Le monde a-t-il besoin d’être réenchanté ? (1/2)

 À vrai dire nul ne ré-enchante le monde, il s’agit seulement d’une question de regard. L’œil utilitariste rend la nature utile, la vision poétique la rend belle et lumineuse.

Aujourd’hui, il ne suffit plus d’améliorer notre savoir technique, il nous faut aussi découvrir un ordre sensé du monde et notre place dans celui-ci. Tel était déjà le programme de Descartes. Un projet dont seul le premier pas est en voie d’accomplissement, et avec quel brio !

Il faudrait aujourd’hui compléter cet immense succès qui nous conduit droit vers des déséquilibres psychologiques et planétaires dangereux par un « Traité de la Mythode », une jolie expression que nous empruntons à Gilbert Durand (1).

C’est-à-dire explorer le monde imaginal, cette réalité invisible qui est comme la racine céleste des choses visibles. En ces espaces inconnus fleurissent les mythes, les légendes, les sources d’inspirations des créateurs, des inventeurs et des mystiques, les esprits des plantes,  les ondines et l’âme du Monde.

Cet univers que toutes les cultures, à l’exception notable de la nôtre, ont exploré a le pouvoir, pour celui qui le contacte, de susciter de la joie et de le transformer profondément.

Cet article aborde le ré-enchantement du monde en deux parties : un premier volet explore ce que serait un monde un ré-enchanté, puis nous évoquerons dans une seconde partie un certain nombre de paradigmes qui pourraient contribuer à sa révélation.

Un monde qui s’ouvre sur l’infini

Que serait un monde ré-enchanté ? Peut-être et surtout une organisation sociale qui favorise l’ouverture des personnes à la perception de l’infini. Deux grandes disciplines contribuèrent à la transformation de l’humanité : les religions et les sciences fondées sur les mathématiques.

Or toutes deux traitent, à leur manière, de ce qui dépasse la condition humaine : la transcendance d’un côté et, de l’autre, ce grand mystère qui reconnaît la rationalité des choses. S’ouvrir à l’infini et regarder les étoiles dans la nuit décentre le « moi » de ses préoccupations quotidiennes et de ses systèmes de croyance qui rendent sa vie souvent si malheureuse. Progressivement cette ivresse des hauteurs descend dans notre finitude, l’enrichit et la transforme.

Cette posture d’accueil inconditionnel a pourtant un préalable qu’il faut trancher en son cœur : l’univers est-il accueillant ou est-ce une dure lutte pour la vie ? Dans le premier cas la compétitivité et les peurs viscérales qui habitent tout être humain n’ont plus de justification et peuvent être abandonnées. Dans le second cas elles conditionnent notre survie et nos comportements. Parions ici que pour ceux qui posent leur conscience dans leur cœur l’univers leur offre sa bonté spontanée.

Il y a 62 millions d'année, un gros astéroïde s'écrasa au large du Mexique, entraînant le 5e extinction sur Terre

Il y a 62 millions d’année, un gros astéroïde s’écrasa au large du Mexique, entraînant le 5e extinction de masse sur la Terre

Le contact avec l’infini transforme les sociétés

Sur le plan historique cette porte vers l’infini s’est ouverte au XIXe siècle, en synchronicité avec la découverte de Neptune (1846). Deux ans plus tard Marx publiait son Manifeste, ce qui lança le mouvement socialiste qui fut une sorte de messianisme laïc cherchant à dépasser les frontières de la fraternité et des nations. En ce même siècle la théosophie et le mouvement Baha’ï (1) rencontrèrent chacun l’enthousiasme de millions de gens. De leur côté des mathématiciens comme Cantor réussirent à mettre l’infini en équation. Le XIXe siècle fut un immense respir pour dépasser les limites humaines en insufflant l’infini dans la conscience des masses (Marx), dans la physique (Georges Cantor (2)) et dans la pensée (H.P. Blavatsky). Le XXe siècle opta pour le matérialisme, étouffa ces espoirs de renouveau et changea la donne avec ses grandes guerres. La découverte de Pluton en 1930 fut signal symbolique de cette nouvelle époque. Ré-enchanter le monde c’est accomplir au XXIe siècle les grands rêves mystiques portés par le XIXe siècle dans la conscience des profondeurs et de leurs puissances sauvages explorées au siècle dernier.

Déconditionner notre imaginaire

Cette ouverture sur l’infini n’est envisageable que pour celui qui accepte et apprend à déconditionner son imaginaire. Cela signifie arrêter de croire tout ce que nous racontent nos pensées. Cela signifie voir que les problèmes sociétaux, écologiques, militaires, de chômage et de pauvreté ont leur racine non dans l’économie ou dans quelque autre facteur objectif mais dans nos représentations, c’est-à-dire dans nos pensées. Une pensée complexe crée un monde complexe, une pensée apeurée crée un univers militarisé, une pensée bienveillante produit une réalité bienveillante. Concrètement ré-enchanter le monde suppose de changer notre interprétation du monde, de privilégier par exemple ce qui nous apporte de la joie, ce qui vient du cœur ainsi que les élans héroïques surgissent de notre âme.

Ceci n’est pas une vue utopique mais une simple conséquence du fonctionnement du cerveau. Lorsque nous regardons des objets le rayon lumineux qui s’y réfléchit passe par le cristallin de notre œil qui, comme toute lentille, inverse l’image. Donc, normalement nous devrions voir les choses « tête en bas ». Puis cette image inversée se transforme en un courant électrique pour atteindre le centre de la vision dans le cerveau. Alors seulement nous avons la « conscience de voir des objets ». En d’autres termes, le cerveau fonctionne comme une boite noire qui reconstruit en permanence ce que nous appelons « la réalité ». Comprendre que nous ne possédons que des interprétations est la clé pour déconditionner notre imaginaire. Ainsi ce morceau de papier que vous avez dans votre portefeuille et que vous appelez « argent » ne fonctionne que parce que tout le monde croit qu’il a de la valeur. Quelle personne sensée donnerait sa plus belle montre contre quelques rectangles de papier imprimé ?

Les grandes mutations se font dans les « no man’s land »

S’ouvrir à l’infini en déconditionnant notre imaginaire ne suffit pas. Il faut encore des conditions historiques favorables, sans doute réunies aujourd’hui puisque nous nous dirigeons vers la sixième grande extinction (3) du vivant sur la Terre. La dernière eut lieu il y a 62 millions d’années lorsqu’un gros astéroïde s’écrasa au large du Mexique actuel. Les dinosaures disparurent et avec eux un grand nombre d’espèces vivantes. Ce fut une chance inespérée pour un petit mammifère de la taille d’un chat qui a pu, au fil des millénaires suivants, se diversifier car le champ était libre. Il donna naissance au cheval, au rhinocéros, à l’éléphant, au chat, à la souris et… à l’être humain. Les changements profonds qui annoncent des âges nouveaux ont besoin des « no man’s land », des espaces où il n’y a plus de « dinosaure ». Il y a alors suffisamment de ressources et de liberté pour élaborer de nouveaux systèmes de pensée, de nouvelles visions du monde, loin des grandes « dinosaures » dominant, ce que nous appelons aujourd’hui « le système ». Une crise financière, écologique ou politique laisse un espace psychique libre pour s’ouvrir à l’infini et déconditionner l’imaginaire. En attendant il sera toujours possible de découvrir quelque no man’s land caché et discret pour préparer le nouveau monde.

Les clefs du vivant pour traverser les crises

Le foraminifère « sait » fabriquer des chausse-trappes à partir du mica recueilli au fond de l’océan pour attraper les petites proies dont il se nourrit.

Le foraminifère « sait » fabriquer des chausse-trappes à partir du mica recueilli au fond de l’océan pour attraper les petites proies dont il se nourrit.

Personne n’est seul pour ré-enchanter le monde. La vie sur terre, qui à déjà traversé bien des crises, a réussi ces prouesses grâce à plusieurs clefs dont celles de la coopération, de l’ouverture à l’intelligence collective et de l’intégration des fonctions.
Le lichen poussa très loin la coopération et réussit à conquérir tous les continents. Ce petit organisme est le fruit d’une alliance entre une algue photosynthétique pourvoyeuse d’énergie solaire et d’un champignon dont le mycélium absorbe les sels minéraux de la terre. L’un sans l’autre, ils seraient restés localisés dans de discrets et fragiles biotopes. Ici la coopération fut plus puissante que la compétition. Et si d’anciennes bactéries que nous appelons aujourd’hui des « bâtonnets » n’avaient pas décidé de vivre dans notre œil et de coopérer avec lui notre vue serait infiniment moins performante.

Le lichen est le fruit d’une alliance entre une algue photosynthétique pourvoyeuse d’énergie solaire et d’un champignon dont le mycélium absorbe les sels minéraux de la terre

Le lichen est le fruit d’une alliance entre une algue photosynthétique pourvoyeuse d’énergie solaire et d’un champignon dont le mycélium absorbe les sels minéraux de la terre

Une autre clef de transformation qu’utilise le vivant pour évoluer est la « confiance » dans une forme d’intelligence collective présente dans l’inconscient de la Nature (dont nous faisons partie). Il existe par exemple une petite cellule d’à peine un millionième de gramme, sans système nerveux et encore moins de cerveau, qui vit dans la mer. Ce foraminifère « sait » fabriquer des chausse-trappes à partir du mica recueilli au fond de l’océan pour attraper les petites proies dont il se nourrit. Comment est-ce possible sans cerveau ? Cette « intelligence émergente » dont l’instinct animal n’est pas étranger, pas plus que l’intuition humaine, contribue immensément au processus d’évolution et de transformation des êtres vivants. Saurons-nous lui faire confiance sans la brouiller par tous nos « jugements rationnels » qui l’étouffent ?
Mais qu’est-ce que l’évolution ? Le modèle biologique répond à sa manière, très pratique, en intériorisant les fonctions. En d’autres termes ce qui était d’abord à l’extérieur est devenu un intérieur au fil du temps. C’est ainsi que la carapace chez la tortue est devenue os chez les mammifères. Les fécondations entre ovule et spermatozoïde chez les conifères primitifs se faisant au hasard des flaques d’eau disponibles, puis vinrent les plantes à fleurs qui intégrèrent le processus de fécondation dans leurs corps. Qu’est-ce que signifie pour un être humain « intégrer les fonctions » ? Nous avons un terme pour le dire : « symboliser ». Symboliser, c’est transformer une expérience extérieure en un enrichissement de conscience intérieure, c’est intérioriser son sens afin de grandir en maturité et en liberté. En symbolisant nous intériorisons la conscience et contribuons au prochain pas évolutif du vivant.

Les êtres vivant utilisent une recette qui a fait ses preuves depuis quatre milliards d’années en coopérant, en « symbolisant » à leur manière très physique et en ayant confiance dans les « intelligences émergentes », cette force de « l‘inconscient » qui représente le moteur de l’évolution. Saurons-nous encore une fois accompagner individuellement et collectivement les forces de la Vie si puissante et si merveilleuse en nous ouvrant à l’infini ?

Dans le prochain article nous explorons quelques paradigmes qui pourraient nous aider à aller vers un monde ré-enchanté.

(1) Professeur de Philosophie, d’anthropologie et de sociologie (1921-2012), l’un des précurseurs des recherches sur l’imaginaire et auteur de Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Éditions PUF, 1960
(2) Religion abrahamique et monothéiste proclamant l’unité spirituelle de l’humanité, fondée en 1863 par le Persan Mirza Husayn-Ali Nuri (1817-1892)
(3) Dans l’histoire de la Terre, cinq grandes extinctions d’origines géologiques ou cosmogoniques ont eu lieu et 95% des espèces ont disparu
Par Luc BIGE
Article écrit d’après une conférence donnée par Luc Bigé à Bordeaux et à Paris en 2017, Aux âmes, citoyens
Luc Bigé
Docteur en Sciences (biochimie), s’intéresse à l’astrologie et notamment à l’astrologie mondiale. Auteur de nombreux ouvrages sur l’astrologie, le symbolisme et la mythologie grecque.
Principaux ouvrages :
Le chœur des planètes, système solaire symbolique, Éditions de Janus 2014
Vers un modèle astrologique de l’Histoire, Éditions de Janus 2012
L’homme réunifié en Occident et Orient, Éditions de Janus, 2002
La Voie du héros, les douze travaux d’Hercule, Éditions de Janus, 2010

Vers un monde réenchanté

Nous vivons dans un monde étrange. La rigueur de la pensée et de l’expérimentation scientifique, poursuivies sans relâche depuis trois siècles, mettent à notre disposition des pouvoirs et des conforts auxquels nul despote des temps passés n’aurait jamais osé rêver. Les machines se substituent aux esclaves pendant que les technologies de pointe réalisent l’impossible : communiquer instantanément d’un lieu à l’autre de la planète, parcourir physiquement le globe en quelques heures de vol, ou encore disposer sur les linéaires des supermarchés de productions en provenance de tous les horizons. Cette extraordinaire expansion à bien sûr un prix. Contrairement à ce qu’imaginaient les utopistes prométhéens du siècle des lumières, la boîte de Pandore s’est bien descellée pour notre malheur : le travail, jadis indigne d’un homme libre, est devenu un droit réclamé à corps et à cris ; la maladie resurgit en force, la folie souffla sur le monde lors de deux guerres mondiales, et ce mistral-là n’a guère perdu de sa puissance, encore aujourd’hui.

