconnu, dans une immensité inimaginable : "oui me disais-je, c'est le monde, mon monde, le vrai monde, le mystère ou il n'y a pas de maîtres, pas d'école, pas de questions sans réponses, où l'on est, sans rien demander". Je me tenais soigneusement sur les sentiers, car il y avait de pro­fonds ravins. C'était solennel ! Il fallait être poli et silencieux, on était dans le monde de Dieu. Ici on le touchait réellement ! Ce cadeau fut le meilleur et le plus précieux que mon père me fit jamais."

Etonnante fraîcheur avec laquelle, à plus de 80 ans, Jung décrit cette scène !

La montagne, cette « inaccessible terre promise » de ses toutes pre­mières an­nées devint, à 14 ans, un lieu à conquérir. Mais l’adolescent n’a pas un Saturne direct, ce n’est pas un alpiniste parti à la conquête des sommets enneigés. En 1959 Hermann Hesse, qui avait ren­contré le psychanalyste disait de lui[2] : « Cet homme est une véritable montagne, un génie extraordinaire… ». A la fin de son parcours Jung était devenu « la montagne ». Il avait intégré en lui, digéré en quelque sorte, le symbole extérieur cher au Capricorne. Avec un Saturne direct il aurait pu devenir un grimpeur émérite, au lieu de cela il devint un archéologue du psychisme et découvrit la force et la profondeur de tous les sommets.

La relation avec la pierre, celle qui construit, la pierre du Capricorne, fut essentielle tout au long de sa vie. Toujours, il y trouva du ré­confort. Maçon talentueux, il avait un sens inné de la construction. Enfant, il s'amusait déjà à ériger des châteaux forts avec des presque rien, adulte il renoua avec le même jeu pour ne point sombrer dans la folie lors de sa difficile plongée dans son inconscient. A l'âge mûr il construisit de ses mains la tour de Böllingen, sa maison extérieure, symbole de sa réalisation intérieure. A la fin de sa vie il disait voir à travers la pierre ce que celle-ci lui demandait de sculpter. Il se contentait alors d’en révéler des formes. Toute l’existence de Jung fut un jeu de construction avec le rocher du Capricorne. Comme celle du facteur Cheval qui, avec une infinie patience, construisit son étrange palais dans la Drôme. Ici, avec la rétrogradation, ce qui est en jeu, c’est la construction intérieure dont l’élaboration de la maison extérieure est l’excuse.

Le sextile de Saturne rétrograde à Mars indique littéralement la capacité d'organiser (sextile) la pierre (Saturne) au moyen du burin (Mars)[3]. La co-dominante vénu­sienne ajoute à cela le sens esthétique. En sculptant, l'individu canalise ses énergies (Mars) pour cons­truire sa personnalité (Saturne en I). Dans ce contexte thématique le travail de la pierre est avant tout un travail sur soi.

Enfant, il avait sa pierre avec laquelle il entretenait un étrange jeu[4] :

« Assez souvent, lorsque j'étais seul, je m'asseyais dessus et alors com­mençait un jeu de pensée qui prenait à peu près la forme suivante : "je suis assis sur cette pierre. Je suis en haut, elle est en bas." Mais la pierre pouvait tout aussi bien dire : "Moi, je…" et penser : "je suis placée ici, sur cette pente, et il est placée sur moi" Alors se posait la question "Suis-je celui qui est assis sur la pierre, ou suis-je la pierre sur lequel il est assis ? - Cette question me troublait chaque fois; je me redressais, doutant de moi-même, me perdant en réflexions et me demandant "qui est quoi ?". Cela restait obscur et mon incertitude s'accompagnait du senti­ment d'une obscurité étrange et fascinante.

"... Cet instant m'est resté inoubliable , car il a illuminé pour moi, comme en un éclair, l'aspect d'éternité qui avait marqué mon enfance"

Vers l'âge de dix ans il sculpta dans sa règle un petit personnage « avec re­dingote, haut de forme et souliers reluisants » accompagné d'un petit galet peint qu'il avait découvert à proximité du Rhin[5].

"Le tout constituait mon grand secret auquel, d'ailleurs, je ne comprenais rien. Je portai le plumier avec le petit bonhomme tout en haut du grenier ou il m'était interdit de pé­nétrer. Je le cachai sur une poutre maîtresse de la charpente. J'en éprouvai une grande satis­faction, car personne ne le verrait. Je savais que personne ne pouvait le trouver là, que personne ne pouvait découvrir et détruire mon secret. Je me sentais sur de moi et le senti­ment troublant de désunion avec moi-même disparut."

Evidemment le personnage « en redingote et souliers reluisant » est, entre autres choses, une pro­jection de l'élitisme du Lion, de même que le jeu du « qui est qui » rappelle le goût du paradoxe et de l'inversion de la norme cher au Verseau. Cependant, c'est par l'entremise de la pierre que l'enfant se ré­concilie avec lui-même.

Remarquons qu'il existe deux « espèces » de pierre. Celle qui re­lève de Saturne, celle que l'on peut sculpter, et celle qui appartient à la symbolique de la Lune Noire. La Kabaa, la pierre sacrée de l'Islam, d'origine extrater­restre croie-t-on, en est l’image extérieure. Jung découvrit cette pierre sacrée en 1944, lorsqu'il faillit mourir. En songe sa personnalité se résor­ba alors dans une pierre lisse, noire comme du ba­salte et aussi dure que le granit.

Explorons à présent les diverses niveaux de lecture de la structure « ascendant Ca­pricorne / Saturne rétrograde » telles qu'elles furent expérimentées par Jung :

- Son identification inconsciente à son père eut pour conséquence de l'envelopper très tôt dans une aura de responsabilité et de sagesse. Enfant, il pa­raissait plus mur que son age. Parfois sa mère se confiait à lui comme elle aurait souhaité le faire avec son mari.

- Une grande puissance de concentration aida Jung toute sa vie durant. En réalité l'ambiguïté demeure, le thème suggère une surcompensation sous-tendue par un sentiment de ne pas se sentir à la hauteur de sa tâche. En ef­fet Saturne rétrograde ne serait pas maître d'un ascendant Capricorne, l'astrologue aurait volontiers suggéré une difficulté à ordonner son exis­tence et à gérer son temps.. Cette difficulté de poser clairement des limites devant les exigences du monde extérieur est assez typique de la rétrogradation de Saturne. De son propre aveu jamais Jung ne pouvait résister à un journaliste sollicitant un interview. Après un long débat intérieur entre le « oui » et le « non » il finissait toujours par accepter. De plus Saturne rétrograde en première maison est l’indice d'une déprécia­tion de sa valeur personnelle[6] :

« Tout succès l'étonnait, quelle que soit la joie qu'il lui causait et l'amertume qu'il éprouvait devant les critiques incompréhensives. Cependant le fait d'être compris et accepté constituait et demeurait pour lui un désir et une tentation. »

Son entourage était fasciné par ses longues journées de travail ou s'additionnaient séances d'analyse, lectures et écriture. Probablement compensait-il un sentiment de préciosité du temps qui toujours lui échappait. De même, comme le souligne sa biographe, Aniéla Jaffé, toute sa vie le conflit entre l'acceptation et le refus subsista (Saturne progressé reste rétrograde jusqu'à sa mort).

Ces quelques exemples soulignent à quel point on ne change pas son thème. Mais aussi à quel point il est loisible de l'approfondir dans une di­mension verti­cale, allant toujours plus loin dans la mise à jour des strates symboliques qui composent la personnalité.

Un saturne rétrograde devrait être vécu comme tel avec les désa­gréments que cela suppose dans l'appréhension de la réalité objective, et non transformé ar­bitrairement en un Saturne direct, du moins tant que les progressions n'indiquent pas le contraire. Une telle configuration astro­logique est un extraordinaire outil pour mettre de l'ordre dans son in­conscient. L'être sent intensément la pression des puissances subjectives qui cherchent à faire surface. D'une manière plus géné­rale une planète directe est aussi maladroite et inexpérimentée vis-à-vis du royaume sub­jectif que l'est une planète rétrograde par rapport à la vie objective.

Le sentiment de culpabilité symbolisé par la rétrogradation du maître de l’ascendant fut compensée par la lucidité envers soi-même typique d’un Soleil en Lion. L'un et l'autre s'articulent de la manière suivante[7] :

« Avoir des ennemis et être le plus souvent insoupçonné était pour moi inattendu, mais pas tout à fait incompréhensible. Tout ce que l'on me reprochait me mettait en colère. Cependant, au fond de moi, je ne pouvais pas le contester. Je savais si peu sur moi-même, et ce peu était si contradictoire, qu'il m'était impossible, en bonne conscience, de récuser un blâme. A vrai dire, j'avais toujours mauvaise conscience et j'étais conscient de ma culpabilité aussi bien actuelle que potentielle. Aussi étais-je particulièrement sensible aux reproches; tous m'atteignaient en un point plus ou moins vulnérable. Si je n'avais pas réellement commis la faute, j'aurais fort bien pu la commettre. Il m'arrivait même de noter des alibis pour le cas ou je serai accusé. Et je me sentais réellement allégé quand j'avais vraiment commis une blague. Alors, au moins, je savais le pourquoi de la mauvaise conscience. Naturellement je compensais mon incertitude intérieure en affichant une certitude extérieure, ou - mieux encore - la carence se compensait d'elle- même sans que je le veuille. »

L'expression « automatique » du Soleil en Lion est à rechercher dans l'interception du signe.