Comment dès lors comprendre la pauvreté en joie de l’homme moderne à qui les efforts de ses vaillants ancêtres ont légué la toute puissance, un confort jusque-là inimaginé et un savoir unique dans l’histoire du monde ?

Cette incroyable et héroïque tentative de l’homme occidental pour se libérer de la superstition, du mensonge, des approximations, des illusions religieuses et de l’obscurantisme des croyances se soldera-t-elle par un dérèglement climatique et des conflits sans fins où l’homme est devenu légalement « un loup pour l’homme » (ce qui est faire injure à l’animal des forêts) ? Curieusement, Prométhée, le Titan de la mythologie grecque qui apporta la connaissance aux hommes, avait déjà prévu ces inconvénients majeurs : le déluge, lycaon (« loup » en grec) et la boîte de Pandore appartiennent à la geste titanesque animatrice notre monde moderne depuis la révolution industrielle née en Angleterre dans les années 1760.

Notre drame et notre échec, c’est d’avoir jeté ensemble, comme sans y penser, le bébé et l’eau de son bain. Avec les flots usés de la superstition et des croyances, avec le rejet de l’argument d’autorité et le refus des explications magiques qui surnageait dans ces eaux-là, nous avons négligé le bébé, c’est-à-dire le cristal de sens qui les avait produites. En rejetant le religieux nous nous sommes libérés de la bêtise. Mais nous avons aussi laissé s’écouler dans les égouts de notre inconscient la présence du monde spirituel. Il en résulte un monde consumériste et matérialiste qui représente une victoire sur les obscurantismes du passé, mais qui incarne un monde déséquilibré au profit d’une seule lecture « hémisphère gauche » du réel. Cette conquête-là risque de se solder par une victoire à la Pyrrhus si rien n’est fait pour réintégrer le sens, les valeurs et la joie dans nos vies et dans notre culture. Ces derniers mots, vécus dans l’authenticité, se réfèrent tous à la dimension spirituelle. Ils ne peuvent être ni produit, ni achetés ni consommés. Et ils ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas. En d’autres termes ils ignorent totalement les « lois » du marché et les règles de la Méthode cartésienne.

Tout se passe comme si nous avions exploré avec un succès remarquable la moitié de la réalité, celle qui s’objective et se mesure, en laissant pour morte son autre partie, celle qui nous parle de la qualité, de la vie, de l’enthousiasme, de la sérénité, de l’amour, de la paix intérieure (et par suite mondiale) et de l’équilibre des contraires. L’oubli était facile, bien qu’il fut dramatique dans ses conséquences. Facile, car le monde du sens était tellement pollué par les errances totalitaires des monothéismes qu’il était tentant de tout renvoyer au diable ; facile encore car la confusion entre le religieux et le spirituel fut longtemps entretenue – et existe encore, hélas ! dans de nombreux esprits.

Le retour du religieux mondial, auquel nous assistons aujourd’hui, résulte de ce manque de sens ressenti par l’exil du bébé dans les limbes de l’obscurantisme. C’est là un retour du balancier qui stigmatise le dangereux déséquilibre contemporain entre le savoir et la sagesse. Il s’agit, bien sur, d’une régression par rapport à l’extraordinaire et unique tentative historique de libérer l’homme de ses chaînes, en France par la Révolution (1789), en Angleterre avec l’émergence du libéralisme (1760) et aux Etats-Unis par le biais de la première démocratie constitutionnelle (1777).

En réalité il faudrait aujourd’hui compléter le « Discours de la Méthode » par un « Discours de la Mythode » qui explorerait, avec la même rigueur et la même exigence que la science contemporaine, le monde du sens. Comprendre par exemple que notre société s’articule autour de deux grands mythes, Prométhée et Faust, éclairerait sous un jour nouveau cette folie du monde que tous déplorent avec un désespérant sentiment d’impuissance.

De cette nouvelle « Mythode », le symbole est la pierre angulaire. Il « porte » en quelque sorte le sens, exactement comme les mathématiques « portent » notre compréhension du monde objectif. L’analogie s’arrête là. En effet, lors de cette exploration l’espace intérieur du chercheur se substitue au laboratoire de recherche ; le sens esthétique remplace le sens pratique, la subtilité se substitue à la force ; le non-effort et l’acceptation de l’inconnu priment sur l’effort et l’accomplissement d’objectifs assignés ; le lâcher prise marque la victoire alors que la conquête est l’indice de l’échec ; la coopération devient de plus en plus une évidence naturelle alors que les restes de l’esprit de compétitivité marquent l’inaccomplissement de l’unité du réel.

Ce monde du symbole et du sens incarne exactement l’opposé-complémentaire des « évidences » prônées par la  pensée scientifique et usées, voire abusées, par la « logique » du libéralisme qui élève la réussite matérielle  au rang d’un nouveau veau d’or.

Symbole et modernité

D’un langage non-verbal, parole de la nature et de l’inconscient, qui « dit » en permanence la nature de ces liens invisibles qui tissent des relations entre des « choses » aussi diverses qu’une planète, une plante, un être humain, une pathologie, un événement ou une symphonie. En d’autres termes, le symbole nous rappelle que nous vivons dans un univers où l’interdépendance est la règle et la hiérarchie l’exception. Il n’y a pas de « symbole étalon » comparable au mètre de référence qui fonde l’esprit scientifique. Il existe seulement une danse subtile des éléments où chacun résonne selon sa nature avec l’ensemble des autres chorégraphes de l’univers. Pourtant, les « dire » et les « expliquer » c’est déjà les trahir un peu. Lorsque l’expérience du sens devient vocabulaire son « je-ne-sais-quoi » de souffle traverse allègrement l’intimité de l’être qui le retenait encore pour se dissiper dans la grande lumière immuable de l’objectivité. Aller voir du côté du monde symbolique, c’est donc avancer à pas de loup dans la jungle intriquée des choses subtiles, frôler l’inexistence du moi jusqu’à ce que celui-ci devienne aussi transparent et sensible que possible pour, finalement, se laisser imprimer par les couleurs moirées et chatoyantes de l’inconnu qui s’annonce. Car le silence appelle le dévoilement du symbole. Il crée un vide où se love imperceptiblement le nouveau cristal de sens qui va reposer un instant sur l’ouate de notre conscience avant de susciter la force d’un renouveau encore impensé. Douceur et accueil sont les maîtres mots de l’univers du symboliste qui n’oublie jamais la nature féminine de Gaïa, notre Terre.

La chose n’est pas aisée dans notre modernité, ce monde qui déplace des montagnes non pour aller vers les jardins d’un quelconque Prophète, mais pour creuser des autoroutes vers le soleil d’un midi profane. Ce monde-là multiplie les occasions de bruit et de bavardages, il effraie des milliers colombes qui s’envolent à tire d’ailes, contrariant ainsi l’ardente intuition de Nietzsche qui affirmait que « ce sont des paroles silencieuses qui apportent la tempête ; des pensées qui viennent sur des pattes de colombes dirigent le monde ». Ce monde moderne confond la douceur avec la faiblesse, par sa barbarie même il réfute non le symbole – puisque celui-ci est inhérent au réel – mais toute opportunité de voir l’enchantement de la Terre que dévoile le regard symbolique.

Or la Terre est aussi un enchantement. Ce n’est pas seulement une carrière à ciel ouvert où tous les ambitieux et tous les assoiffés de reconnaissance jouent aveuglément comme dans une cruelle cour de récréation.

Symbole et modernitéLes arbres, les arbustes et les herbes, pour le symboliste, « disent » au moyen de leurs formes, de leurs couleurs et de leurs textures, les liens sympathiques qu’ils maintiennent avec les étoiles, mais aussi avec les organes du corps humain. Par ce qu’ils sont, ils décrivent très précisément leur sens : ce qu’ils soignent, et l’équilibre perturbé que leur simple présence réajuste. Poursuivant sur cette voie l’écologie se fait sensible. C’est une écologie à mille lieues de la compréhension intellectuelle du fonctionnement des écosystèmes. L’écologie sensible perçoit la beauté de la nature, dialogue avec les plantes et les rivières, un peu à la mode amérindienne, où encore dans l’esprit des travaux d’Edward Bach sur les élixirs floraux. Alors le jardin terrestre n’est plus seulement un monde assujetti aux caprices de homme mais un univers vibrant et vivant où l’être humain trouve sa place en devenant une fleur parmi d’autres fleurs. Pour la première fois, par la médiation du symbole, l’homme perçoitdirectement la nature de la Nature au lieu de projeter sur elle ses rêves et ses angoisses. Une société attentive à la présence vivante et vibrante du réel, à l’âme du monde, développerait une écologie naturelle où l’humanité ne serait plus considérée comme un enfant capricieux que doit allaiter la Terre-Mère - ou encore comme un apprenti maître du monde enivré par ses nouveaux pouvoirs - mais comme une conscience sensible co-participative à l’évolution des autres règnes de la nature selon leurs propres lois. Dès lors, avec cette conscience-là, comment sera-t-il possible de mettre en danger le biotope naturel de l’être humain ? Là où la loi et la force échouent, le simple changement de regard fait merveille.

De même, lorsque le corps parle de ses souffrances, lorsque la maladie dit le mal auto-infligé par celui qui ferme ses oreilles aux hurlements tragiques de son Destin, le bistouri supprime le symptôme… et entérine d’un coup vif la surdité ontologique du patient. Inversement, celui qui voit et entend que son corps symbolise un mal-être au moyen de la maladie évite la fuite dans l’absorption des pilules « miracles » des officines. Il verbalise le dit du mal, le « mal a dit » en vérité. Ainsi, lorsque le symptôme se fait parole, lorsqu’il devient conscience de quelque chose, celui-ci disparaît car il n’a littéralement plus « lieu d’être ». Une lecture symbolique du corps humain et de ses pathologies révolutionnerait les concepts médicaux aujourd’hui en usage… ainsi que le gouffre de la sécurité sociale !

Et puis il y a la vie quotidienne. Un jour, un journaliste demanda en substance à Einstein : « à votre avis, quelle est aujourd’hui la question la plus importante à résoudre ? » De la part d’un éminent scientifique la réponse attendue concernait un problème physique important pour l’époque. Mais pas du tout. Einstein répondit : « aujourd’hui, la question essentielle est de savoir si l’univers est accueillant ». Etonnant, non ? Et pourtant ! Ô combien est-il essentiel de vérifier si l’univers est bon ! Car s’il est « accueillant » plus rien ne justifierait la compétitivité, la concurrence, l’effort, la guerre, la société de contrôle et la hiérarchie autoritaire qui fondent notre réalité communautaire. S’il ne l’est pas, par contre, il est légitime de fonctionner sur la peur et de se barricader derrière des lois, des serrures de sécurité et une attitude de méfiance chronique. Or que nous apprend le regard symbolique au quotidien ? Que les événements de notre vie sont les reflets exacts de nos plus intimes pensées. Tout ce qui nous « arrive » n’appartient ni au hasard ni à la fatalité, mais est là pour éveiller notre conscience sur notre nature profonde. Les événements de notre vie sont autant de messages qui nous rappellent sans cesse qui nous sommes. Alors nous comprenons que l’univers n’est ni bon ni mauvais, il est simplement juste. C’est un fidèle reflet, à travers les événements qu’il nous propose de vivre, de nos peurs, de nos angoisses, de nos joies et de nos espoirs enfouis.

Les peuples racines surent conserver, à leur manière, cette relation au monde à travers leur cosmogonie, une cosmogonie vivante qui œuvre dans tous les domaines de la vie communautaire, depuis la nature jusqu’à la médecine en passant par la justice et la vie en groupe. Ce ne sont pas, pour nous, des modèles, mais des images. Des images qui nous rappellent que nous aussi nous vivons dans un monde « magique » que nous pouvons, si nous osons, redécouvrir.

La Terre enchantée par le symbole n’est pas un paradis new-age où tout le monde s’aime et se respecte dans l’utopie infantile d’un paradis de facilité, de facticité à vrai dire. Regarder droit dans les yeux les messages symboliques demande du courage. Le courage et l’humilité de sa fragilité ; le courage nécessaire pour l’ouverture de sa conscience vers des zones encore inconnues de soi-même et, finalement, le courage de l’amour de celui qui sait se laisser toucher par la nature du réel sans jamais le répudier ni chercher à le transformer.

Comment interpréter une planète rétrograde en astrologie ?

Notre société technique et extravertie a peu l’habitude d’explorer par implication directe le monde magique. L’implication est directe lorsque la personne devient son propre laboratoire, lorsqu’elle commence à ressentir les courants d’énergies subtiles qui l’entoure et la compose. Quant au monde « magique », si décrié par la rationalité scientifique et la tradition intellectuelle contemporaine, comment le définir puisqu’il est précisément ce qui ne se décrit ni par la raison ni par l’objectivité ? Il est composé de l’ensemble des phénomènes réputés incompréhensibles que la pensée passe le plus souvent sous silence en les jetant négligemment dans la poubelle des hasards et des illusions : synchronicités, guérisons par les mains ou à distance, magie des pentacles, lieux et objets « chargés », télépathie, apparitions d’êtres non charnels, intuitions, états d’Eveil, joie sans causes, contact sensible avec les plantes, chamanisme, etc. La liste serait aussi longue qu’hétéroclite puisque nous ne possédons pas aujourd’hui, à l’instar des théories scientifiques sur le monde objectif, de modèle cohérent capable d’ordonner tout cela.

L’astrologie a bien sur un pied dans le monde magique. Régis Dutheil y voyait un système de synchronicités permanent[2]. Alexander Ruperti, lors de ses séminaires, récusait sans cesse la thèse des « influences astrales » et préférait parler de ciel intérieur analogue au ciel extérieur. Quoi qu’il en soit il n’existe aujourd’hui en science aucune force connue capable d’expliquer le phénomène astrologique et de le classer dans l’univers de l’objectivité rationnelle. De là à le jeter dans la poubelle des illusions il n’y a bien sûr qu’un pas… qu’il faut bien se garder de franchir !

Pour parler symboliquement, la journée se compose en moyenne de douze heures de jour et de douze heures de nuit. En d’autres termes, un cycle total de manifestation procède autant de l’objectivité solaire avec ses valeurs de raison, de conscience, de lucidité, de maîtrise et de force que de la « subjectivité » lunaire avec ses humeurs liées à sa sensibilité au monde invisible, celui de la nuit. L’un sans l’autre serait terrifiant. Le jour sans la nuit nous conduirait rapidement au totalitarisme d’une conscience qui chercherait à tout contrôler au nom du bien, du vrai et de la rationalité technique. La prédominance de la nuit rappellerait le fonctionnement des sociétés préscientifiques où les jeteurs de sorts et les sorciers font la loi en s’appuyant sur la peur des gens. Or nous avons développé, depuis Descartes, une « science du jour » capable de changer les conditions objectives de notre vie, il nous manque encore une « science de la nuit » afin de comprendre comment fonctionnent ces forces « psychiques » qui animent et organisent la réalité invisible au moins autant que la causalité scientifique. Une journée se compose de deux fois douze heures, un cycle d’expérience a autant besoin de la clarté que de l’obscurité pour accomplir son cercle parfait.

Planètes rétrogrades

Planètes rétrogradesDans un thème astrologique, les planètes directes nous parlent de notre manière de vivre dans le jour, les planètes rétrogrades de notre exploration du monde de la nuit. Longtemps la clarté a valu sur le sombre à tel point que la rétrogradation des planètes dans le thème natal était considérée comme un phénomène négligeable où comme une souffrance liée à on ne sait quel « karma négatif ». La nuit est-elle négative par rapport au jour ? La personne qui affirme cela révèle simplement qu’elle est encore prisonnière de sa culture, d’une culture qui n’a de cesse de considérer l’objectivité et la raison comme seuls moyens de connaissance. En réalité les personnes porteuses de planètes rétrogrades dans leur thème astrologique sont à cent lieues de ce débat : elles vivent dans le monde de la nuit. Et si souffrance il y a, car souffrance il y a, c’est lorsqu’elles cherchent à utiliser leurs planètes rétrogrades comme des planètes directes sous la pression des « bons » conseils de leur entourage. Car une planète directe aime bien conseiller : « bouge-toi un peu, fais un effort, pratique un sport » dit vaillamment Mars direct à Mars rétrograde ; « exprime-toi, concentre-toi un peu, sois plus curieux ! » pérore un Mercure direct qui cherche à réveiller un Mercure rétrograde ; « participe plus à la vie sociale, prends ton espace ! » encourage un Jupiter direct. Chacun le sait, les bonnes intentions pavent l’enfer de larges avenues. L’enfer des planètes rétrogrades, c’est de s’efforcer avec conscience de suivre les conseils des planètes directes. Elles vont alors à contre courant de leur nature profonde.

Si celles-ci sont peu prolixes en conseils comme leurs consœurs directes, elles ne sont pas avares en affirmations péremptoires : « la vérité c’est que le monde manque de chercheurs spirituels ! » affirme unilatéralement un Mercure rétrograde en Sagittaire ; « il faut pratiquer une discipline au quotidien afin que cela devienne une habitude de vie ! » répète à qui veut l’entendre un Saturne rétrograde en maison VI… tout en culpabilisant de ne pas y réussir chaque jour ; « l’amour est une romance où des choses extraordinaires vont prendre place » aime laisser entendre un Neptune rétrograde en V… malgré les nombreuses désillusions qu’il a déjà traversé. Car les planètes rétrogrades sont tellement absorbées par la vérité qui habite leur âme qu’elles ne voient plus le monde du jour, elles se laissent volontiers aller à croire que la vérité qu’elles cherchent avec l’avidité d’un nouveau converti, est universelle.

Sur le thème astrologique, lorsqu’une planète rétrograde, elle revient vers le Soleil qu’elle a laissé derrière elle en prenant de la vitesse. Elle remonte en quelque sorte le mouvement de la vie symbolisé par la roue zodiacale, littéralement « le serviteur de la vie »[3]. Cette façon d’avancer à contre-courant a deux conséquences : la fonction psychologique concernée n’est plus soutenue par la force vitale des habitudes ni par celle de l’égrégore du groupe. Elle se sent comme « hors circuit », abandonnée de l’aisance caractéristique des planètes directes qui sont soutenues par les acquis du passé, l’éducation et la force des consensus collectifs. Elles expérimentent alors une sorte de chaos, un sentiment d’incompétence, l’impression de ne pas savoir faire selon les standards de leur environnement. A cette confusion s’ajoute une avidité pour la recherche de nouveaux chemins : avidité de savoirs avec Mercure, expérimentations amoureuses répétitives et difficilement explicables avec Vénus, recherche de modes d’action non compétitifs et non-violents avec Mars. Tout se passe comme si la planète rétrograde avait pour mission de découvrir puis d’affirmer une nouvelle manière d’être, une manière encore inconnue et incompréhensible pour les porteurs de planètes directes. La seconde conséquence est plus subtile à percevoir : une planète rétrograde semble se soumettre aux « dictats » normatifs des personnes porteuses de planètes directes, mais, en réalité, tout cela glisse sur elle et elle n’en faitt finalement qu’à sa tête. Elles est tellement plongée dans sa subjectivité, dans sa nuit intime, dans la perception de ces pépites de sens qui brillent comme des étoiles dans le firmament de l’Obscur, que le monde extérieur ne l intéresse absolument pas. Un enfant avec Mercure rétrograde en XII se questionnera très tôt sur l’existence de Dieu, en VIII sur son propre fonctionnement psychologique tel que ses rencontres le lui révèle, en IV sur la nature des liens familiaux qui tissent sa propre identité… alors, dans ces conditions, comment peut-il s’intéresser au fonctionnement du pied à coulisse et aux derniers résultats sportifs ? Ces questionnements sont toujours intimes et « secrets », ils n’apparaissent pas extérieurement. Pour une raison simple : les planètes rétrogrades sont mal outillées pour s’exprimer. Elles ne savent tout simplement pas comment faire. Mercure ne sait pas dire ce qui le préoccupe intimement, même si, en signe d’air, il n’est pas avare de paroles… tant que cela ne le concerne pas directement ; Vénus rétrograde n’a jamais appris à dire « je t’aime » même si l’amour et la beauté occupent une place prépondérante dans la vie de la personne ; Saturne rétrograde ne sait pas dire « non » et refuser quelque chose qui ne l’intéresse pas. L’incompétence de la rétrogradation dans le monde extérieur n’a d’égal que sa compétence dans l’exploration de sa vie intérieure. Mais comprenons-nous bien : il ne s’agit pas du psychologue qui a appris sa science sur les bancs de l’université ! L’exploration de la nuit, nous l’avons souligné, suppose que la personne soit en permanence son propre laboratoire. Elle est comme immergée en elle-même et incapable de parler de son expérience en cours. Elle-même ne sait pas où elle va. Elle a déjà franchi un grand pas lorsqu’elle accepte cette marginalité naturelle et ne cherche plus à imiter le comportement des planètes directes.

Le pas suivant consiste à comprendre que les lois du monde magique sont inversées par rapport à celles du monde objectif. Avec Mars direct, il faut se battre pour affirmer ses points de vue et se faire une place au soleil ; avec Mercure direct il faut avoir du répondant et savoir argumenter ses analyses pour convaincre ; avec Saturne direct il faut prendre des responsabilités et assumer joyeusement le sentiment de solitude issu de sa position sociale. Inversement, avec des planètes rétrogrades il s’agit idéalement d’apprendre à se réaliser dans le non-effort. Les « il faut » des autres les agacent profondément. Le non-effort consiste à laisser vivre la nouvelle vie qui hante le cœur, à accepter les nœuds psychologiques qui surgissent, à conserver une foi sans attente vis-à-vis du nouveau cristal de sens qui deviendra pleinement conscient au moment de la conjonction entre la planète qui rétrograde et le Soleil[4]. Arrivée à ce point, la personne commence à comprendre de l’intérieur que ce qu’elle avait toujours perçu comme un handicap est en vérité une grâce. La grâce de la profondeur et de l’inspiration. Combien de Mercure rétrogrades chez les orateurs ! Combien de Vénus rétrogrades chez les hommes politiques porteurs de valeurs, combien de Mars rétrogrades chez les apôtres de la non-violence, de Jupiter rétrogrades chez les réformateurs sociaux et de Saturne rétrogrades qui surent changer le vieil homme qu’ils étaient en un nouvel homme ! Bien sûr ces exemples font plus figures d’exceptions que de cas généraux, mais ils nous montrent comment nous pouvons transformer une rétrogradation si nous décidons de l’accueillir, de la prendre en main et de reconnaître le travail qu’elle accomplit au fond de la psyché. Comment se fait le retournement ? Par la reconnection de la fonction planétaire au ressenti intérieur de l’être, par son contact toujours plus intime avec son âme, avec son Soleil.

Évoquons à grands traits chacun de ces retournements

Avec Mercure, la pensée se désintéresse du monde objectif et se tourne vers l’intérieur. Ce qu’elle questionne semble ne soucier personne. Elle voit soudain des détails invisibles aux yeux de ses compagnons, mais elle est incapable d’exprimer la nature de son nouveau monde tellement elle est lente lorsqu’il s’agit de dire quelque chose. C’est que la personne est engagée dans le long processus de la recherche d’une nouvelle manière de penser et de comprendre. Elle s’interroge beaucoup sur son propre fonctionnement psychologique, s’intéresse parfois à l’astrologie comme outil d’exploration de ses mystères intimes. Au bout du compte, lorsque Mercure sera sortie de la boucle de rétrogradation en progressions, elle aura développé une manière de voir et de dire qui pourra étonner ses compagnons par des intuitions qui semblent surgies des profondeurs de la nature.

Avec Vénus rétrograde, il est difficile de dire « je t’aime », d’exprimer ses sentiments et de se confronter à la vie réelle dans ses relations amoureuses. C’est que la personne porte en elle une image de l’amour très spéciale qui a peu à voir avec la nature de la personne aimée. Elle comprend peu ses motivations et pourquoi elle se retrouve sans cesse dans des schémas répétitifs qui lui semblent pourtant incontournables. Elle cherche au fond d’elle-même une nouvelle manière d’aimer. Selon la force de Mars, elle pourra séduire beaucoup en cherchant à travers ses multiples partenaires l’âme sœur qui les réunit tous, ou se réfugier dans une période monastique car personne ne semble la comprendre. L’art, son art à elle, sera souvent un moyen de dire ces valeurs profondes. Au terme de cette longue période de quête, la personne aura compris que la séduction est un obstacle à l’amour, elle deviendra porteuse de valeurs nouvelles par ce qu’elle est devenue.

Avec Mars rétrograde, la compétitivité, le plaisir de sentir l’énergie fuser et le goût du combat propres à la planète directe sont comme effacés. Le désir a des difficultés à s’exprimer lorsqu’il s’agit de satisfaire les besoins du moi. Se défendre, défendre ses intérêts personnels, n’a plus de sens. Évidemment, cette lacune est longtemps vécue comme de la faiblesse par le porteur d’un Mars rétrograde. C’est que la vie lui demande de prendre conscience de l’énergie vitale qui est à sa disposition et de la réorienter consciemment. Des techniques comme le taï chi pourront l’aider par exemple. Un jour, la personne comprend par l’expérience que son énergie et ses désirs sont infiniment plus efficaces lorsqu’ils sont mis au service d’une œuvre ou d’une activité impersonnelle qui ne nourrit pas son ego. Alors Mars retrouve sa fonction première : se mettre au service de la vie.