A la fin de sa vie, Jung découvrit le plus haut niveau actuellement connu des valeurs du Capricorne : le rôle du nombre comme facteur archétypal entrant dans la structure du monde psychique. Dans le royaume objectif (Saturne direct) le Capricorne symbolise l'esprit scientifique qui accumule des faits et des preuves expérimentales. Bien loin des envolées philosophiques du Sagittaire, il propose prudemment un modèle. Il scrute l'objet extérieur avec circonspection et lenteur mais arrive toujours à des résultats concrets, souvent spécialisés. La rétrogradation de Saturne en Maison I inverse le flux de l'attention consciente mais lui conserve toute sa spéci­ficité : Jung étudia « scientifiquement » le royaume de la psyché, il y découvrit les archétypes qui sont à l'univers intérieur ce que sont les objets à l'univers extérieur : ils ont une existence autonome et sont inconnaissables en soi. Le nombre-quantité qui entre dans les appareils de mesure et les équations mathé­matiques décrit l'univers objectif ; le nombre-archétype rythme l'évolution et la transformation des facteurs psychiques inconscients[8].

D'un point de vue plus événementiel, le psychanalyste termina sa vie en har­monie avec les valeurs du Capricorne. Sa maison de Böllingen était pour lui un refuge ou peu de personnes avaient l’autorisation de pénétrer. Comme l'ermite dans sa grotte, il y vivait sans eau ni électricité. Vêtu de vieux vêtements il refusait tout le confort mo­derne. Entre 1955 et 1957, deux an­nées durant, il grava dans la pierre son arbre généalogique.

Evidemment, il ne suffit pas d'être dépositaire d'un thème avec un ascendant en Ca­pricorne et un Saturne rétrograde, fut-il en première maison, pour s'appeler Jung. Gardons néanmoins à l'esprit que le psychanalyste réussit sa grande aventure grâce aux ingrédients psychiques contenus dans l’ascendant, mais aussi parce qu'il possédait une personnalité forte et affirmée (Soleil en Lion) ainsi qu'une facilité déconcertante à percevoir sous forme d'images les contenus de son inconscient (conjonction Lune-Neptune au Fond du Ciel et conjonction Soleil-Uranus en VII). Sa quête essentielle fut celle du sens (Lune Noire Sagittaire) bien qu'il finit par incarner dans sa personnalité la sym­bolique de la Montagne (ascendant Capricorne et Saturne rétrograde).



[1] C.G. Jung “Ma vie” p. 27, Gallimard (1973).

[2] Cité par Miguel Serrano dans C.G. Jung et Hermann Hesse p. 18 (Georg).

[3] Mars en Bélier forme un quinconce croissant avec Saturne dans le thème du facteur Cheval.

[4] C.G. Jung, Ma vie, p 40.

[5] C.G. Jung, Ma vie, p 41.

[6]Collectif, C. G. Jung et la voie des profondeurs p 43, La Fontaine de Pierre (1980).

[7] C.G. Jung, Ma vie p. 64-65.

[8] Voir l’ouvrage de Marie-Louise von Franz, Nombres et temps (La fontaine de pierre).

Les planètes rétrogrades en astrologie

Planètes rétrogrades en astrologie

Les planètes semblent parfois « rétrograder » dans le firmament, c’est-à-dire revenir en arrière. Au lieu de suivre le mouvement apparent du Soleil comme d’ordinaire, elles paraissent remonter le ciel à contre-courant. Ce phénomène est une « illusion d’optique » due à la proximité du corps céleste de la Terre. Pourtant sa lecture symbolique nous conduira à relever l’extraordinaire importance des rétrogradations dans la lecture du thème natal.

Les rétrogradations, la croix de la Lune Noire et les nœuds lunaires nous parlent des dimensions invisibles de l’être humain, de ces parties de nous-même qui ne savent se dire aux yeux du monde mais qui, pourtant, sont si importantes pour la transformation et le déploiement de la vie profonde de la personne. Les nœuds de la Lune marquent le point de rencontre entre la trajectoire apparente du Soleil et le mouvement de la Lune dans le ciel, ils nous parlent de la maturation de la personnalité, de la manière dont l’être pourrait utiliser ses acquis et sa spontanéité (le nœud sud) pour avancer sur le chemin du développement personnel par l’acquisition de nouvelles capacités (le nœud nord). la Lune Noire matérialise ce point de l’espace où l’orbite de la Lune est à son maximum d’éloignement de notre planète. Là dort le dragon de nos peurs les plus profondes (la lune noire corrigée) qui garde l’entrée de la grotte où se trouve le trésor de notre vie, l’absolu de vérité et de lumière autour duquel tourne toute notre existence (la Lune Noire moyenne). Et puis il y a les rétrogradations. A ce moment là les planètes s’approchent au plus près de la Terre. A nouveau la géométrie est sollicitée. Lors de la rétrogradation ce n’est pas seulement l’objet « planète » qui est important mais aussi le lieu géométrique de l’espace que ce mouvement contraire vient renforcer. Ceci, du reste, n’est guère étonnant puisque le zodiaque et les maisons astrologiques sont également un découpage de l’espace et n’ont aucune réalité physique matérielle. D’une certaine manière l’astrologie ressemble plus à une sorte de feng-shui cosmique qu’à un jeu d’ « influences » qui impacteraient les êtres vivants.

Novalis écrivit un jour dans son Brouillon Général cette petite phrase extraordinaire : « le temps est un espace intérieur ». La raison est incapable d’assimiler ces six mots. Par contre se poser en silence pendant plusieurs jours dans un endroit isolé du monde permet de prendre conscience de la profondeur de cette intuition géniale. Lorsque nous sortons de notre dépendance au rythme inexorable des événements du temps objectif il se passe comme un retournement. Le rythme intérieur surgit, l’espace intime se déploie, et le programme secret de l’être reprend ses droits et se remet en route. En ces moments privilégiés où l’être est comme suspendu à lui-même, l’évidence du sens surgit dans une étoffe douce et sensible. La rétrogradation d’une planète, vécue de l’intérieur et non jugée à l’aune des performances d’une planète directe qui se meut avec le temps de horloges, ressemble à cela : à ce temps suspendu, à cet espace intime qui se déploie chaleureusement à partir du cœur de l’être. Lorsque le temps objectif semble s’arrêter l’espace intérieur commence à se déployer. C’est là, en astrologie, la fonction des rétrogradations : permettre à la personne de renouer avec son programme intime en la déconnectant du temps extérieur de la vie dite « normale ». La rétrogradation est comme une porte qui ouvre la conscience vers les mondes intérieurs, vers les terres inexplorées de notre réalité magique.

Nous allons donc explorer le sens des rétrogradations selon plusieurs points de vue :

- En analysant symboliquement le sens de la boucle dessinée dans la ciel par la planète lorsque celle-ci se met à rétrograder. Il existe neuf points remarquables et un processus composé de cinq phases. La rétrogradation sera alors perçue comme une suite de transformations et non plus comme un handicap insurmontable.

- En questionnant la géométrie : que nous révèle le mouvement de la planète ? Que signifie par exemple que les rétrogradations de Mercure dessinent un grand triangle dans le ciel alors que Vénus, de son côté, affiche une magnifique étoile à cinq branches ?

- En développant des exemples d’interprétation afin d’illustrer, de vérifier (et rectifier) les idées précédemment développées. Ces exemples ont aussi pour utilité de montrer la nécessaire recontextualisation des rétrogradations dans l’ensemble du thème astrologique. En élargissant cette recherche aux personnages publics nous avons été surpris du nombre d’écrivains et d’orateurs possédant un Mercure rétrograde par exemple, alors que cette position est d’ordinaire réputée silencieuse avec une difficulté à exprimer clairement ses idées. Le illustrations proposées sont choisie parce que la planète dominante du thème astrologique est rétrograde. Cette « dominante » se réfère soit à la manière dont la personnalité dirige sa vie (Jung, Freud, Hitler), soit à la quête d’absolu qui à porté son existence, parfois jusqu’au sacrifice (Jeanne Guyon, Simone Weil, Alexandra David Néel, Satprem). Dans le premier cas de figure la planète rétrograde forme un aspect avec un « facteur du moi » comme l’Ascendant, son maître ou simplement le Soleil ; dans le second cas la planète rétrograde est en relation avec la Lune Noire natale par jeu de maîtrise et/ou par aspect. Les illustrations sont donc plus que des exemples. Par leurs vies ces personnages hors du commun dirent silencieusement la manière la plus subtile et la plus puissante de vivre une rétrogradation.

Le Soleil intérieur brille pour tout le monde, mais chacun d’entre nous est seul pour révéler le rayon dont il est dépositaire. Personne ne peut le faire à notre place. Chaque rétrogradation est l’occasion de revenir vers le Soleil de notre vérité profonde afin d’en recontacter la chaleur et la force pour la manifester ensuite dans le monde, lorsque la planète redeviendra directe. Faire contact, se laisser habiter puis mouvoir par une nouvelle et étrange lumière dans le silence de son cœur, telle est la meilleure manière de profiter de l’extraordinaire opportunité des rétrogradations. Une opportunité sans flonflons ni médailles mais toute de « vérité », de patience et de vie en puissance.

In fine ce petit ouvrage aura accompli son but si, à sa lecture, il vient l’idée que les rétrogradations sont comme des perles en formation dans le secret de l’huître, des perles bientôt portées dans le monde afin d’en rehausser la beauté et la vigueur.

 

La nature humaine, un Narcisse qui se regarde ?

La nature humaine, un Narcisse qui se regarde ?

 

 

 

La conscience de soi caractérise l’homme et le différentie des autres espèces vivantes. N’est-ce pas là aussi la grande aventure de Narcisse amené à découvrit qui il est ? La capacité de se donner la mort, par suicide ou par décision volontairement mûrie, semble également une spécificité de la nature humaine. N’est-ce pas ce que fit Narcisse ? En réalité les thèmes développés par le mythe sont les nôtres : l’amour, la relation à l’autre, la souffrance, la vie et la mort, la beauté, la jeunesse et la connaissance de soi. Et puis la solution aux errances de l’humanité ne tient-elle pas pour beaucoup dans la capacité de chaque individu à aller ver lui-même pour finalement rayonner sa nature aimante ? Si certains d’entre nous sont plus narcissiques que d’autres, nul n’échappe aujourd’hui aux questionnements que soulève la vie brève et en partie insouciante du fils de Liriopé. Certaines périodes historiques donnèrent une part belle à d’autres schémas mythologiques. Ainsi en fut-il du siècle des lumières qui, guidé par la flamme de Prométhée, fut tellement fasciné par le mythe du Progrès des connaissances censées apporter au monde la civilisation et la paix ! Quand au XXe siècle, celui qui enfanta de la bombe atomique, de deux guerres mondiales, du déverrouillage du code génétique, de la manipulation de l’information, de la mondialisation et de la spéculation financière, il ne rêva que de toute puissance et fut largement sous le contrôle des forces faustiennes. Mais au fond, par de-là toutes ces péripéties, l’homme reste l’homme avec sa lancinante question - « qui suis-je vraiment ? ». Avec, aussi, son inextinguible désir de se regarder dans le miroir. L’œil-lac prit son essor objectif avec la télévision ; la quête de la beauté s’élargit à la mode ; la vie, la mort et la souffrance sont aujourd’hui gérées par une industrie médicale florissante.

Et puis il suffit de regarder autour de soi et de lire les journaux : partout il n’est question que de l’homme, de ce qu’il fait, ne fait pas où pourrait faire. L’anthropocentrisme de l’être humain est effarent ! La civilisation occidentale fonctionne comme un immense Narcisse, elle ne voit qu’elle, semble autiste aux autres règnes de la nature excepté pour les blesser ou les utiliser à son profit. Les citadins oublient de perdre leur regard  dans le ciel étoilé et de mesurer leur petitesse à l’aune des infinités marines. Même la discipline théoriquement la plus ouverte au non-humain, l’écologie, évoque sans cesse le respect de « l’environnement ». Inconsciemment, elle place l’être humain au centre de la biosphère comme si la nature avait pour fonction de l’entourer, de s’en occuper, de le cajoler et d’entretenir ses plaisirs. Bref ! de l’« environner » comme une mère le ferait pour un bébé-humanité exigeant et immature. « Respecter l’environnement » reviendrait à faire de la Terre un immense jardin mis au service de l’homme, ce que l’on appelle aussi parfois le « développement durable ». Or ce n’est pas la réalité. Il suffit de se plonger dans la théorie de l’évolution, le darwinisme, pour réaliser que l’être humain est une espèce biologique  parmi d’autres au succès évolutif inattendu. En partie par hasard puisque sa naissance, elle la doit à la catastrophe écologique qui, il y a 250 millions d’années, fit disparaître les dinosaures. Nous ne devrions donc pas parler d’environnement mais de biosphère en nous percevant non pas au centre, mais seulement comme une partie spécifique – et relativement mineure – d’un monde vivant en permanente mutation. Il nous est aujourd’hui aussi difficile d’entrer en contact avec les autres règnes de la nature, de sentir la spécificité du monde végétal et d’accorder une « âme » - quelque soit le sens donné à ce terme – aux animaux qu’il fut malaisé à Narcisse de reconnaître l’amour d’Echo et la passion d’Ameinias. Comme l’enfant immature nous pensons que la beauté de notre humanité chérie des dieux justifie notre insolence vis-à-vis de la planète, et qu’il est sans importance de semer une invisible souffrance dans, par exemple, les conditions d’élevage des animaux, les abattoirs ou encore l’exploitation effrénée des espèces végétales. Comme Narcisse nous semons la mort autour de nous sans même nous en rendre compte : d’ici seulement vingt ans plus de trente-cinq pour cent des espèces vivantes disparaîtrons définitivement de la surface de la Terre. Comme Narcisse l’humanité est totalement imperméable à la réalité de ce qui l’entoure, excepté lorsqu’il s’agit de son propre confort. Les meilleures bonnes volontés écologiques modernes sont encore prisonnières d’une conception anthropocentrique de l’humanité. Elles rêvent d’un retour au jardin des origines (le Céphyse) où régnerait la beauté, l’abondance et l’insouciance. Or cela, nous prévient le mythe, serait une régression, une impossible chasse au cerf. Une écologie qui ne verrait la nature que par l’homme et pour l’homme ne serait qu’un « environnementalisme »  stérile et enfermant.

Nous savons que la clé du mythe passe par la connaissance de soi et l’acceptation de la souffrance qui accompagne ce processus. La conscience de l’autre en tant qu’autre, dans la reconnaissance pleine et entière de sa différence, passe par la plongée du regard dans ses profondeurs intimes jusqu’à la Source. Nous l’avons déjà souligné : c’est en devenant totalement unique que Narcisse atteignit à quelque chose d’universel. Pour sortir de l’enfermement il ne s’agit pas de s’ouvrir au monde de manière volontariste au nom d’une morale (chrétienne) ou d’une idéologie (socialiste) mais de s’enfermer encore plus, jusqu’à l’essence même de notre nature. Alors le contact réel et profond avec les autres vivants - plantes, animaux, univers – se produira naturellement. Pour clarifier cela prenons une métaphore biologique. Les généticiens ont creusé jusqu’au plus profond du corps humain pour en dégager finalement l’essentiel : la code génétique support de l’information biologique. Or, ce code, nous l’avons en commun avec tous les êtres vivants, du ver de terre aux grands singes. Ainsi en creusant jusqu’au cœur du cœur de notre réalité corporelle nous avons découvert un universel, une clé qui ouvre la porte secrète de l’ensemble du monde vivant. Si, pour Narcisse, se connaître c’est mourir à ses représentations la suite nous la connaissons, elle est inscrite en lettres immortelles au fronton du temple d’Apollon à Delphes : « connais-toi toi même »… et tu connaîtras l’univers et les dieux.

La connaissance de soi semble déjà d’une exploration difficile pour un individu particulier, comment dès lors la penser pour l’humanité prise comme un tout ? Comment découvrir et réaliser la fonction du règne humain en tant que simple participant au développement de la biosphère ? Aujourd’hui l’humanité-narcisse chasse encore le cerf de l’idéalisme  avec sa bande de potes : partis politiques et mouvements de masse. Pourtant cette chasse-là s’est toujours avérée décevante. Aucun cerf ne fut jamais enlacé dans les filets de la vie quotidienne. Le « Grand Soir » fraternel du socialisme et la société d’abondance promise par le capitalisme s’avèrent aujourd’hui n’être que des imaginations rêveuses d’une humanité qui n’a pas encore le courage de se regarder en face. Aujourd’hui le Narcisse mondial commence à réaliser cela. Il se sent perdu dans la forêt des espérances déçues et il ignore les appels d’Echo – les appels désespérés d’une nature dont il ne restera peut-être bientôt plus que la peau et les os. Et nous ne filons pas la métaphore, nous suivons simplement la logique symbolique de l’histoire de Narcisse !

Quand sortirons-nous de la Narcose ? Quand ouvrirons-nous notre sensibilité aux autres vivants ? Quand l’humanité s’éveillera-t-elle ?

Théoriquement, si nous suivons la logique symbolique de l’histoire, plusieurs domaines de la civilisation portent une responsabilité majeure pour accompagner l’Eveil du Narcisse mondial. Il s’agit de  l’art, de l’écologie, de l’audiovisuel, des cosmétiques et du monde médical, sans oublier les diverses formes de psychothérapie et de psychanalyse. Nous retrouvons ici les idées de Graf Durkheim qui avait remarqué que l’expérience de l’Eveil survenait souvent dans l’un des quatre environnements suivants : la contemplation de la beauté, l’immersion dans la nature, la vérité dans la relation à l’autre et l’expérience mystique.  Tous ces environnements tissent des liens d’amour entre le moi et le non-moi, tous prennent Narcisse par la main pour lui offrir l’immensité.

Etes-vous un Narcisse ?

Etes-vous un Narcisse ?

Tout le monde n’appartient pas à cette grande famille des Narcisses. Certains se sentent plus proches de Prométhée avec leur impatience pour créer un monde de Progrès et de conscience, d’autres partagent les visées de Faust pour qui la connaissance est un outil de pouvoir, voire de manipulation. D’autres encore ignorent les clins d’œil de ces « dieux » pour porter leurs enthousiasmes vers l’harmonieuse bonté d’Orphée, le désir d’élévation d’Icare ou les plaisirs d’Aphrodite. Nous naissons tous dans une famille biologique, sans doute non choisie, imposée par le hasard de la naissances et les circonstances de l’histoire. Mais nous pouvons retrouver notre famille mythologique, notre famille de cœur.

Comment savoir si nous appartenons au grand groupe des Narcisses ? C’est assez simple, il suffit de se sentir concerné par la majorité des thèmes suivants :

-       Les miroirs, qui réfléchissent sans cesse la question fondamentale : « qui suis-je ? »

-       Les belles boites, métaphores de la beauté du corps et de son intériorité secrète

-       Les coquillages et  les formes ovoïdes, métaphores de la maison et du corps

-       Les pastèques, les melons et les autres fruits gorgés d’eau

-       Les narcisses, et plus généralement les plantes à bulbes

-       Les argiles  qui rappellent à Narcisse son premier devoir : se construire lui-même.