Avec Jupiter rétrograde, il est parfois difficile de prendre son espace et de réussir matériellement au sens où l’entend notre modèle de civilisation consumériste. Bien sûr, la personne participe à la vie sociale. Mais elle se sent tellement décalée ! Il existe une telle différence entre le fonctionnement de groupe qu’elle pressent comme possible au fond de son cœur et la réalité de sa vie socioprofessionnelle ! Chaque jour elle souffre de cette incompréhension viscérale. Pourtant, elle se sent protégée intérieurement par les anges. Cela lui donne la force de continuer et d’avoir foi dans sa vision. Arrivée au terme de ce processus de maturation intérieure consacré à la vision d’une nouvelle manière de concevoir le sens de la communauté et l’usage de l’argent, ses compagnons viendront la chercher pour lui proposer des responsabilités professionnelles où elle aura la possibilité de rénover le tissu social grâce aux évidences qui auront poussé en elle.

Avec Saturne rétrograde, la fonction « interdit » est tournée vers l’intérieur et sans efficacité par rapport aux demandes du monde extérieur. Aussi la personne a-t-elle de la difficulté à dire « non » tout en culpabilisant d’avoir cédé si facilement à la demande de son ami(e) ou de ses enfants. Un jour, elle comprend qu’un « non » est en réalité un « nom », son nom. L’affirmer pleinement revient à se mettre debout, à renoncer à se prendre pour dieu en cherchant sans cesse à être parfaite, et à affirmer depuis le cœur de son cœur son identité profonde. Une identité qui remplace enfin le nom du père absent, manquant, ou parfois trop autoritaire (si Saturne rétrograde est fortement valorisé dans le thème). Saturne rétrograde offre l’opportunité à la personne de renouveler complètement son identité. Jung est sans doute un bon exemple de cela. En général ces personnes se sentent fragiles et démunies par rapport à la « dure réalité de la vie », mais c’est qu’elles ignorent encore tout de leurs ressources. Il leur faut souvent des conditions difficiles pour réaliser à quel point elles sont fortes et capables de faire face aux difficultés. Leur résistance psychique est sans égale car Saturne, en se tournant vers l’intérieur, est un bon outil pour gérer le processus de métamorphose et de reconstruction du moi. Une reconstruction fondée sur les valeurs du Soi, du Soleil de naissance, et non plus sur l’éducation et la tradition.

Quant aux rétrogradations d’Uranus, Neptune et Pluton elles nous offrent l’opportunité de contacter directement la qualité d’énergie de la planète. Avec Uranus rétrograde la personne se sent radicalement différente des autres et a un besoin de liberté non négociable. Elle développe une sorte de toucher mental où elle devient capable de sentir la présence des Idées platoniciennes. Avec Neptune, elle apprend la transparence en s’ouvrant toujours plus au rythme du cosmos qui la porte de sommets extatiques en vallées profondes d’ombres et de nudité. Avec Pluton, elle commence à sentir dans son corps les forces de mutations qui sont à l’œuvre dans chacune de ses cellules. L’angoisse incompréhensible qui la hantait jusqu’à présent se montre enfin sous un nouveau jour, celui de la vie qui cherche un chemin dans sa matière corporelle.

Que dire encore des rétrogradations ?

Que dire, si ce n’est accentuer une fois de plus leur importance dans le thème astrologique ! En fait chaque planète devrait être lue non seulement en signe, maison et aspect mais aussi dans sa relation de phase avec le Soleil. La boucle de rétrogradation des planètes intérieures est l’occasion de reconnecter la pensée (Mercure) et les valeurs (Vénus) aux besoins essentiels de l’être humain, aux besoins du Soi. Quant à la boucle de rétrogradation des planètes extérieures, elle tente de corriger tous les excès et les peurs générés dans l’emploi de celles-ci depuis leur conjonction avec la Soleil (les excès, le sentiment de toute puissance) et le carré croissant à l’astre du jour (les peurs, les décisions avortées). En d’autres termes, chaque planète directe porte le niveau de conscience généré lors de la précédente boucle de rétrogradation. Que serait en effet le jour sans la nuit ?


[1] Cet article évoque le sens des planètes rétrogrades sur un thème astrologique. Ces idées sont développées, avec des exemples d’interprétation, dans un ouvrage du même auteur publié aux éditions de Janus : Planètes rétrogrades, terres intérieures.
[2] Régis Dutheil, « un nouveau modèle temporel : synchronicité et a-causalité dans l’univers supralumineux ». Revue de biomathématique n° 97, p 27 (1987).
[3] D'après le Larousse « zodiaque » viendrait de zooi-dia-kon ou zooi eikon, c'est-à-dire « image d'animaux ». C’est peu vraisemblable car quatre signes ne sont pas zoomorphes et, surtout, le principe qui consiste à vouloir tirer l'origine à partir de la figuration dérivée semble défectueux. C’est comme si, par exemple, on essayait de tirer l’étymologie de « Citroën » à partir des chevrons de la marque. On peut cependant imaginer une autre étymologie à partir de Zoe diakonos ,  diakonossignifiant « serviteur » et zoe, la « vie » : le « serviteur de la vie ». Le  mouvement du Soleil sur l’écliptique renvoie à la « vie » (zoe) et le dessin des signes renvoie à son « serviteur » (diakonos). Il existe donc douze manières de servir la vie, c’est-à-dire la Grande Déesse, notoirement mise en scène dans les douze Travaux d’Hercule.
[4] Cela n’est vrai que pour les planètes qui naviguent à l’intérieur de l’orbite terrestre, Mercure et Vénus. Les planètes extérieures rétrogradent lors de leur opposition au Soleil, par conséquent l’interprétation sera un peu différente.

COP21, le grain de sel symbolique

La question du réchauffement climatique doit être abordée sous les angles techniques et systémiques en interrogeant l’état des lieux et les outils dont nous disposons pour changer nos modes de production d’énergie, ainsi que le contexte géopolitique qui rendra possible ou non l’inéluctable transformation de notre modèle de civilisation. Grosso modo le G.I.E.C. s’occupe du premier point et la COP21 du second. Mais ces deux approches conjointes sont conditionnées par deux autres facteurs. D’une part l’état de conscience des acteurs, qui oscille entre défense des intérêts privés/nationaux et protection du bien commun terrestre. D’autre part, il existe un processus plus long et plus inexorable que l’on pourrait nommer ici, pour reprendre le terme de Hegel, la Ruse de la Raison. Ce que les Grecs nommaient le fatum ou la violence du destin. Nous avons théorisé cette lecture quadrifoliée d’une question donnée dans La Force du Symbolique[1].

La question du changement climatique pourra donc être placée sous quatre faisceaux de lumière illuminant un seul objet :

  • Les capacités techniques d’adaptation aux bouleversements actuels et les modèles climatiques fondés sur des mesures scientifiques (G.I.E.C.)
  • Les enjeux géopolitiques devant aboutir, idéalement, à un embryon de conscience collective née des interactions entre les acteurs politiques, économiques et ceux de la société civile (COP21).
  • Mais l’évolution des sciences comme celle des ballets diplomatiques est la conséquence de l’état de conscience des acteurs individuels, eux-mêmes influencés par l’ambiance collective. Ils reflètent dans le visible le degré d’évolution de l’humanité.
  • Enfin, un facteur impossible à changer que nous appellerons les « lois de l’histoire », ce processus puissant et aveugle qui conduit toutes les civilisations de leur naissance vers leur mort[2].

Ce texte propose quelques réflexions relatives au troisième point : l’analyse symboliques des diverses sources d’énergie présuppose que ces technologies sont aussi des symboles, c’est-à-dire le reflet visible de nos plus intimes pensées, un miroir de l’état de la conscience actuelle de l’être humain. Privilégier telle ou telle voie de recherche – on sait par exemple que les premières voitures étaient autant électriques que mues par des énergies fossiles, mais l’histoire à fait le choix du pétrole - n’est pas neutre ni purement contingent, ni même aléatoire. Ces orientations disent quelque chose sur la civilisation opérant consciemment ou non ces choix.

Il n’existe que deux sources à l’énergie que nous consommons. Celle qui vient du soleil et celle produite par la rotation du noyau terrestre. La première inclue le photovoltaïque mais aussi le vent, l’hydraulique, la biomasse et les ressources fossiles comme le charbon et le pétrole. La seconde est visible lorsque vous sortez votre boussole pour trouver le Nord : il s’agit du champ magnétique terrestre. Y appartient également la géothermie et le nucléaire.

De ces deux sources l’une est donc solaire, l’autre terrestre. Nous retrouvons ici les archétypes Père/Mère mis en scène dans toutes les mythologies du monde, avec une accentuation du côté « Père » dans le monde Indo-européen et sémitique, une mise en valeur de l’aspect « Mère » chez les peuples premiers. Ce partage des valeurs est aussi une ligne géopolitique puisque le « Père » est associé au point cardinal Nord et la « Mère » au Sud. La raison apollinienne polarise l’ivresse dionysiaque. Les peuples du « sud » n’ont pas la même analyse de la situation que ceux du Nord.

Que disent ces diverses sources d’énergie sur ce que nous sommes aujourd’hui ?

Commençons par les valeurs solaires.

Le photovoltaïque, l’expression du cœur

Les cellules photoélectriques établissent un contact direct entre les rayons solaires, cette métaphore du Soi, et l’activité humaine puisque l’électricité produite est immédiatement disponible pour l’action. Un monde 100% photovoltaïque serait donc le fruit d’une conscience collective et individuelle qui a dépassé le stade du « moi » centré sur le nombril corporel, qui a quitté les énergies issues du ventre de la terre (fossiles) pour poser sa conscience dans son cœur. Le soleil, rappelons-le, est associé à cet organe qui n’est autre que le repère du divin en l’homme. Le développement de l’énergie lumineuse dans le monde est l’indice de l’émergence du Soi dans la conscience de l’humanité. Cette étape de l’évolution demande à chacun de devenir aussi transparent que la cellule photoélectrique et aussi coopératif que le panneau solaire formé de nombreuses cellules juxtaposées. L’appareil illustre exactement le fonctionnement symbolique du cœur qui, du point de vue biologique, est formé de deux cœurs distincts accolés. Arrivée à cet étage corporel, la conscience réalise que la différenciation n’est plus une séparation. La qualité du cœur consiste à être soi tout en étant en empathie avec l’autre. Le solaire rappelle que l’unité d’un monde est le fruit des différences co-opérantes. Le soleil ne nivelle pas les valeurs dans un bouillon collectif comme l’eau, ni n’impose une vérité surgie des profondeurs comme le pétrole.

L’éolien, la liberté de pensée

Si le développement du photovoltaïque est une mesure symbolique de nos avancées vers une société de compassion, l’éolien parle des poumons et de notre capacité à vivre libre. L’Air est en effet le seul des quatre Éléments qu’aucune frontière ne freine. Sans cesse en mouvement, il relie les points les plus éloignés du globe et, en langage psychologique, il communique pour diffuser des informations. Liberté de parole, liberté d’opinion, liberté de pensée sont ses dons à l’humanité. Et le corps humain nous rappelle que pour ne pas devenir froid et sec comme un intellectuel l’air va puiser sa chaleur auprès du cœur. Il est utile de rappeler que toute parole vient du système cœur/poumons, que des mots qui portent loin emmènent avec eux les battements d’un cœur vivant et chaud. Le développement de l’éolien représente symboliquement la manière dont nous transformons notre liberté de penser en actes, c’est un appel à réaliser la philosophie après avoir philosophé la réalité. Ces moulins à vent mettent en scène le chiffre trois avec leur trinité ailée en rotation. Or le trois est précisément le chiffre de Mercure, le messager des dieux qui, lorsqu’il s’enferme dans le ventre devient le dieu des voleurs et du commerce inéquitable. Le développement de l’éolien dans le monde symbolise l’intelligence mise au service du cœur, l’innovation pour des buts humanitaires et humanistes.

Les sources suivantes, toujours d’origine solaire, impliquent la reconnaissance des valeurs féminines symbolisées par la grande Nature. Une Nature féminine tellement mise à mal par la culture patriarcale du Nord et celles du Sud qui tentent de les imiter au risque de perdre leurs racines ancestrales.

L’énergie marémotrice, les grandes questions métaphysiques

C’est une manière de marier le féminin avec le masculin puisque les marées sont le fruit des rythmes soli-lunaires. L’élément Eau est sollicité, cette eau aussi fluide et insaisissable que le féminin. Les mythes distinguent souvent les eaux salées et les eaux douces. Les premières sont impropres à la consommation humaine et renvoient aux grands espaces métaphysiques et à la mort ; les seconds se coulent dans l’intimité de l’homme et fécondent sa culture. Utiliser l’énergie des marées revient à interroger l’invisible et à se demander en quoi l’au-delà coopère avec le monde des vivants. Ces enquêtes sont encore marginales, exactement comme l’est l’usine marémotrice de la Rance, rare exemplaire d’une exploration inachevée. Elle fut mise en service en 1966, à l’heure des grands questionnements nés avec le mouvement hippie.

L’hydroélectrique, le développement personnel

L’utilisation de l’eau féconde eut plus de succès. De nombreux barrages transforment aujourd’hui les courants d’eau en courants de lumière. Que fait un barrage ? Il arrête le flux des eaux pour créer un lac artificiel, puis le liquide s’engouffre dans des vannes munies de turbines pour produire l’énergie électrique, pour alimenter le vivant. Un barrage ressemble furieusement à un surmoi qui, pour que la conscience objective reste aussi calme et sereine que l’eau du lac, interdit les courants frondeurs en provenance de l’inconscient. Le barrage marque la volonté de la conscience humaine de ne plus se laisser balloter par le flux des émotions. Il signe l’effort qui permettra de transformer des agitations affectives (l’Eau) en une conscience objective (l’électricité, la lumière). Construire un barrage sur une rivière revient à affirmer la liberté de l’homme qui ne se laisse plus guider par les aléas de son existence mais décide, par l’effort personnel, de changer de plan de conscience, de passer de l’instinct vers l’intelligence et de l’impulsion à l’observation.

Si les premières roues à aube ont plus de deux mille ans, la généralisation de l’énergie hydroélectrique remonte au XIXe siècle et au début de l’ère industrielle.

Et puis il y a encore les sources d’énergie qui utilisent le solaire maturé dans la matière vivante avec la biomasse sous toutes ses formes : bois, algues et micro-organismes. L’idéalisme des hauteurs devient de plus en plus pratique en s’adaptant aux urgences de la vie quotidienne.

La biomasse, les processus de transformation

Pour la première fois le féminin est sollicité en tant qu’acteur dans la production d’électricité. La biomasse représente le mariage productif entre la conscience du Soi et le corps de la Terre. Psychologiquement ces énergies symbolisent la capacité de l’être humain de recevoir dans son corps les influx du Soi pour agir à partir de la sagesse du vivant en lui. Ce n’est plus seulement l’Air (l’intellect) qui innove mais l’intelligence du vivant qui produit un modèle de civilisation. Le degré de développement de la biomasse dans le monde symbolise la capacité croissante de l’humanité à faire confiance en la sagesse de la nature pour aller vers un monde dont il ignore la finalité. Cela suppose une génuflexion mentale, la reconnaissance que la pensée n’est qu’une faible partie de l’intelligence de la vie. Cela suppose aussi la confiance en la bonté de l’univers, loin de toutes les formes de compétition et de violence. Rappelons que l’évolution des espèces doit plus à la symbiose – un terme biologique pour dire « coopération » – qu’à la sélection naturelle – un autre terme biologique pour dire « compétitivité ». Le bois représente une transformation de la chair du végétal en lumière et en chaleur, les fermentations produisent des transformations du vivant en « Air ». L’usage de la biomasse symbolise une conscience humaine en harmonie avec les grands processus de la vie partout autour du globe.

Lorsque la biomasse n’est pas remise en mouvement dans le grand circuit du vivant, dans la biosphère, elle s’accumule au fond des lacs, des océans et des lagunes pour se mélanger aux sédiments. Beaucoup plus tard cela donnera naissance aux énergies fossiles : pétrole, charbon et gaz « naturel ». Ceux-ci représentent donc symboliquement tout ce qui, de l’histoire du vivant, n’a pas participé à la joie du monde en s’enfouissant au plus profonde de l’inconscient pour, beaucoup plus tard, donner de la profondeur à l’être humain.

Ces dernières énergies nées du soleil et de la nature ont passé des milliers d’années enfouies dans le ventre obscur de la Mère. Ce sont les plus « polluantes » car elles sont chargées de mémoires non digérées. Leur exploitation fait remonter vers la surface les sombres histoires de l’homme et de sa civilisations, histoires longtemps négligées, enfouies dans l’inconscient individuel et collectif. Pétroliers et mineurs sont les psychanalystes du monde.

Le charbon, l’œuvre au noir

Il s’agit d’une pierre noire et brillante formée il y environ 350 millions d’années à partir de la dégradation partielle de la matière organique des arbres. D’une certaine manière le charbon est un diamant inachevé. Une pression plus conséquente et la pierre noire serait devenue translucide à la lumière. En termes historiques le sédiment fut utilisé comme combustible à grande échelle dès le XIe siècle, puis à plus grande échelle encore à partir du XVIIIe siècle. Son extraction a présidé aux deux grandes révolutions industrielles qu’a connu l’histoire. Pendant ce temps les sociétés, les idées et les organisations évoluaient considérablement. Le charbon métaphorise un processus de transformation intérieure. Le but ultime est symbolisé par le diamant, le « di-amant » qui, par son ouverture centrée, est transparent à la lumière solaire. Miracle de la nature capable d’accueillir dans la pierre la plus dure, formée de cristaux cubiques, ce qu’il y a de plus rapide et de plus léger au monde : les photons. C’est tout le mystère de l’œuvre au noir qui consiste à se débarrasser de ses « impuretés » pour laisser passer à travers soi et sans déviations la force de Vie solaire. Les réserves mondiales de charbon sont disséminées sur tous les continents dans plus de 70 pays : ce processus de transformation de la nature humaine et par suite de sa civilisation est de la responsabilité de tous. C’est ainsi que les mineurs que nous sommes tous deviendront des hommes majeurs. Notons cependant que les diamants se forment dans le manteau terrestre et non à partir des végétaux de surface. Ils naissent d’une remontée des profondeurs.

Le pétrole, la psychanalyse des mémoires collectives

C’est un liquide minéral, noir et visqueux, pompé à grand renfort de technologies dans les tréfonds du sous-sol. Son exploitation procure de l’énergie mais bien plus encore : des plastiques, des lubrifiants, des détergents, des engrais et des cosmétiques. C’est la source d’une manière de vivre, le fondement de la personnalité du monde que nous connaissons. Mais quelle est son origine ?

La formation de pétrole implique une accumulation de matières vivantes non recyclées par la biosphère. Ces végétaux se déposent dans les profondeurs en se mélangeant avec les sédiments, couche après couche, dans des espaces intérieurs où la circulation des fluides est bloquée. Le pétrole est le fruit d’une non-communication, d’une accumulation de mémoires dans un espace intérieur inaccessible à la lumière de la conscience. Il a besoin d’un piège terrestre pour se former, c’est-à-dire d’une caverne imperméable dans le ventre de la Mère. Un puits creusé au bon endroit fera alors jaillir le liquide minéral expulsé par la pression du gaz. La psychanalyse ne fait pas autre chose. Elle ouvre des passages à travers la croûte terrestre (le sur-moi) pour libérer les veilles mémoires enfouies, tout ce qui stagne et ne fut pas recyclé dans le grand mouvement de la vie (la biosphère), puis elle affine ces matériaux par l’analyse (la lyse) et leur mise en lumière (les raffineries). C’est bien le gaz – l’Air de la pensée – qui fait ressortir ces composant oubliés du psychisme.

Les pays producteurs ne possédant pas de raffineries sur leur sol laissent s’écouler dans le monde cette eau noire sans se donner la peine de la séparer en ses constituants primaires, sans l’analyser, sans la penser en vérité. On peut faire une analogie assez simple entre les pays du Moyen Orient comme l’Arabie Saoudite et le Qatar qui procèdent exactement de cette manière en ce qui concerne leur histoire religieuse : ils la considèrent comme du « brut » pour la répande sur le monde sans jamais la penser ni procéder à des exégèses du Coran. Bref ! Les traditionalistes de toutes obédiences qui s’identifient à un archétype venu des profondeurs de la nature humaine sans jamais l’interroger pour l’humaniser relèvent du symbolisme du pétrole. Ils risquent à tout moment de sombrer dans le fanatisme si ces valeurs ne sont pas raffinées.

Symboliquement cette industrie a pour fonction de mettre en lumière les dons du passé, d’adapter les richesses de l’histoire d’une civilisation aux besoins des temps présents. Ces richesses sont à rechercher du côté des lignées féminines puisqu’elles ont longtemps séjourné dans le ventre de la mère. C’est pourquoi la question du Moyen Orient trouvera peut-être une réponse dans un retour vers l’histoire de la civilisation islamique dont l’Arabie Saoudite est le berceau. Avant même la formation de l’Islam en 622 des concours prestigieux de poésie se déroulaient à la Mecque. Cette magie du verbe que cette civilisation porta naguère si haut avant de la réduire à sa plus simple expression : une lecture littérale du texte religieux. Les sociétés assises sur des réserves d’or noir devraient raffiner l’obsur pour libérer les dons nés de leur histoire.

L’importance géostratégique du pétrole remonte au début du siècle dernier en synchronicité avec le développement de la psychanalyse, des deux grandes théories qui ont révolutionné la physique - la mécanique quantique et la Relativité - ainsi qu’avec le développement de l’art moderne initié par Kandinsky. Toutes ces expressions humaines contribuèrent à déréaliser la réalité ordinaire. Le monde stable et rassurant longtemps perçu par les sens devint une illusion née de pouvoirs qui se refusent à la conceptualisation : l’inconscient, les quantas, la géométrie quadridimensionnelle « espace-temps » et l’abstrait.

S’étonnera-t-on alors que cette industrie, contrairement aux autres techniques, provoque des tremblements de terre, notamment avec l’exploitation des sables bitumeux ? Lorsque le sol tremble tous les repères paraissent incertains. L’identité humaine s’effondre un instant sous la prééminence de ses incertitudes. Ces temps de doute et de grandes remises en cause, nous les vivons en ce moment même. L’exploration des sables bitumeux annonce des temps de chaos et d’ouverture de la conscience collective à des modes de vie totalement inconnus.

Enfin l’industrie du pétrole suppose une concentration des pouvoirs fondés sur le contrôle et la puissance. Plus profondément, ce contrôle s’appuie sur une peur viscérale des « tremblements de terre » que cette technologie engendre. L’autorité devient alors un remède à l’angoisse. La force, bien réelle, cache la crainte de la révolution.

Les sables bitumeux, entre chaos et ouverture de la conscience

Le Canada en possède les plus grandes réserves connues au monde. Dans ce cas de figure la migration des hydrocarbures, formés dans les profondeurs, n’a pas été arrêtée par une cavité imperméable. Sous l’effet de la pression ils ont migré vers la surface. Les mémoires de l’histoire affleurent à la conscience. Leur extraction implique l’injection de liquides dans la terre pour fissurer les roches et libérer le pétrole piégé. Symboliquement fragiliser la terre qui nous soutient n’est pas anodin ! Les certitudes s’ébranlent pour le pire et, parfois, le meilleur. L’avenir dira si le Canada, ainsi que les autres espaces géographiques riches en sables bitumeux comme le Venezuela, seront des terres d’innovation sociale où se concoctent les grandes émergences du futur, ou des chaos sans nom.

L’étape suivante sera peut-être celle de l’« énergie libre » développée à la fin du XIXe siècle par Nicolas Tesla (1856-1943) mais restée inexplorée malgré des tentatives marginales de réhabilitation. Il s’agit de capter l’ « énergie du vide » présente dans chaque minuscule parcelle d’espace. Elle représente symboliquement « la Vie elle-même » ou encore l’Esprit qui est à l’origine des manifestations physique et psychiques[3]. Cette conscience de la présence du Vivant dans chaque parcelle du monde est aussi loin des valeurs contemporaines que l’est l’intégration de l’énergie libre dans notre organisation sociale. Le XIXe siècle, qui donna aussi naissance à Marx, Hegel, Nietzche, Volta, Allan Kardec et H.P. Blavatsky, fut une époque bouillonnante de créativité et de bouleversements spirituels. Mais les années 1900 ont privilégié le pétrole avec ses conséquences symboliques : nationalisme, concentration des pouvoirs, accent sur la mémoire des peuples.

L’énergie solaire peut donc prendre la forme de sa propre nature, le Feu de l’intuition, mais aussi se rendre disponible par des voies plus accessibles tant que la conscience humaine n’est pas arrimée au « Soi » comme l’Air de la pensée (l’éolien), l’Eau des émotions (hydroélectrique et marémotrice) et la Terre de l’action efficace (biomasse, charbon et pétrole).

Les sources terrestres

Après avoir exploré brièvement le sens symbolique des énergies en provenance du Père-Soleil, puis celles née des interactions entre ce Père et la Mère en suivant une courbe de réalisme croissant avec la séquence « biomasse, charbon, pétrole » au risque de perdre tout contact avec la Source (le Soi), voici les énergies spécifiquement produites pas la Terre : géothermie, magnétisme terrestre et fission nucléaire.

La géothermie, la chaleur de la Mère

Cette technique consiste à récupérer la chaleur produite par le magma terrestre à l’aide de forages à plus ou moins grande profondeur. Les régions volcaniques du globe sont naturellement les plus avancées dans ce domaine, notamment l’Islande, les Philippines et, potentiellement, l’Indonésie. Une partie non négligeable de la chaleur du sous-sol est générée par la radioactivité naturelle de l’uranium, du thorium et du potassium. Une autre part est liée au réchauffement du sol par le soleil. La géothermie a donc trois sources : solaire, radioactive et magmatique. C’est à cette dernière que nous nous intéressons, les autres étant analysées ailleurs.