-       Une « maison mémoire » emplie d’objets souvenirs et de choses états-d’âme, où son inverse de style « zen » : l’eau, cette surface sensible qui capte tout mais ne retient rien est le lieu sans traces où Narcisse commence l’initiation à sa vérité intérieure

-       Les images sous des formes aussi diverses que les photos, les cartes postales, la télévision, le cinéma… Narcisse est un visuel : il se nourrit d’images, s’exprime par elles, vit avec elles.

-       Les alcôve,  autant de rappels de ce lieu secret où Narcisse se connut lui-même. Evidemment toutes les formes sont possibles. Il peut s’agir d’un bar à vin qui reproduit plus ou moins des conditions matricielles, ou d’une pièce de méditation, où encore d’un atelier d’artiste.

-       Les dîners amoureux en tête à tête : Narcisse qui se mire dans l’œil-lac de l’autre

-       L’éclat du regard

-       La beauté du corps

-       Les jardins d’agrément, souvenir du Céphise

-       L’eau, l’hypersensibilité de Narcisse

-       Une trousse de médicaments, palliatifs ou accompagnateurs de la souffrance

-       Une forme de violence pendant la grossesse de la mère, le viol de Liriopé

-       La rédaction d’un journal intime

-       Le peuple juif par son attachement au passé et son errance imposée par les événements historiques possède une composante narcissique. Comme Narcisse, il s’agit d’un « héros victime ».

-       Le destruction périodique de ses œuvres, car Narcisse se sépare toujours et encore des résidus jugés immatures qui encombrent la voie de son accomplissement. Narcisse doit mourir, or mourir c’est se débarrasser de soi-même, plus précisément de tout ce que l’on croyait être soi-même.

Quittons ces indices objectifs pour entrer dans le monde du désir :

-       Une difficulté à couper le cordon ombilical qui relie à la mère, à la bande d’amis et, finalement, à l’image de soi : les trois ruptures imposées par la vie à Narcisse

-       Une peur de la souffrance, car celle-ci est identitaire : la moindre blessure se répercute sur le « moi » et le déstabilise

-       Le fait de semer de la souffrance autour de soi par crainte de reconnaître puis d’accueillir sa fragilité dans sa relation à l’autre : Echo et Ameinias

-       L’homosexualité ou plus exactement un mélange de virilité et de féminité qui n’est cependant pas de l’androgynat : Narcisse est aimé autant des jeunes hommes que des jeunes femmes

-       Un idéalisme utopique, qui fait confondre la quête spirituelle avec un retour vers les rêveries matricielles du paradis perdu de l’enfance – qu’il fut vécu ou non comme tel.

-       Une fascination pour les images, autant de facettes d’un moi qui se cherche.

-       Parfois une faconde verbale qui tourne autour de sa vie personnelle comme un miroir sonore de soi : Echo. D’autrefois un silence de la parole lorsque le processus de connaissance de soi acquiert de la profondeur : le dessèchement d’Echo

-       Le besoin de créer une œuvre de beauté, qu’il s’agisse de sa propre personne, d’une production picturale ou musicale, ou encore de la construction d’un lieu-alcôve  dédié à la métamorphose.

-       Un obscur mais persistant sentiment de compagnonnage avec les Narcisses devenus célèbres comme  Proust, Oscar Wilde (qui possède aussi un mythe de Faust), Rembrandt, Le Caravage, Dali (avec un mythe de Prométhée), Van Gogh, Jean Genêt et… le Dalaï-lama.

-       L’addiction à quelque chose : son image, son corps, l’argent, la drogue, une collection : Narcisse à besoin de se remplir les yeux et de (se) posséder pour se sentir être.

-       La dialectique de la mémoire et de l’oubli

-       La subjectivité comme un moyen pour explorer objectivement l’âme du monde.

-       L’importance de la rêverie et de l’imaginaire, en raison de la signification du nom de Narcisse : « narcose ». Le sommeil n’est-il pas une narcose quotidienne ?  Et le quotidien n’est-il pas aussi, à un autre niveau, une rêverie, un lourd sommeil habituel et paresseux où ne coule plus le dynamisme vital de la Source ? Ces Narcisse-là chercheront alors l’Eveil en laissant se dissoudre leurs représentations d’eux-mêmes et de tout ce qu’ils crurent être un temps leur « moi » adoré.

-       La contemplation de la nature (Céphise)

-       La quête du temps, l’analyse de ses sensations et le travail sur la mémoire : autant de clefs de dépassement du mythe.

-       Le don de soi pour son art.

Les voies d’expressions symboliques d’Echo dans notre monde sont également multiples. Contentons-nous d’en proposer quelques unes : le coucou qui par son chant et son nom évoque le répétition du même ; les jeux de ping pong et de tennis où les allers et retours de la balle captivent le regard des spectateurs ; les mères porteuses qui abritent et nourrissent des « enfants-coucou » ; l’usage de l’expression « coucou, c’est moi ! » qui évoque le retour de quelqu’un ; la dyslexie qui est une pathologie de la répétition ; le perroquet qui répète les sons ; les écharpes et les voiles qui rappellent l’étymologie de nymphè ; les rimes poétiques qui réitèrent la sonorité finale du vers précédant ; la gémellité ; le signe zodiacal des Gémeaux ; les biographes et les biographies ; l’interview radiophonique, la harpe qui évoque la musique des anges… Autant pierres blanches qui signalent un « mythe d’Echo » et incitent à l’exploration de ce grand message symbolique qu’est la vie de la Nymphe.

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L’éternelle jeunesse du mythe de Narcisse

L’éternelle jeunesse du mythe de Narcisse

L'histoire de narcisse

En ces temps là vivait dans une nature heureuse un jeune homme d'une rare beauté. Né d'une nymphe et d'un fleuve, de Liriopée et du Céphyse, Narcisse ne connaissait pourtant pas l'amour. Nombreuses et nombreux furent les jeunes filles et les jeunes hommes qui le désirèrent mais lui, drapé dans une innocente splendeur, les dédaigna. Probablement ne les vit-ils même pas ! Un jour qu'il chassait le cerf la nymphe Echo l'aperçut. Echo, il faut le reconnaître, était une bavarde impénitente. Pour la punir de cette éloquence déplacée dont elle fut victime, Héra, la compagne de Jupiter, la priva de la parole : « avec cette langue, dit-elle, qui fut pour moi trompeuse, il ne te sera donné d'exercer qu'un faible pouvoir, et tu ne feras plus de la parole qu'un très bref usage ». Depuis lors Echo, la nymphe à la voix sonore, ne peut que redoubler les sons et répéter les paroles entendues. Pas facile, dans ces conditions, de déclarer sa passion à ce jeune homme en chasse d'une autre proie! Mais c'était son jour de chance. Narcisse, s'étant égaré, s'écria "n'y a-t-il pas quelqu'un ici ?". "Si quelqu'un", s'empressa de répondre Echo. De fil en aiguille, de quiproquo en quiproquo, la jeune nymphe finit par approcher Narcisse et s'apprêtai à l'enlacer. Las! l'adolescent s'enfuit et, tout en fuyant, "Bas les mains, pas d'étreinte ! je mourrait, dit-il, avant que tu n'uses de moi à ton gré !"… Echo ne répéta seulement que "use de moi à ton gré !". Depuis ce jour de désespoir la jolie nymphe n'est plus que l'ombre d'elle-même; seule sa voix résonne encore dans les profondes forêts et les gorges des montagnes.

Narcisse 1

Les dieux promirent de punir Narcisse. Un jour, fatigué de la chasse, il s'approcha d'une source limpide que nulle bête sauvage n'avait jamais touché. Tandis qu'il apaisait sa soif, une autre soif grandissait en lui. Séduit par l'image de la beauté qu'il aperçoit il s'éprend d'un reflet sans consistance. Le visage fixe, absorbé par ce spectacle, "il semble une statue faite de marbre de Paros". En face à face intime avec son miroir aquatique, fasciné par son incomparable image, Narcisse dédaigne tout autre chose que l'inaccessible reflet de sa beauté. Ni la faim, ni la chasse, ni Echo ne parviennent à détourner son attention. Beaucoup plus tard il posera sa tête fatiguée sur l'herbe verte et, la nuit venue, fermera ces yeux empli d'admiration pour la beauté de leur maître. Et, nous raconte la légende, quand il fut reçu dans l'infernal séjour Narcisse se contemplait encore dans l'eau du Styx. Lorsque fut dressé son bûcher funéraire les nymphes s'aperçurent que son corps avait disparu. A sa place apparut une fleur jaune safran dont le cœur est entouré de feuilles blanches, le narcisse.