Cette source d’énergie est constante car elle ne dépend pas des conditions atmosphériques comme l’éolien et le photovoltaïque. En d’autres termes elle est indépendante des conditions psycho-émotionnelles des personnes et des modes d’une culture : les « climat » intérieurs. Sa puissance tient dans son indépendance, sa profondeur et sa stabilité. C’est là une autre facette du féminin archétypal. La politique Islandaise est sans doute un bon exemple de cela. C'est au début du XXe siècle qu'une centrale géothermique de production d'électricité fut réalisée pour la première fois Italie. Le bassin parisien a également développé cette ressource.

La chaleur appartient à la sphère symbolique du « vivre ensemble », elle réunit les cœurs et les corps en une communauté unique où les participants sont l’interdépendant. Alors chacun éprouve un sentiment de sécurité sous l’égide des valeurs partagées.

Le magnétisme, le sens de la Mère

C’est pour mémoire que nous introduisons ici le magnétisme terrestre puisque l’énergie produite n’est guère capable que de mouvoir l’aiguille aimantée de la boussole. Produit par la rotation du noyau métallique liquide de notre planète le champ magnétique s’étend bien au-delà de la surface pour former un bouclier qui protège les organismes vivants des vents solaires. Orientation, attraction et protection sont trois qualités de la Terre-Mère. Elles sont personnifiées par les grandes déesses comme Athéna, Aphrodite, Déméter, Héra et Perséphone. Elles expriment les nombreuses qualités de la terre-Mère. Dans la mythologie grecque Athéna, née du crâne de Zeus, née des hauteurs du corps d’un dieu, représente ce féminin dans ce qu’il a de plus achevé. C’est « l’intelligence aux yeux clairs qui reconnaît à tout instant le décisif et qui choisit le plus approprié[4] ».

Il est possible que si, un jour, nous devenons capable d’utiliser l’énergie magnétique du noyau terrestre pour fonder une civilisation le rôle du féminin en ses multiples facettes (Aphrodite, Déméter, Athéna et Héra) y sera pleinement développé.

Le nucléaire, le pouvoir de la Mère

L’accès à l’énergie nucléaire est une grande première dans l’histoire de l’humanité. L’Antiquité utilisait déjà le solaire, la biomasse et les combustibles fossiles dans le cadre de la vie domestique. Mais la fission des atomes, même si elle existe à l’état naturel, ne fut jamais une source d’énergie pour l’homme. Son histoire la lie dramatiquement au militaire. La première réaction nucléaire en laboratoire réalisée par Otto Hann en 1929 en Allemagne ouvrit la voie aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki seize ans plus tard. Puis cette puissance fut plus ou moins bien canalisée dans des centrales nucléaires civiles. Pour des raisons que nous n’avons pas l’espace de développer ici, cette source d’énergie est de nature faustienne[5], habitée par un système de croyance qui imagine que plus de connaissance donnera plus de pouvoir. Cependant cette « psychologie de l’atome » voile le sentiment douloureux de ne pas être aimable de dieu avec une affirmation radicale de l’inexistence de la Grâce.

Car la fission nucléaire fonctionne exactement à l’inverse de la fusion solaire. Les atomes « cassés » libèrent une énergie considérable alors que dans le soleil ceux-ci sont rassemblés puis fusionnés en offrant une énergie plus grande encore. La division et l’hyper-concentration sur un sujet, voire l’obsession, caractérisent l’énergie nucléaire. C’est une tour d’ivoire devenue aveugle. L’hyperspécialisation de notre monde moderne en catégories de pensées et d’actions séparées les une des autres date la seconde guerre mondiale. L’avantage fut une précision et un progrès sans égal dans les connaissances, L’inconvénient ? La mise en place d’un monde géopolitique morcelé après la chute des grands empires et la décolonisation, le développement du sentiment d’être séparé de sa communauté et de la Nature.

L’énergie nucléaire objectivise la possibilité de la mutation des corps, comme du reste l’énergie solaire. Dans les deux cas des atomes nouveaux sont créés puisque l’uranium se transforme en plutonium dans les centrales et que l’hydrogène devient hélium et ensuite métaux lourds comme le fer dans le brasier solaire. Néanmoins les déchets radioactifs détruisent le vivant alors que la production solaire donna naissance à la vie organique. L’instinct de mort appartient au symbolisme du nucléaire. Oser le confronter et le regarder en face, reconnaître enfin, pour reprendre le mot de Valéry, que « nos civilisations sont mortelles » est la grande nouveauté du XXe siècle. La mort apprivoisée permet à certains de rêver à l’immortalité et à d’autres de sombrer dans le nihilisme.

L’énergie nucléaire pose cette question : sommes nous capables d’aller vers une nouvelle espèce, de « muter » la nature humaine ? Saurons nous réaliser en conscience ce que les dinosaures firent sous la pression d’une catastrophe écologique il y a 62 millions d’années, à savoir devenir oiseaux, changer radicalement d’espèce ? La mutation ne se fait pas dans les hauteurs de l’Esprit, dans la claire lumière du Soi, elle se produit dans le corps, dans la substance de la Terre. Les contrées qui ont fait le choix du nucléaire, comme la France, le Japon et naguère l’Allemagne, devraient pousser cette possibilité pour « symboliser » ce qu’ils savent déjà accomplir sur le plan matériel.

Les axes sémantiques des sources d’énergies

Chaque source d’énergie symbolise un état de conscience et une vision du monde. La logique des ressources fossiles (pétrole, gaz et charbon) implique l’organisation de la rareté, la centralisation géographique et la mémoire. Alors naissent des pouvoirs qui défendent leurs territoires au nom des valeurs traditionnelles et de l’histoire. Les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectrique) sont disponibles partout et pour tous, mais pas nécessairement tout le temps. Contrairement aux fossiles qui assurent une pérennité dans le temps les renouvelables jouent la carte de la répartition spatiale. Nous sommes dans un monde décentralisé où chacun peut disposer près de chez lui d’un générateur d’énergie, mais sans assurance sur le lendemain car nul ne peut garantir le soleil, le vent, la pluie. C’est donc un monde d’échanges, de coopération et de communication qui s’élève sur la technologie des renouvelables. Un monde sans racines ni mémoires, sans religions ni traditions, qui « vit en plein jour » au grée des opportunités du moment. Chaleur, direction, attraction et puissance sont des qualités de la Mère archétypale, relayée par toutes les femmes du monde. Elles sont irrationnelles car sensibles à cette expérience directe qui n’entre pas dans le cadre du raisonnement apollinien. La chaleur qui sécurise intègre tout sans questions ; la direction est le fruit d’un savoir aussi intuitif qu’instinctif  « qui reconnaît à tout instant le décisif » ; l’attraction appartient à la sphère du charme et des charmes, ces émanations du monde du Mystère ; La puissance véritable se source dans l’enracinement, celui du corps de désir. La lucidité solaire est bien inutile car elle ne ferait qu’interdire.

Nous évoquons ici des synchronicités, c’est-à-dire des correspondances a-causales portant sur le sens entre sources d’énergies, histoire, géographie et états de conscience. Le symbolisme a pour fonction de montrer et non d’agir puisqu’il n’existe pas de lien de causalité entre tous ces phénomènes. Il serait parfaitement inutile d’installer des raffineries de pétrole en Arabie Saoudite pour lutter contre la wahhabisme fondamentaliste et internationaliste dont cet état est le cœur. Cependant il ne faut pas sous-estimer la puissance opérative de la vision du monde puisque, en s’élargissant, elle agrandit la conscience. Voir plus largement, avec plus de hauteur et de précisions tout à la fois, change la perception du monde et la conscience que nous en avons. Alors, tout naturellement, les autres facteurs liés à cette histoire synchronique se modifieront sous l’action du mariage entre le levain de lumière et la pâte du monde, le Soleil et la Terre intérieurs. Politique, économie, social et usage des sources d’énergie ne dépendent-t-ils pas du degré d’ouverture de la conscience humaine ? Mais elles en sont aussi le signe.

Présentées selon un axe vertical de réalisme croissant :

Solaires – >                Apolliniennes : lucidité et idéalisme, la théorie prime sur l’expérience

Photovoltaïques ->     Métabolisation de la lumière, contact conscient avec le Soi, une société de compassion

Éolien ->                     Maitrise du vent, une société de libres penseurs et d’échanges

Marémotrice ->          L’exploration sensible des liens entre le monde physique et le monde métaphysique, une société de passeurs

Hydroélectrique ->     Maitrise de l’eau féconde, une société de producteurs

Biomasse – >              Transformations sociales et participation à la grande aventure du vivant, une société « écologique » sensible au développement durable et au respect de la Nature.

Charbon – >               L’acquisition de la majorité de l’homme marquée par le « développement personnel », une société « égotique » en quête de transparence.

Pétrole et gaz – >        La reconnaissance puis le nettoyage des expériences ancestrales. Une société alimentée par le pétrole se fonde sur sa mémoire, son histoire et sa tradition. Elle ne déploie ses richesses que lorsque tous ces éléments sont raffinés.

Sables bitumeux ->     Le forçage des mémoires qui ne sortent pas naturellement revient à fissurer le « surmoi » du monde, à craqueler la surface de la terre. Chaos et Révélation sont les deux facettes d’une humanité qui privilégierait cette source d’énergie.

Terrestres –>              Dionysiaques : l’expérience prime sur la représentation

 Géothermie ->             Vivre ensemble, une société de tribus

Magnétique ->             Protection et direction, une société matriarcale

Nucléaire ->                 Mort et immortalité, une société « initiatique » qui transforme la nature humaine

Le nucléaire termine la séquence en inversant le fonctionnement du brasier solaire.

Notes

[1] Luc Bigé, La Force du Symbolique, édition Derby.

[2] Crise actuelle : symbolisme, mythologie et biologie, sur youtube 

[3] Marie-Louise von Franz, Nombres et Temps, la fontaine de pierre.

[4] Walter Otto, Les dieux de la Grèce, Bibliothèque historique Payot.

[5] Le mythe de Faust, quatre vidéoconférences en ligne sur le site de L’université des Passages

Les blessures du prométhéen

Les blessures du prométhéen

Les « pathologies prométhéennes » résultent d’un dysfonctionnement non pas psychologique mais mythologique. En d’autres termes la cause de la pathologie n’est ni à rechercher dans les gènes ni dans une perturbation due à l’environnement affectif ou social, mais dans l’accomplissement encore imparfait du mythe fondateur dont la personne est porteuse. Les « maladies mythologiques » sont des appels de l’âme. Elles signent les nécessaires réajustements entre un appel intérieur impérieux et un comportement extérieur qui se refuse encore à la grande aventure. Nous en avons ici répertorié quelques-unes, sans prétention à l’exhaustivité.

Précisons qu’une même pathologie peut avoir au moins quatre causes fondamentales :

–                 Une cause physique : si je mange trop j’aurai mal au ventre

–                 Une cause systémique : si j’ai peur de mon environnement j’aurai mal au ventre

–                 Une cause mythologique : si je refuse ma créativité mentale j’aurai mal au ventre

–                 Une cause ontologique : le mal de ventre est un processus normal de naissance à soi-même.

Avant de traiter une maladie il convient donc de s’interroger sur sa cause possible : faut-il soigner avec un médicament qui aide à la digestion (cause physique) ; faut-il modifier ma manière de vivre (cause systémique) ; est-ce un l’appel puissant de mon âme, c’est-à-dire de mon besoin fondamental (cause mythologique) ; ou encore faut-il laisser s’accomplir le processus initiatique qui m’habite (cause ontologique) ?

Nous ne traitons ici que des maladies d’âme. Une migraine, par exemple, n’est pas nécessairement prométhéenne, même si elle peut l’être.

L’anorexie, une maladie des hauteurs

Prométhée refuse toutes les chaînes, la première d’entre elles étant l’incarnation de l’âme dans le corps. Il existe ici une révolte contre le fait d’être né et un impérieux désir de retourner vers l’essence des choses en se dématérialisant toujours plus, en retrouvant aussi ce feu dynamique et puissant que confère automatiquement toute expérience volontaire de privation de nourriture. Par l’anorexie, le prométhéen tente de revenir vers Ouranos, vers le Ciel Etoilé, là où brille la clarté de l’Esprit et la légèreté du souffle alliés à la toute puissance de l’intention. Pour lui « incarnation » signifie  être enchaîné au rocher de la matière corporelle. L’alliance qu’il devrait apprendre à sceller passe par la reconnaissance du corps.

Le mal de tête, une créativité inaboutie

Nous avons déjà noté la relation miroir entre la « pense du haut » et la « panse du bas » : la  même structure labyrinthique apparaît dans la forme du néocortex et celle des intestins, ce dernier terme signifiant par ailleurs « dans la tête » (in-testus). Souvent, chez l’enfant, le « mal de ventre » se manifeste lorsqu’une information n’est pas digérée. Le ventre est une soupape de sécurité à une tête encombrée, la diarrhée une élimination de pensées inassimilées. Or le prométhéen, nous l’avons vu, manque de sel biliaire : les intestins ne jouent pas leur rôle d’exutoire à une tête en danger d’asphyxie par une nourriture intellectuelle surabondante. L’énergie des pensées sauvages inabouties engendre alors pression dans la tête. Après l’anorexique regret du monde de la toute puissance stellaire voici les pensées créatrices inexpérimentées, encore incapables de trouver leurs chemins vers une réalisation matérielle. Alors la tête subit la pression de leur sarabande.

L’absence de « digestion » symbolique entraîne donc des « mi-graines ». C’est-à-dire, dans la langue des oiseaux, une semence coupée en deux. Cette « graine »  là, cette pensée inaboutie, n’a donc aucune chance de germer.  Deux désirs essentiels se font de l’ombre, s’empêchant mutuellement toute croissance. L’absence de « d’I-gestion » (gérer à partir de son axe vertical, le I) entraîne un risque de dissociation de la volonté : on veut deux choses en même temps sans pouvoir exprimer (faire pousser) ni l’une ni l’autre (mi-graine).  La « mi-graine »  reproduit exactement la forme du cerveau avec ses deux hémisphères. Au pire elle signe un état de schizophrénie, de dissociation de la personnalité entre deux objectifs fondamentaux et contradictoires : liberté et sécurité, indépendance et dépendance, etc. Elle manifeste la dimension d’ambivalence qui accompagne  l’ensemble de la geste prométhéenne.

Les problèmes de digestion, une assimilation imparfaite des émotions

Le rôle symbolique de la digestion est, nous l’avons vu, de « gérer à partir du I ». C’est-à-dire d’assimiler les informations en provenance de notre environnement  pour les rendre consubstantielles à soi-même, à notre verticalité, à notre nature particulière d’être humain. Ce rôle d’assimilation, la digestion l’exécute tant sur le plan biologique que sur le plan symbolique. Chez le prométhéen cette fonction est accomplie plus aisément par le feu végétal (le fenouil porteur de braise) que par le feu liquide (les acides biliaires). En d’autres termes il assimile les chocs grâce au fonctionnement extrêmement sensible de son corps de vitalité bien plus que par une acceptation émotionnelle. Le végétal correspond en effet symboliquement à l’énergie vitale car la plante se nourrit de lumière ;  le liquide, on le sait, image les émotions. Il arrive toutefois un moment où le feu vital ne peut plus complètement compenser le déficit en sels biliaires. Alors le processus de digestion récrimine.

La colère, une révolte inaboutie de l’Enchaîné

Après la tentation des étoiles au risque de l’anorexie, après le poudroiement de la créativité intellectuelle au risque de la migraine,  vient la colère refoulée. Celle-ci se focalise naturellement sur le foie puisque sa détérioration est la conséquence de la colère de Zeus qui envoie son aigle mangeur de chair. La médecine chinoise, par une toute autre voie, considère également le foie comme le siège de la colère. Dans cette structure les maladies du foie (hépatites, cirrhoses) sont la conséquence d’une contradiction psychique insoluble : le désir d’aventure, de prendre des risques, d’innover et d’aller de l’avant, confronté à un sentiment de culpabilité et une peur de l’échec. Cette nouvelle ambivalence  provoque une d’inhibition « résolue » par la maladie du foie. En ce moment mythologique particulier le prométhéen sait dans sa chair que l’aventure de la liberté pourrait générer un déluge dans sa vie personnelle. Enchaîné au rocher de son impuissance, il se refuse à exprimer sa nature essentielle par peur de l’échec. Emprisonné dans la tour d’ivoire de sa hautaine solitude il refuse l’humble amour des « petits oiseaux » et subit les outrages de l’orgueilleux aigle noir. La clé consiste ici à retrouver sa foi, son foie, sa confiance en soi, sa capacité à s’exprimer dans sa différence puis pour sa différence. La clé a aussi pour nom modestie et simplicité.

Les maladies du foie ou le futur incertain

La blessure de culpabilité infligée par l’aigle du remord – il « re-mord » en effet chaque jour – détruit automatiquement le moindre projet d’avenir. Aucun devin, si doué soit-il, ne lira jamais dans un foie déchiqueté. Le sentiment de ne pas avoir d’avenir, d’être sans projet, est si douloureux chez le prométhéen qu’il demande à son foie de le prendre en charge sous la forme d’une maladie. Rien ne sert alors de soigner le viscère, il est préférable de reconnaître le pressant appel de l’âme à une remise en route vers des futurs de lumière, car tous les futurs ne conduisent pas au déluge.

L’acuité visuelle : pour vivre dans le présent

L’organe de la vision du futur est attaqué par l’oiseau à l’œil perçant, le foie est dévoré par l’aigle.  L’aveuglement de Prométhée sur l’avenir, sur son avenir, est compensé par la vue à nulle autre pareille de l’oiseau de Zeus fixant le monde à partir d’inaccesibles sommets. Tout se passe ici comme si la vision dans le temps, la vision du futur, était remplacée par une vision de l’espace. Un nouveau retournement de la conscience point à l’horizon de l’expérience du prométhéen. Car que fait l’œil ? Il capte le feu de la lumière. Les ondes sont ensuite réinterprétées par le cerveau pour construire une image de la réalité. L’Enchaîné apprend à regarder l’ensemble de ce qui est plutôt que l’idéal de ce qui pourrait être. Il apprend à recevoir la lumière de l’existant plutôt que de distribuer aux hommes la vision d’une utopie. Généralement, le prométhéen affiche une grande acuité visuelle qui lui enseigne sans cesse l’importance de ce qui est là, ici et maintenant. Elle lui rappelle que le présent est un présent offert par l’univers… à condition toutefois de le vivre dans la présence à soi-même, comme immobilisé au rocher de sa nature profonde. C’est ainsi que les enfants de Prométhée  reconstruisent le sens de leur propre valeur et leur unité intérieure. Une unité que la vision déçue des lendemains que chantent avait passablement entamé.

La dépression, une régression du feu

Qui joue avec le feu se brûle, qui s’est brûlé craint même les allumettes. Une expérience des sommets est suivie d’une descente dans l’ombre de la vallée. La dépression prométhéenne est un reflux du feu : la vie ne se déroule plus, les choses ont perdu de leur éclat. Plantes, animaux et humains ne prospèrent plus. C’est là l’une des conséquences de l’aventure prométhéenne de l’homme occidental. L’homme moderne éprouve une diminution de sa joie de vivre et de son énergie, l’enthousiasme a cédé devant les assauts répétés de la tristesse. Les voleurs de feu de la Renaissance nous laissent ce lourd héritage. Après l’enthousiasme pour un monde de Progrès où le feu des Lumières devait éclairer l’humanité vint la jarre de Pandore avec ses maux : le travail, la maladie, la vieillesse, le désespoir mêlé à l’utopie.  Sur le plan individuel la dépression signe une régression du feu. Mais c’est aussi une maladie de notre civilisation car, collectivement, notre feu régresse par la prise de conscience des conséquences et des dangers du vol de la connaissance. Le prométhéen dépressif rencontre alors l’opportunité, voire la nécessité intérieure, de passer d’un feu à l’autre. La toute puissance du désir, interdite de projection sur les choses, devrait d’élever vers le cœur. Deucalion, le créatif inspiré par ses tripes, devrait remonter vers Prométhée, le créateur inspiré par l’esprit. Les prométhéens sentent avec plus d’acuité que d’autres les limites d’une société de consommation essentiellement préoccupée par le bien-être du ventre, ils sentent dans leur chair la nécessité de développer le feu du frêne : l’intelligence du cœur. Les dépressifs vivent une inconfortable transition entre deux feux : la sexualité, la reproduction et la production ne les intéressent plus, ils aspirent à une autre lumière, à la satisfaction d’un désir plus essentiel.

Parfois l’intensité du feu de l’esprit stimule de manière excessive celui des fesses. La part d’ombre de l’être est alors mise en lumière sous la forme d’une augmentation de l’instinctivité et de troubles sexuels. L’ange devient bête.

L’incendie volontaire représente une autre forme de la régression du feu.  L’individu inapte à assimiler l’intensité de l’appel de sa transformation intérieure la projette en son extérieur. Incapable de se brûler dans la flamme de la métamorphose l’incendiaire accomplit tout de même son acte de néantisation : la forêt part en fumée, sacrifiée au dieu du feu. Seul ce rituel impérieux peut satisfaire un temps l’inexorable génie de la transformation qui habite l’être hanté par son dieu. Le plus souvent ce feu est d’ordre sexuel car il s’agit du plus matériel des feux. Ne pouvant devenir plus tangible encore il n’a d’autres choix que de sortir de la sphère symbolique pour se manifester dans la flamme ardente qui anéantit les forêts et les frênes.

D’une manière générale le prométhéen est sensible aux maladies en « hyper » en raison de sa tendance à « jouer avec le feu ». Lorsque ce feu nouveau – qu’il soit sexuel ou spirituel – est trop violent, il stimule excessivement  un centre psychique ou un organe.

L’argent, une gestion difficile

Sans développer ici une analyse argumentée signalons que le sucre est l’analogue symbolique de l’argent. Or le foie gère la diffusion et le stockage du glucose sanguin. Le prométhéen risque par conséquent d’alterner entre le trop (stockage) et le trop peu (diffusion) dans l’emploi de son argent liquide. Entre la prodigalité et l’avarice au quotidien son foie oscille.

La blessure scandaleuse

Et puis il y a la blessure. Une blessure intrinsèque à l’épopée du Titan. Jusqu’à présent les pathologies prométhéennes étaient dues à un non-accomplissement du mythe : refus de l’incarnation (anorexie),  créativité mentale inaboutie (migraine),  sentiment d’insuffisance personnelle joint à un désir d’aventure (pathologies du foie) et opportunité de changer ses valeurs profondes (dépression). Pourtant la blessure est une donnée immédiate de l’histoire de Prométhée. Tout prométhéen porte en lui un lieu de souffrance qui est aussi la signature de son identité spirituelle. Le scandale de cette souffrance injuste qu’aucun événement de sa vie biologique ou psychique ne saurait ni expliquer ni justifier lui semble d’abord inacceptable. C’est néanmoins en cherchant à la comprendre et à vivre pleinement sa dimension symbolique qu’il accomplit sa destinée. Beethoven eut des crises de surdité dès son plus jeune age, malgré cela il accomplit son destin de compositeur hors norme ; Fulgence Bienvenüe, l’ingénieur  qui fut à l’origine du métro parisien, eut le bras gauche arraché par accident à l’age de 20 ans, malgré cela  il consacra sa vie à la réalisation de ce projet de construction jugé scandaleusement novateur à son époque. Et, non sans ironie, il fonda la première station de métro à « Mont-Parnasse », précisément là où Deucalion s’échoua après le déluge et créa une nouvelle race d’hommes. Le prométhéen devrait donc s’interroger sur le lieu corporel de sa souffrance, car là est la clef de sa mission spirituelle.

Le massage au cochon d’Inde

Vous êtes à Lima. Vous allez quérir sur le marché un cochon d’Inde en vérifiant précautionneusement que l’animal est bien du même sexe que vous. Vous prenez ensuite un moto-taxis qui vous conduit chez un guérisseur… et c’est là que tout commence. L’homme reçoit votre cochon d’Inde – appelé ici le cuy – et le passe sur votre corps en commençant par votre front. Lorsqu’il arrive sur la plante des pieds le cuy est dans un coma profond. Il a, entre-temps, réagit vivement aux zones malades. Puis le guérisseur enlève la fourrure de l’animal. Alors commence l’interprétation, avec une précision qui ferait pâlir bien des anatomo-pathologistes universitaires et rendrait totalement futile les scanners et autres machines à rayons[1]. La dissection effectuée, l’état des organes du cochon d’Inde renseigne très précisément le guérisseur sur les pathologies du patient car le rongeur a pris dans ses organes les pathologies en question. Il suffit alors d’observer leur état sur le cobaye pour connaître par analogie celui de l’homme. . L’Information est proportionnelle à la gravité de la maladie. L’animal absorbe une partie de l’affection du patient mais aussi les impressions (susto) et les énergies négatives (les maléfices, dano) qui l’affecte.

La médecine traditionnelle amazonienne, loin de la lecture mécanique occidentale, considère en effet qu’il n’y a que trois sources maladies. Les impressions reçues de l’environnement au sens large : familial et social mais aussi naturel comme une colline, un cimetière ou une source. Ces maladies dues au « susto », ou « impressions » entrainent une perte temporaire de l’« âme ». Le susto est une affection qui a pour origine une émotion, un accident ou une situation de terreur et qui se manifeste dans le corps comme un symptôme après les faits. Une vive émotion provoque la séparation de l’âme du corps, ceci pouvant être dû à sa capture par la nature (la terre, les eaux). L’absence de l’âme fait que le corps du patient, abandonné à lui-même, se nourrit mal et que surviennent les manifestations de la maladie, avec ses symptômes physiques et psychiques. Les pathologies peuvent aussi venir des envoûtements intentionnels, par « sorcellerie ». Le susto s’apparente à une lecture psychosomatique de la maladie, le dano ne fait pas partie de notre culture. A quoi il faut ajouter les maladies naturelles, jugées très rares. Pour les Matsigenka, qu’une personne puisse mourir de mort naturelle est absurde. C’est seulement dans le cas de la mort d’un vieillard cacochyme qu’ils acceptent que sa vitalité se soit épuisée[2].