Que dit ce mythe ? Les psychanalystes ont abondamment commenté à leur manière l'aventure narcissique : amour de soi, ou de sa propre image, conduisant à l'enfermement psychique et à l'impossible altérité, une parole en « écho » qui répète sans cesse les même expériences personnelles sans jamais décoller de soi, cet exclusif sujet d’amour et cet éternel objet d’intérêt. Par suite le narcissique sera volontiers soupçonné d'égoïsme. Nous y reviendrons. Une lecture symbolique du mythe propose pourtant d'autres pistes que nous allons évoquer avant de les explorer en détail. Narcisse signifie « narcose », « endormissement ». Liriopée et Céphyse, ses deux parents, se traduisent respectivement par "visage de nénuphar" et "fleuve de jardin". Ces étymologies évoquent un autre jardin, celui où Adam et Eve vivaient nus encore ignorants de leur nature. Dans ce paradis là le désir de la connaissance précéde la chute. De même Tirésias, le devin aveugle, prophétisa à la naissance de Narcisse que celui-ci « vivrait longtemps à la seule condition qu'il ne se connaisse pas ». Étrange symétrie! Narcisse, comme le couple originel du monde judéo-islamo-chrétien, perdit son innocence au moment même où il se vit. Cette connaissance par la réflexion (au double sens du terme), ce savoir par le voir dans l’eau du lac, rappelle l'étrange identité entre le beau et la connaissance car l’enfant, en se voyant beau, se connaît. Les mathématiciens parlent de l'élégance d'une démonstration et de la beauté d’un théorème. Le terme cosmos, d'où dérive "cosmétique", implique à la fois une notion d'ordre et de beauté. Dans ce contexte "être beau" signifie montrer ce que, idéalement, je pourrais être si je connaissais parfaitement ma vérité intérieure. Si, dans la tradition juive, le désir de connaissance eut pour conséquences la chute, le travail et la souffrance ; dans la tradition grecque la connaissance (de soi, de son vrai visage) va conduire Narcisse vers la mort puis vers la métamorphose : le narcisse.

images

La seconde idée commune au mythe biblique et au texte Grec est la peur de la souffrance puis sa confrontation. Adam et Eve chassés du Paradis connurent le travail[1] et la sueur. Et l'on sait à quel point ce présupposé, travailler égale souffrir, hante nos sociétés occidentales (et chrétiennes). De son côté Narcisse refusa l'amour d'Echo pour ne point souffrir, pour ne point s'ouvrir à l'altérité. Il est, au contraire, fasciné par son reflet dans le lac. Ne va-t-il pas jusqu'à dire, face à cette image séduisante, "mais mourir ne m'est pas à charge, puisqu'en mourant je déposerai le fardeau de ma douleur"?

Deux grandes avenues de la science marchent sur les pas de Narcisse. La première traite du jardin paradisiaque où le jeune homme, encore ignorant de sa propre nature, vivait dans l'insouciance du lendemain, dans l'éternel présent de sa jeunesse, dans l’éternel cadeau de sa jeunesse en vérité. La seconde panse (avec un "a"), autant se faire que peut, les souffrances nées de la sortie de la bienheureuse Narcose. Ce sont les industries des cosmétiques et des produits pharmaceutiques. "Cosmétique" contient "cosmos". Or le jardin, originel ou non, n'est-il pas le reflet physique de l'univers, du cosmos ? Un microcosme contenant le macrocosme, un tout à l’image du grand Tout ? Le jardin, c'est un résumé du monde, un monde réduit à taille humaine. Le Jardiner y réitère l'acte fondateur du démiurge. Chaque jour les cosmétiques viennent poudrer, soigner, tailler, nourrir, bichonner, adoucir, affermir, embellir, affiner, le jardin du corps. La plus petite trace du temps y est implacablement effacée afin d'en conserver la pureté originelle. Cette œuvre de pérennisation n'est point un caprice de jardinier. Sans elle l'harmonie des mondes, du grand et du petit, du macrocosme avec le macrocosme, et, finalement, de la société avec l'individu, serait à jamais rompue. La beauté du corps, et son reflet dans le regard des autres, promet les joies et les délices d'un  monde qui est tout sauf "corps‑rompu", un monde où beauté égale vérité.

L'industrie pharmaceutique, qui panse avec un "a", intervient ensuite, lorsque Narcisse, lui, pense avec un "e". Car, sorti de sa narcose, il lui faut bien un palliatif chimique pour supporter la douleur à laquelle il s'éveille. Toujours la douleur naît du fait d’être vu tel qu’en soi-même : par Echo d’abord, puis dans la source des eaux vives. Évidemment, l'ambiguïté demeure. La souffrance, insupportable, l'accompagne jusqu'à la mort. D'un autre côté la mort est un prélude à sa "renaissance" sous la forme d'une fleur qui porte son nom. L'immense douleur qui envahit l'enfant surgit au moment même où il plonge son regard dans la réflexion, le "se voir" est bien proche du "sa‑voir"! (encore un caprice du "e" et du "a"). Si les cosmétiques maintiennent l'harmonie du monde, les médicaments, eux, ont idéalement pour fonction d'accompagner l'éveil de l'être au savoir, au savoir de son corps, de ses faiblesses, de son fonctionnement… pour lui faciliter le voyage vers la quintessence de lui-même afin que s'ouvre, embaumante, sa fleur sublimative.

Cette brève incursion dans le mythe soulève pourtant quelques questions. Le rôle des médicaments et des plantes médicinales : servent-ils à endormir la souffrance (narcose) où accompagnent-ils l'être dans ses efforts de transformation (la fleur sublimative) ? Sont-ils là pour justifier une fuite de soi-même (l’épisode avec Echo) où pour aider le narcissique à traverser le miroir magique qui lui jette au visage ses peurs (la transformation en marbre de Paros), ses émotions (l’eau) et ses illusions (le reflet) ? Nous avons ici une expression des trois plans de l’être - physique (marbre), émotionnel (eau) et mental (lumière-reflet) - où Narcisse rencontre une souffrance (l’anémie) qu’il doit affronter avant sa renaissance (le corps transformé en fleur).

Et puis, dans ce contexte mythologique, quel rôle et quel sens attribuer aux cosmétiques : marquent-t-ils un refus de la maturité en maintenant artificiellement la beauté d'une jeunesse révolue où favorisent-ils, par magie mimétique, l'expression de la radiance intérieure ? Rappelons ici que le sens des cosmétiques, comme tout autre objet, peut être analysé selon une logique quadrifoliée que nous avons développée dans La Force du Symbolique (Dervy) : en termes rationnels et matériels de qualité (bio)chimiques, pour créer du lien entre les personnes, pour l’accomplissement d’une structure mythologique et enfin comme un moyen d’harmonisation entre l’individu et le cosmos. Notons que la baseline choisie par L’Oréal « parce que je le vaux bien » évoque une approche mythologique des cosmétiques, mais il s’agit d’un Narcisse encore immature seulement préoccupé par lui-même.

Le mythe nous pose encore autre question fondamentale. L'amour de soi : est-ce pour trouver son unité et se connaître, où est-ce un enferment psychique au cœur de sa propre image ?

Loin d’épuiser le questionnement le mythe soulève encore d’autres interrogations : qu’elle est la nature du processus de connaissance ?  Narcisse se croyait objectif alors qu’il ne voyait que lui-même mais il le devint vraiment quand il se vit dans l’eau du lac comme un être subjectif. Inversement l’approche scientifique de la connaissance ressemble un peu à Echo : elle répète par sa voix sonore la nature du réel. Mais Narcisse ne se connut vraiment que lorsqu’il trouva le courage de poser un regard plein et entier sur sa propre image, sur sa subjectivité profonde. N’existe-t-il pas un chemin de la connaissance qui, loin de rejeter l’élément subjectif, plonge au cœur même de l’imaginaire  pour dévoiler les mécanismes le plus intimes ?

Ce survol des significations codées dans le mythe de Narcisse nous éloigne de la lecture psychanalytique habituellement proposée. La richesse de l’histoire ne se limite pas à une école de pensée, mais, bien au contraire, féconde de multiples chemins de traverses. Afin de rester fidèle au texte d’Ovide nous allons reprendre étape par étape l’aventure de notre héros en l’accompagnant d’un décodage symbolique. Sa naissance, sa vie et son œuvre comme métaphores de nous-même, de l’organisation sociales et d’une grande question, essentielle celle-là : « qui suis-je ? »

Vidéo sur Narcisse


[1] « Travail » vient du latin « trepallium » qui désigne un instrument de torture.

Construire l’homme nouveau ?

Pour Socrate, la chute c’est la conscience de notre exil, c’est le sentiment profond et viscéral qu’il existe « autre chose » que la banalité du monde quotidien nourri des savoirs et des savoir-faire du monde de la caverne. L’ascension est une force d’aspiration qui entraîne l’âme loin de son passé, un instinct de transcendance qui la conduit inéluctablement vers sa demeure véritable, vers le monde des étoiles. Mais au prix d’un arrachement douloureux car l’habitude de prendre pour réel ce qui n’est qu’une ombre est tenace. Icare a cependant, dans sa fougue, évacué l’étape de la réminiscence. Il chute non pas parce qu’il s’est élevé mais en raison de son impréparation : dans sa noyade il se laisse submerger par toutes les mémoires inconscientes, par les souvenirs envahissants qu’il n’a pas pris la peine de regarder intensément avec l’œil perçant de l’aigle. Comme aspiré par la lumière du soleil, il n’a jamais observé le fond de sa caverne intime. Cela est-il indispensable pour contacter le Soleil par la voie de  l’intériorité ? Ni Socrate ni Icare ne l’affirment. Par contre l’homme héroïque de la caverne est passé d’arrachements en arrachements, il s’est décollé en quelque sorte de ce qu’il tenait pour la réalité, il a désidentifié sa conscience des ombres qui l’habitent afin de s’habituer progressivement à la lumière du Soi.  Et il réalisera un jour que Celui-ci est le seul véritable guérisseur de ses mémoires de souffrances. En prime, ce contact direct avec la lumière touchera profondément la vie des siens. Tous ceux avec qui il a établit des relations proches et qui appartiennent à sa même famille d’âme verront leur vie bouleversée ou simplement changée. Les autres, et ils sont foison, riront de lui où, dans le meilleur des cas, ne comprendront pas son expérience du Réel.

Construire l’homme nouveau par la force ascensionnelle de leur idéal est donc le don qu’offrent les icariens à l’humanité. Ils montrent et osent sans cesse la possibilité d’un changement radical de « civilisation », que celle-ci soit intérieure, familiale, nationale ou planétaire. Ils sont au moins autant poussés hors du labyrinthe où ils perçoivent avec horreur ses conditions étouffantes, que tirés par la vision lumineuse d’un monde meilleur. Pour éviter la noyade – l’échec – ils devraient vérifier que leur conscience est bien décollée des valeurs du vieux monde et de toutes les « mémoires » qui en forment la trame. Le travail de réminiscence au sens socratique leur permettra cela. Dans le cas contraire, ils réaliseront un jour qu’ils sont coupés en deux, atteint d’une sorte de schizophrénie, entre la part de lumière qui devient de plus en plus utopique et la part d’ombre face à laquelle leur force d’élévation, un jour, cédera. Alors ce sera la noyade. Notons enfin que la sincérité concerne le processus d’élévation et non l’objectif à atteindre. Confondre l’un avec l’autre justifierait tous les fanatismes, tous ceux qui croient, comme Hitler hier ou les extrémistes religieux aujourd’hui, que la fin justifie les moyens. La sincérité sur laquelle nous avons longuement insisté est la capacité de reconnaître en permanence notre mensonge. Cette reconnaissance autorise la conscience à se transformer de seconde en seconde… jusqu’à ce qu’elle s’identifie enfin au Soleil-de-vérité, le grand inconnu qui se révèle tout en ayant toujours été là. Il ne s’agit en aucun cas d’une foi ou d’un objectif à atteindre que l’on imaginerait totalement vrai. Dans ce cas de figure l’effet serait exactement inversé : la conscience ne pourrait plus se transformer et poursuivre son processus d’élévation car elle resterait figée sur une « vérité » absolue, idéale et en réalité totalement illusoire.

La sincérité, de vraies ailes et la capacité de se décoller plutôt que de simplement s’envoler : telles sont les conditions de la réussite d’Icare.

Les icariens nous rappellent sans cesse qu’être un homme n’est pas donné par droit de naissance mais que c’est un état à conquérir.  Et si c’était cela l’idéal d’un monde icarien civilisé : aider l’enfant à accomplir sa condition d’être humain, puis l’humain à devenir un homme vrai ?  Curieusement, toutes les grandes civilisations sauf la nôtre ont produit un type humain spécifique : les Grecs ont créé l’orateur et le citoyen libre ; les romains, le guerrier ; le Moyen-age donna naissance à la chevalerie et l’Angleterre victorienne produisit la figure du Lord. Qu’avons-nous à proposer comme accomplissement d’un type humain « idéal » au jugement de l’Histoire ? Un consommateur pollueur ? A moins que ce ne soient les figures dédaliennes du technicien, du savant et de l’expert ? Peut-on considérer comme un idéal accompli un être qui s’est coupé du vivant ?

Dédale et les arts libéraux

 

« Les idées sont-elles aux anges ce que la matière est pour nous ? »

Kurt Gödel

 

Les pays en voie de développement envient notre modèle de société dédalienne[1]. Leurs habitants rêvent d’un monde d’abondance où la technologie libère de l’effort et produit du plaisir. Quant à nous, les citoyens de ce monde développé, nous n’en comprenons que trop les limites avec la perte du lien social ; l’ambiguïté de la notion de travail qui est à la fois un droit, une nécessité et un immense absorbeur de conscience et de liberté ; la conscience plus ou moins claire que notre économie conduit l’humanité à sa perte en raison de la surexploitation des ressources naturelles et des conséquences de la pollution. Tout se passe comme si notre modèle de civilisation n’avait plus de maître à bord. Il roule pour lui-même, sans se préoccuper des conséquences. La machine est par définition aveugle. Celle qui devait libérer l’homme de la servitude, dans l’esprit des Lumières, exerce à présent un pouvoir subtil sur notre manière de vivre ensemble. Par un étrange retournement de situation, l’esprit de la machine a absorbé la conscience de l’être humain dans ses filets. Pour voir cela clairement, il faut le recul d’un long séjour en Inde, en  Amérique du Sud ou en Afrique, à moins que quelques semaines dans la solitude de la forêt ou du désert ne suffisent. Que voyons-nous au retour ? Un monde ultramécanisé et froid, un monde qui impose sa volonté de domination à une nature blessée de toutes parts par des routes, des tunnels, du béton, des pesticides… bref ! par une volonté de maîtrise sans faille. Un monde étrange où l’idéal proposé est un fonctionnalisme sans erreur : pas d’embouteillages, pas de ruptures de stocks, pas de conflits, pas de manques, pas de peurs, pas de bruits, pas d’échec…. La sécurité, l’abondance et l’absence de souffrance sont devenues ses mots d’ordre. Or tous ces termes qualifient le fonctionnement d’une machine idéale : alimentation, efficacité, production, sécurité, rendement, silence et insensibilité à l’environnement. L’homme « civilisé » perd peu à peu son humanité au profit de l’esprit de la machine qui s’insinue jusque dans son corps puisque celui-ci est aujourd’hui considéré comme une mécanique. Ses pathologies sont restaurées par des spécialistes qui changent ses organes, réparent ses dysfonctionnements par le bistouri et la chimie et, bientôt, modifieront son programme génétique. L’environnement est perçu comme une carrière à ciel ouvert où il suffit de puiser ; la réussite de la vie se mesure à la quantité de biens consommés et produits ; et enfin le degré de civilisation s’évalue au nombre d’objets fabriqués et à un chiffre : le Produit Intérieur Brut.

Lors de mon dernier retour d’Inde, je fus frappé par une évidence : nous sommes des barbares technologiques. L’homme occidental qui a inventé la machine pour se libérer des servitudes du travail est en train d’échouer en raison même du succès de son entreprise : les qualités imputables à une machine idéale sont devenues des idéaux humains incontournables : efficacité, rendement, sécurité, perfection, production….

Le combat ne se joue pas dans la vie politique, la science ou même l’éducation et la redistribution des richesses. Il se joue dans notre esprit. Il se joue dans notre œil. Il se joue dans notre conscience. Car, de notre manière de percevoir le monde, dépend notre action sur celui-ci et, par suite, le type de civilisation que nous construisons. Bien sûr, il faut un minimum d’adéquation entre la vision et le réel pour que cela fonctionne. Cependant tout décalage, si infime soit-il, entre le réel et notre représentation du réel finit par devenir un gouffre et ouvrir une béance. Dédaliens dans l’âme, nous imaginons alors qu’il faut lutter contre les dysfonctionnements sociaux, économiques et écologiques… alors que ceux-ci sont des bénédictions. Ils nous montrent à corps et à cris que le modèle d’un homme-machine et d’une civilisation uniquement technologique claudique quelque part. Il est parfois utile de compenser avec des semelles orthopédiques, mais le déséquilibre perdure au risque de laisser un lourd héritage aux générations futures.

Et si le degré développement d’une civilisation se mesurait à la capacité de ses habitants à vivre dans la joie sans cause ? Et si notre relation au monde n’était pas fondée sur la violence et le contrôle mais la confiance et l’accueil de l’incertitude ? Et si… ? Laissons aux icariens le soin de s’occuper de cela en distinguant l’utopie de l’illusion.

Le mythe ne condamne pas Dédale. Il s’en sort même fort honorablement puisqu’il s’échappe du labyrinthe et gagne son combat contre Minos. La scène finale du coquillage et de la fourmi laisse même entrevoir une porte sortie. En d’autres termes, la civilisation de l’homme-machine a son propre schéma mythologique de transformation. Icare n’est pas la seule solution radicale à l’enfermement de l’être humain dans le fonctionnalisme.

Il faut reconnaître que le brillant architecte qui résout tous les problèmes semble beaucoup plus raisonnable que son fils. Depuis longtemps, il considère l’instinct de transcendance comme une chimère dangereuse. Il affirme volontiers que les « familles d’âmes » sont de douces illusions réservées aux esprits faibles. Il a rangé les utopies dans le placard des archaïsmes primitifs de l’enfance de l’homme et prétend à présent vivre une vie adulte, débarrassée des illusions des « mondes meilleurs ». Certitude largement justifiée à ses yeux par l’histoire des idéologies qui créèrent si souvent des enfers aux noms de leurs bonnes intentions millénaristes. Pas plus que son fils, il ne croit en la religion. Foncièrement agnostique Dédale a une totale confiance dans son ingéniosité, un mélange d’intelligence et de sens pratique, pour affronter le réalité. Il n’est pas aussi radicalement individualiste qu’Icare puisqu’il a pris femme et conçu une descendance. Pourtant il vit dans le cercle étroit du labyrinthe, dans la double sécurité issue de son pouvoir de rationalisation - la pense du haut - et du sens de son appartenance à une famille sociale, nationale et culturelle : la panse du bas. Pour avoir péché contre Talos qui représente le Soleil, pour avoir oublié qu’il est un enfant divin, Dédale est aussi exilé. Mais, contrairement à Icare, il a compensé cette souffrance d’exil par plus d’ingéniosité encore, si bien qu’il en vint à oublier sa condition première et à se croire normal : dans le juste milieu, sain et sauf loin de tout déséquilibre, loin des envolées métaphysiques comme des plongées abyssales.

Bien sûr, il ne voit pas que chaque pas supplémentaire de son génie détruit un peu plus le vivant, en lui et en son extérieur. La fourmi sera l’ultime achèvement symbolique de cette œuvre mécanique. Jean de la Fontaine avait déjà compris que la petite bête n’était pas une joyeuse cigale chantant tout l’été ! Créature industrieuse, elle vise l’efficacité et le rendement. Même physiquement, son apparence cuirassée l’assimile à un robot, à un être mécanique où l’esprit de la machine a fait son nid. La travailleuse est incapable de décision, elle suit automatiquement la logique implacable de l’espèce où chaque membre est interchangeable. La fourmi est une sorte d’antithèse symbolique de l’abeille car cette dernière danse, s’élève vers le soleil au risque de la mort du faux bourdon, vit en communauté tout en conservant une part d’autonomie, honore enfin la beauté et la diversité biologique en pollinisant les fleurs.

Hélas ! Dédale, si sûr de lui et de la suprématie de son imagination créatrice, ne voit pas que le monde utilitaire sans risques ni fantaisies auquel il se voue corps et âme finira dans la grisaille des jours sans amour.

Alors il faut bien poser la question : l’intelligence est-elle un obstacle à la perception de la lumière des mondes métaphysiques ou existe-t-il un mode de pensée spécifique capable de « construire l’homme » pour son échappée belle hors du labyrinthe ? Sur ce point, les traditions divergent. Certaines affirment que la pensée tue le réel, que la figure de l’intellectuel pratique ne produisant que des représentations du monde est incapable d’une transformation ontologique. D’autres considèrent que la capacité de penser par soi-même est une étape intermédiaire, une sorte d’échelle de Jacob conduisant aux mondes suprasensibles. Dédale appartient à cette seconde catégorie. Il construisit le labyrinthe du savoir, s’en échappa, puis changea finalement de plan de conscience en perçant la dernière énigme.

La manière « dédalienne » de s’élever est remarquablement synthétisée par cette citation souvent reprise mais rarement recontextualisée[2] :

« Si nous voyons plus loin qu’eux, ce n’est pas parce que notre vue est plus perçante, mais parce qu’ils nous soulèvent et nous emmènent plus haut. Nous sommes des nains que des géants portent sur leurs épaules »

Nous devons cette métaphore à un auteur du XIIe siècle, Bernard de Chartres, l’un des enseignants majeurs de l’école néo-pythagoricienne située alors sur les pourtours de la cathédrale. Dans sa nef, sur le sol, est dessiné un labyrinthe. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une allusion au Dédale Grec, car cette figure symbolique est universelle et remonte semble-t-il au rites liés à la Grande Mère issus de l’époque Néolithique, souvenirs perdus pour l’essentiel en raison de l’absence d’écriture[3]. Comme en une sorte de réminiscence, l’auteur de l’article sur le « Labyrinthe » dans l’Encyclopaedia Universalis cite tous les éléments labyrinthiques mis en scène dans le mythe d’Icare, la grotte-matrice, l’oreille, les intestins, le cerveau et le coquillage :

« Grotte dont les méandres se dissimulent au regard, souterrain dont les stalactites barrent les issues, entailles inquiétantes et adorées de l’épouse-mère, volutes intestines, sinuosités auriculaires, fines courbures de coquillages, les labyrinthes naturels se multiplient, sollicitant l’imagination humaine, qui ne cesse de les aménager, de les reproduire et de les réinventer: en architecture et en chorégraphie, dès l’époque minoenne; en mosaïque et en peinture comme sous l’Empire romain; dans l’art des jardins, dans celui de la chasse et du tournoi qui se développe au Moyen Age chrétien, dans la quête des anamorphoses et le goût du maniérisme; pour les épreuves d’initiation, pour les tests d’apprentissage; pour les jeux calligraphiques comme pour les recherches topologiques les plus avancées.

Tentons d’abord de définir d’un point de vue strictement formel l’écriture secrète que constitue le labyrinthe, dont le tracé, caractérisé par un degré plus ou moins grand de complexité, répond toujours à une intention d’initiation, sur un registre dont la sacralité ne semble jamais totalement absente. On pourrait définir le labyrinthe comme le contraire de la ligne droite: d’un point à un autre, le chemin labyrinthique n’est jamais le plus court; mais ceci n’implique pas qu’il soit le plus long, encore que ce puisse être le cas pour certaines formes très géométrisées.

De quoi le labyrinthe nous détourne-t-il à travers les corridors et les galeries qui dérobent aux regards du profane non seulement les dangers qui menacent l’aventurier mais l’enjeu même de sa pérégrination. Que recèle le labyrinthe? Est-ce le mort redoutable des hypogées égyptiens, le trésor interdit, le monstre ni homme ni bête? Est-ce, au contraire, le Graal, la pierre philosophale ou ces mystérieuses écritures rouges formées de souffles coagulés auxquels la tradition taoïste attribue la naissance de l’univers?

Mais, si nous revenons à la cellule originaire du mythe, le vrai labyrinthe n’est-il pas pour Thésée le principe féminin qui lui confère lumière, fil directeur et hache sacrificielle: cette Ariane, sœur du monstre, qu’il abandonne sur l’île de Chypre, une fois enceinte de ses œuvres? Quel est le pire des Minotaures? Est-ce la mère comme lieu de naissance et de mort ou bien la conscience dont les inextricables méandres dérobent au sujet le fruit même de son acte? Est-ce, en deçà du miroir, le leurre primordial et, au-delà, la forme véritable ? ».

Dédale s’échappe du « labyrinthe » en deux étapes. D’abord en déployant ses ailes artificielles, puis en « suivant » le chemin matérialisé par le fil attaché à la patte de la fourmi avide de miel. Il développe dans un premier temps un savoir qui l’élève, mais cela n’est pas encore suffisant. Il lui faudra apprendre à nourrir son âme engourdie par l’esprit de la machine du « miel » issu du monde magique. L’ingénieur ne peut s’enivrer sans limites comme Glaucos, directement et au risque de sa vie. Fidèle à ses convictions, le dédalien suit un chemin progressif loin des cimes comme des abîmes.

Alors, à quels savoirs Bernard de Chartres faisait-il référence ? Et qui sont ces géants ?

Les arts libéraux sont le fruit d’une synthèse entre la philosophie platonicienne et le christianisme. Ils furent structurés par Martianus Capella au début du quatrième siècle dans un récit allégorique en neuf volumes intitulé Les Noces de Mercure et de Philologie. Les deux premiers livres décrivent les fiançailles et le mariage de Mercure (Parole et Raison) et de Philologie (celle qui aime Raison) et l’apothéose de celle-ci. Mercure donne en cadeau de noces à Philologie sept servantes qui ne sont autres que les sept arts libéraux. Les livres III à IX contiennent les descriptions que chacune de ces servantes (ou sciences) fait de son art, constituant ainsi une véritable encyclopédie — la seule encyclopédie antique et païenne qu’aie connue le Moyen-Age chrétien latin, auquel elle fournira ses personnifications féminines des arts libéraux. Ce manuel, sans cesse commenté, servit de base d’enseignement dès les écoles carolingiennes.

Ici la connaissance est féminine. Elle sert à féconder l’élève et non à le rendre utile pour l’action comme cela est aujourd’hui le cas au sein de nos universités et de nos grandes écoles. Du reste les « sciences pratiques » comme l’artisanat, l’architecture et même la peinture n’en font pas partie.

La formation se divise en deux parties, le « trivium » et le « quadrivium ». Le trivium constitue la partie « littéraire » de la connaissance qui s'organisant autour de la grammaire, de la rhétorique et de la logique. Le quadrivium est la partie « scientifique » fondée sur le nombre : arithmétique, géométrie, astronomie et musique. Bien que ne faisant pas partie des arts libéraux, la philosophie finit par être considérée comme le domaine de la connaissance qui englobait tous les autres.

Les arts libéraux, comme leur nom l’indique, ont pour objectif de rendre l’homme libre.

Il faut se souvenir que ni Descartes, ni Auguste Comte, ni Fueurbach n’étaient encore passés par là ! Il ne s’agissait pas de décrire la Nature et la société pour en comprendre les lois mais de sentir les résonances entre l’homme et l’univers au moyen de ces disciplines. Dans l’optique de l’enseignement profondément religieux du Moyen âge les arts libéraux préparaient à la théologie - à « comprendre Dieu » - et non à décrire les lois du monde matériel objectif comme s’y efforce aujourd’hui la démarche scientifique. Cette « co-naissance » fécondante avait pour objectif de rapprocher l’étudiant de Dieu ou, dans un langage plus contemporain, de le préparer à recevoir la présence du Soi.



[1]Notre modèle de civilisation initié au siècle prométhéen des Lumières fait aujourd’hui de larges concessions au mythe de Faust, celui qui gouverne par la peur et le secret  tout en sachant que plus de connaissances lui donnera toujours plus de pouvoir et de contrôle. L’ingénieur Dédale n’étant pas un idéologue, il laisse tout cela de côté et met son génie pratique au service du mythe dominant. En d’autres termes, il peut indifféremment servir Faust en perfectionnant les centrales nucléaires, Icare en améliorant les capteurs solaires, Prométhée en inventant une nouvelle technologie ou Orphée en produisant des musiques qui guérissent les plantes malades. Dédale, comme la technique, sont des serviteurs qui obéissent aux injonctions d’un « roi », d’une conscience dominante adoptée par un dieu, une valeur fondatrice comme « Athéna » ou « Aphrodite ».

[2] Citée par René Querido dans L’Âge d’or de Chartres (Mortagne).

[3] Marija Gimbutas, Le langage de la déesse (Des femmes).

 

Entre la cime et l’abîme

Entre la cime et l’abîme

L’histoire d’Icare raconte comment un adolescent insouciant et joueur endossa des ailes artificielles façonnées avec des plumes d’aigle grace au génie de son père, Dédale.  Les deux hommes attachèrent cette nouvelle invention à leur corps par de fines pointes de cire. Ainsi équipés, il prirent gaillardement leur envol, laissant derrière eux le labyrinthe qui les retenait prisonnier. Lorsque ces drôles d’oiseaux apparurent dans le ciel, un pêcheur, un pasteur et un agriculteur furent témoins de la scène. Ils virent Icare, ne faisant aucun cas des conseils avisés de son père, s’élever d’une force ascensionnelle inouïe vers de téméraires hauteurs. Visant le Soleil, ses ailes battirent de toute leur force pour rejoindre l’astre du jour. Et puis, soudain, la chute. Aux approches du luminaire incandescent la cire devint molle puis fondit. Les ailes perdirent leurs attaches. Las ! l’adolescent n’agita bientôt plus que ses bras nus, incapables de le soutenir sur cet air sans portée. En un éclair il tomba dans l’eau bleue de la Méditerranée. Bientôt, il ne resta plus de lui que quelques ondes éparses sur les flots. Dédale, qui assista impuissant à la scène, ne put que s’en vouloir d’avoir mis entre les mains de son fils un outil aussi puissant que dangereux. Tout en se lamentant sur la dureté du destin qui l’assaillait au moment même où il retrouvait sa liberté il enterra son fils perdu sur l’une des îles des Cyclades. Elle porterait désormais son nom : Icarios.

Ce bref épisode mythologique devint, au XXè siècle, le sujet privilégié de nombreux livres, pièces de théâtre, films, sculptures et peintures. Pourtant l’antiquité gréco-romaine n’en fit pas le thème central de son iconographie. Elle préféra représenter le drame plus ample où Icare apparaissait comme une simple péripétie : les relations d’admiration et de rejet qui se jouèrent entre Minos - le roi de Crète - et Dédale, son ingénieur en chef. Si la passion des modernes pour Icare illustre l’une des problématiques de notre société - comment sortir du labyrinthe de toutes nos complexités créées grâce à notre intelligence technique afin de retrouver le Soleil-de-vérité – il reste que le personnage d’Icare est indissociable des aventures de Minos et de Dédale. Car ce dernier est le véritable héros de l’histoire. La seule raison pour laquelle nous n’avons plus besoin de le mettre en scène, c’est que la société moderne est devenue un véritable dédale. À quoi bon représenter ce qui est déjà là ? L’art a pour fonction d’annoncer le futur et d’exprimer les aspirations inaccomplies des peuples, mais aussi de les mettre en garde contre les dangers qui les menacent. C’est pourquoi aujourd’hui, la mésaventure d’Icare, le fils du constructeur génial qui élabora avec tant d’art un monde si artificiel et si fonctionnel, est importante à comprendre pour l’avenir de nos enfants.

Dédale, dont le nom signifie « ingénieux », appartient à la maison royale d’Athènes. Forgeron hors pair, il tient son habileté de la grande déesse Athéna. L’univers mythologique lui doit la construction d’une vache de bois qui permit à Pasiphaé de s’unir au Taureau blanc de Poséidon ; le fameux labyrinthe de Cnossos, en Crète, où fut enfermé le Minotaure ; la piste de danse destinée à Ariane aux beaux cheveux ; le fil que celle-ci donna à Thésée pour ne point s’égarer dans le labyrinthe ; les ailes artificielles qui seront pour Icare l’instrument de sa mort ; des statues qui semblaient si vivantes qu’il fallait les attacher afin qu’elles ne s’enfuient pas ; de nombreux bâtiments d’une magnificence irréprochable et enfin des jouets pour les filles de Cocalos. Cet archétype pousse l’homme à façonner l’univers en fonction de ses besoins. Il est bien sûr pleinement présent dans notre civilisation. Le monde extérieur est pour Dédale un objet à façonner, à transformer et à améliorer. La philosophie de l’Ingénieur est à cent lieues de celle d’Orphée qui enchante les pierres, les végétaux et les animaux par le son mélodieux de sa lyre. Orphée pense que l’univers est un sujet sensible à la résonance et à l’harmonie ; Dédale l’imagine comme une immense carrière où son désir va pouvoir prendre forme grâce à l’emploi de son intelligence. Nous sommes également très loin d’un autre archétype, celui de Prométhée pour qui la connaissance est synonyme d’une promesse de bonheur pour l’humanité future. Mais le Titan ne s’intéresse pas à la réalisation pratique de ses inventions, il lance quelques idées brillantes dans la nuit de l’ignorance humaine puis repart vers la conquête d’un nouveau soleil. Il serait vain de chercher à personnaliser les archétypes dans nos catégories en affirmant par exemple que Prométhée est un inventeur, Dédale un ingénieur et Orphée un artiste. Il existe des artistes prométhéens, comme Mozart et Beethoven ; des inventeurs orphiques et des artistes dédaliens. Personnaliser l’archétype dans un monde qui hausse la réussite individuelle sur le piédestal des valeurs les plus enviables est évidemment une tentation. Il faut cependant se rappeler que l’importance de la « personne » est une émergence récente dans l’histoire du monde occidental, lentement élaborée dans le grand creuset des idées chrétiennes[1]. Par de-là la réduction de l’archétype à la personne, parlante mais limitante, nous cherchons ici à évoquer la philosophie et par suite la vision du monde qui se trouve « au-delà ». Avec ce double présupposé : une civilisation équilibrée devrait être consciente de ses mythes fondateurs afin de dialoguer avec eux et être à même d’établir avec d’autres cultures fondées sur d’autres mythes des relations d’enrichissement mutuel. Alors seulement la mondialisation ne sera plus l’exportation collective d’une unique représentation du monde mais le réveil d’une multiplicité de modèles capables de révéler, via l’expression humaine, la richesse des possibles.

C’est dans cette perspective que nous développons cette série d’ouvrages sur l’analyse symbolique des mythes Grecs : afin d’évoquer la possibilité fonctionnelle de multiples rapports au réel. Ces idées sont très concrètes : si notre civilisation n’était pas dans une phase faustienne de son histoire nous précipiterions-nous, alors que les glaciers arctiques fondent du fait du réchauffement climatique, pour creuser de nouveaux puits de pétrole dans l’espace ainsi libéré par les glaces ? C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui. La fascination pour l’or noir éclipse la prévoyance prométhéenne (Prométhée, « celui qui prévoit) et étouffe la voix d’Orphée qui pourrait, par exemple, proposer d’en faire un sanctuaire mondial pour la faune et la flore. Or « Faust » ne voit le monde qu’à travers trois mots : puissance, richesse et connaissance. Toute connaissance est là pour lui donner plus de puissance secrète  et de fortune. Du reste le grec « Hadès » signifie « invisible » et le latin « Pluton » désigne le « riche ». Mais ce sont aussi les deux noms du même dieux de la mort. Il y a à l’œuvre, dans ce côté prédateur de l’être humain, qui va extraire des entrailles de la terre arctique un surcroît de poison pour la biosphère, un puissant instinct d’autodestruction, une sorte de désir de mort inconscient qui nous pousse vers une destruction collective. Thanatos n’habite pas seulement les consciences individuelles mais aussi notre culture inventive. N’est-il pas urgent de découvrir sa cachette ?

La dernière manifestation d’Icare connut son apothéose en juillet 1969, lorsque la mission Apollo 11 (Apollon, le « soleil », précisément) alunissait sur le sol poussiéreux de notre satellite. Armstrong, Aldrin et Collins accomplissaient alors physiquement le vieux rêve de l’humanité : sortir de son bocal, quitter la biosphère pour tutoyer le monde des étoiles. Mais Dédale ne partage que modérément cet enthousiasme pour l’ivresse des hauteurs. Il connaît les dangers de la démesure et les rappellent prudemment à son fils : « Je te conseille de te tenir à mi‑distance des ondes, de crainte que, si tu vas trop bas, elles n'alourdissent tes ailes, et du soleil, pour n'être pas, si tu vas trop haut, brûlé par ses feux : vole entre les deux. Et je te recommande de ne pas regarder le Bouvier, ni l'Hélice, ni l'épée nue d'Orion. Prends moi pour guide de la route à suivre[2] ».

Comme Prométhée, Icare s’élève vers le soleil. Comme Faust, il finira démembré par les forces du Monde-d’En-Dessous. Ce mythe est donc une plaque tournante entre Prométhée et Faust, les deux grands schémas archétypaux qui hantent notre modernité fascinée par la démesure des « gratte-ciels » qui défient les étoiles et attirée par l’exploration des secrets enfouis au cœur des failles abyssales. Que ces dernières soient psychiques avec la psychanalyse ou physiques avec les plateformes pétrolières, le symbolisme reste le même : un désir d’explorer le monde des ombres, le royaume d’Hadès. A Dédale nous devons la technologie spatiale et celle des exploitations off shore, la conquête de la lumière réfléchie par la Lune et l’extraction de l’ombre des entrailles de la Terre. Pourtant Dédale n’est pas un philosophe mais un technicien. Il construit ce que les dieux lui demandent. Longtemps l’ingénieur cultive la raison et l’objectivité. Il affirme haut et fort sa liberté vis-à-vis des croyances religieuses et mythologiques puisque sa représentation du monde veut une réalité objective. Pourtant le technicien, qu’il en ait conscience ou non, est nécessairement mû par une image du réel : méfiance viscérale de la démesure, prise de risques calculés, croyance que la matière doit être transformée par l’intelligence pratique, pragmatisme, besoin de « faire », souci du détail et maintien des liens familiaux transgénérationnels. Tout cela produit une vision du monde et, par suite, un monde.

Ce sont ces présupposés anthropologiques que nous allons à présent explorer afin de mieux comprendre l’univers mythologique de la technique et ses conséquences.



[1] Frédéric Lenoir, Le Christ philosophe (Plon)

[2] Ovide, Les métamorphoses (Flammarion)