Bernard Herzog qui a participé avec un groupe de médecins occidentaux à la cérémonie du massage cite ce patient opéré d’un neurinome du nerf auditif qui entendit, à sa grande surprise, la guérisseuse lui décrire son amputation auriculaire. L’auteur offre d’autres témoignages[3] :« Mme M avait subi une embolie pulmonaire un an plus tôt. Ce qui correspondait au lobe moyen du cobaye était violacé, infarci, et le reste des parenchymes demeurait rose. M. Y avait eu 18 mois plus tôt, une phlébite de la loge antéro-externe du pied gauche. Il put vérifier sur son cobaye la même localisation pathologique. Ceux qui « se font de la bile » ont une énorme vésicule dilatée, etc. La technique s’avère capable de déceler les tumeurs, mais également les affections psychosomatiques et les cas d’ensorcellement. L’ancienne fracture claviculaire de M. M. laissait observer une exubérance sur l’os homologie du cobaye. Nous ne comprenions pas la rapidité de réalisation des lésions sur l’animal, nous ne pouvions que le constater : quelques minutes suffisaient pour matérialiser ce que l’on appelle en radiologie : l’image latente. Deux messieurs observèrent une bride péricardique devant le cœur du cobaye dénudé : ils avaient une vie sentimentale en accord avec cette présence inusitée. Le cobaye d’un médecin avait dans ses canaux déférents deux petits serpents transparents à tête sombre : il n’avait guère de vie sexuelle !Pour trois messieurs, Euphémia devait exercer une pression sur la glande prostatique du cobaye. Malgré son profond sommeil, il se mit en érection et devait éjaculer une substance semblable au vermicelle chinois… Tous trois, parvenus à l’andropause, retrouvèrent dans les semaines suivantes un certain renouveau sexuel… Car la méthode d’Euphémia est non seulement l’homologue de nos radiographies sophistiquées, mais possède un versant thérapeutique – le coût modique de la consultation (7 francs) est sans comparaison avec les prix des investigations pratiquées quotidiennement dans toutes les installations radiologiques. »

Lors de notre séjour à Tarapoto nous avons interviewé Éric et Raphael qui se firent masser à leur tour par le cobaye. Voici leur témoignage sur cette vidéo de sept minutes.

Le massage au cochon d'Inde - Témoignages 

La technique est millénaire. Les Incas la possédaient et vraisemblablement également certains prêtres romains et égyptiens. Les conquistadores catholiques la mirent en péril, brûlant ses pratiquants en procès de sorcellerie sous prétexte de divination et autres diableries[4].

La première étude scientifique du phénomène ne fut conduite qu’à la fin des années 1980 par le Dr. Victor M. Reyna Pinedo de la faculté des sciences de Lima qui étudia systématiquement les diagnostics des guérisseurs en les comparant avec les résultats cliniques de la médecine occidentale. Ce travail est résumé dans une publication dans la revue Hegel (vol.4 n°1 2014 à télécharger ici en pdf). Sur un échantillon de 600 cas il confirme l’efficacité de cette méthode. Les résultats des examens histopathologiques réalisés sur les organes des cobayes utilisés dans le massage montrent qu’ils présentent des altérations microscopiques qui sont en relation directe avec l’affection qu’à le malade dans l’organe analogue. Autrement dit, il existe une corrélation exceptionnelle entre l’état histopathologie de l’organe du cochon d’Inde et la gravité de l’affection que présente le patient dans l’organe analogue. Il arrive par ailleurs que le massage mette en évidence des affections dont le patient n’est pas conscient et dont il commence à se rendre compte seulement à partir du diagnostic. C’est donc un procédé très sensible.Cuy-Congreso Nacional 2015 (B)

Néanmoins le massage au cochon d’Inde n’est pas seulement un outil de diagnostic. C’est aussi un processus thérapeutique puisque le cobaye prend sur lui les « énergies négatives » qui encombrent le patient et produisent ses pathologies. Par ailleurs le guérisseur peut aussi révéler au sujet des aspects de sa vie passée ou future pendant qu’il examine les organes du rongeur. C’est donc également une technique de divination. Ce fut du reste la principale raison de sa disparition sous les fourches caudines de l’Inquisition, et ce qui a longtemps freiné son étude du scientifique puisque cela dépasse les cadres des systèmes de pensées des un et des autres, pour des raisons contraires. D’un côté seul Dieu connaît l’avenir, il est donc proprement hérétique qu’un guérisseur puisse le remplacer ; de l’autre le futur n’est pas écrit, il est donc totalement scandaleux de faire foi dans ce genre de discours.

L’auteur qui a le plus étudié le massage au cochon d’Inde, avant la publication de Victor M. Reyna, est le médecin psychiatre Frederico al y rosa, en 1967. Il précise qu’il s’agit d’un « diagnostic symbolique » et de « pronostique magique » de la maladie au moyen du massage.

Les faits sont là. Comment les comprendre ?

Pour Eduardo Calderon (le Monde, 3 août 1988) « le cobaye, c’est comme une radiographie, aussi bien pour les maladies psychosomatiques que pour les maladies naturelles. Avec ses cellules hypersensibles, l’animal capte l’affection du corps du patient, ses organes l’assimile, qu’il s’agisse du cœur, du foie, des poumons ou des reins, si bien que je peux détecter facilement la maladie. Si celle-ci est due au dano (maléfice), la chair de l’animal est noire et des nerfs moteurs sont brisés près de la colonne vertébrale. »

Dans son ouvrage intitulé Le massage ou soin avec le cochon d’Inde dans la médecine traditionnelle péruvienne Victor M. Reyna Pinedo propose un mécanisme basé sur les biophotons, découverts il y a quelques années par Popp. Nous savons en effet que l’ADN des organismes vivant émet des photons. Les cellules utilisent ces ondes électromagnétiques pour communiquer entre elles, mais aussi pour échanger de l’information avec les autres êtres vivants : « L’organe infecté du patient émet des radiations électromagnétiques (biophotons), lesquelles de même que les protéines (des organes) dont ils proviennent, présentent une configuration caractéristique dans l’espace. Ainsi ces biophotons rencontrent des récepteurs adéquats avec lesquels ils interagissent seulement dans l’organe analogue du cochon d’Inde, qui reçoit cette information électromagnétique chirale et qui l’amplifie, générant immédiatement dans cet organe une affection similaire à celles que présente les patients. »

Mais cette hypothèse ne rend pas compte des aspects thérapeutiques ni divinatoires de la consultation

Enfin ces faits suscitent questionnements et réflexions

  • La sensibilité des cochons d’Inde à leur environnement, mais aussi et dans une moindre mesure des chats et autres animaux familiers, relance le débat sur la nature des êtres vivants qu’il devient abusif de considérer comme du matériel de laboratoire ou même comme de la simple nourriture. Certaines personnes possèdent le même type de sensibilité que le cuy en absorbant dans leur corps les pathologies familiales et environnementales. Elles prennent sur elles « la souffrance du monde » en faisant preuve de compassion. Le cuy n’est-il pas, dans le règne animal, l’équivalent d’un être de « compassion » ?
  • Dans une société mécanisée, industrialisée et commerciale qui ne jure que par la logique de la « cible » et du « combat » le petit rongeur nous invite à repenser notre vision du monde. Il appelle à explorer une autre facette de la réalité, plus féminine, avec ses transferts d’« énergie », sa sensibilité et ses interactions subtiles entre tous les existants.
  • Ces transferts d’informations d’un organisme vers un autre s’apparentent au travaux de Jacques Benveniste et Luc Montagnier sur la mémoire de l’eau mais aussi, en élargissant le champ, au fonctionnement de l’astrologie et autres systèmes « divinatoires » comme l’antique lecture des augures dans le foie du mouton : dans certaines conditions d’ouverture (« chaotiques » au sens scientifique) la matière reçoit une information délocalisée et spécifique présente dans l’ensemble de l’univers. Mais cela n’est concevable que s’il existe un champ porteur dans lequel nous baignons tous, non encore découvert par la science. La matière noire et l’énergie noire sont bien sûr des hypothèses possibles.

Quoiqu’il en soit le cuy pourrait devenir un joli sujet de thèse pour des étudiants en médecine, en psychologie ou en biophysique car, du fait de son extraordinaire sensibilité, il fonctionne comme un intermédiaire entre le monde biologique et ce que les guérisseurs péruviens appellent « le Monde Autre ».

Notes et références :

[1] Certains auteurs comparent ce procédé aux rayons X de la médecine occidentale, notamment

Victo Ochoa Medicina popular en la cultura Aymara, Boletines Ocasionales N° 23-24 del instituto de Estudios Aymaras, Chucuito (Puno, Pérù) 1975

[2] Des plantes psychotropes, initiations, thérapies et quêtes de soi, sous la direction de Sébastien Baud et Christian Ghasarian (éditions Imago 2010)

[3] Bernard Herzog, L’or des cendres, éditions Roger Jollois (1991)

[4] Victor M. Reyna Pinedo, Le massage ou soin avec la cochon d’inde dans la médecine traditionnelle péruvienne. Lima Inversiones Gráfica Perú 2002

[5] Par exemple les témoignages de Raphaelle (cet extrait sur You tube, l’ensemble de l’entretien est sur le site de l’université des passages) et de Naysha, curendera à Tarapoto (Pérou), université des passages également.

 

 

La crise actuelle

Retrouvez l'intégralité de cette conférence sur http://despassages.com
Dans cette série de 8 audioconférences d'une vingtaine de minutes, dont voici la première partie, nous montrons pourquoi la crise actuelle n'est pas seulement économique, sociale ni même écologique. Notre époque est face à une mutation considérable qui suppose une transformation profonde de la nature humaine. Dans la seconde partie nous évoquons les clefs qu'à utilisé le vivant pour affronter ce type de crise ontologique, La vie sur Terre a en effet déjà subit cinq grandes extinctions. Nous sommes au début de la sixième en raison des activités humaines. A chaque fois le vivant s'est transformé et à survécu.

Le signe du cancer et l’estomac

L’estomac est un viscère appartenant au tube digestif. Ce dernier est un dedans qui intériorise un dehors. Il reçoit des aliments en provenance du monde extérieur. Grâce à ce viscère creux le sujet se construit pas à pas en symbolisant le monde, en le « métabolisant » en langage biologique. « Symboliser » est en effet l’art de se mettre en contact avec quelque chose d’inconnu puis d’élaborer une réalité intérieure fondée sur le sens, le ressenti et la compréhension de ses perceptions. Le sujet se construit et se transforme grâce à d’incessants processus de symbolisation qui consistent à faire d’une perception extérieure une identité intérieure.

Le projet de l’estomac est de se remplir, de devenir plein. En ce lieu symbolique, le sujet prend naissance. Qu’est-ce, en effet, qu’un sujet sinon une plénitude posée là, comme une bulle puissante, sensible et fragile dans le grand vide des choses étrangères ? Toute perturbation de cette bulle de soi suscite des sautes d’humeur.

Biologie

La chute des aliments dans le sac stomacal stimule la sécrétion des sucs gastriques dans la paroi du viscère puis intervient un brassage mécanique qui favorise leur dissolution. L’acide chlorhydrique composant le suc gastrique est extrêmement corrosif. Il déforme les protéines, tue les bactéries et réduit la taille des molécules organiques. Sur le plan symbolique, cette lyse est aussi une « analyse ». Une analyse acide, sans concession, qui détruit l’apparence phénoménale des expériences-aliments pour n’en conserver que les éléments fondamentaux. Au contact du monde extérieur le « sujet » commence à produire de l’acide, mais il est aussi brassé, tourneboulé, bouleversé. Dans ce vase intime que de tempêtes et de désillusions ! Parfois l’acidité devient de la médisance si les reflux gastriques tentent de s’échapper de la poche où ils sont normalement circonscrits. Ils « brûlent » l’œsophage et la cavité buccale, métaphore d’un verbe acerbe inexprimé. Contrairement aux intestins et aux reins qui filtrent les substances, l’estomac ne choisit pas. Il accueille tout ce qui lui est servi. Parfois en récriminant mais toujours sans discriminer. On comprend à quel point la vie d’une personne centrée sur cet organe pourra être chahuté et combien elle devra l’avoir bien accroché pour accueillir les hauts et les bas des nourritures affectives. On comprend aussi à quel point la critique sera l’attitude défensive d’un « moi » immergé dans un monde extérieur jugé aussi immense qu’hostile.

Néanmoins la « critique acide » est une activité nécessaire au bon fonctionnement de l’estomac comme à l’élaboration du « moi ». En agissant ainsi la personne sépare en fines parties les expériences-aliments qu’elle reçoit. Elle se différencie du monde extérieur en affermissant progressivement l’île subtile de son « moi », elle est alors de moins en moins remuée par les grandes vagues retournantes nées de l’océan des choses étrangères. Lorsque l’ouverture sensible du moi est trop vaste, le monde extérieur est vécu comme une agression permanente que la personne est incapable de filtrer ou même d’accueillir. Alors elle rejette par le vomissement ce trop plein de choses subtiles qui envahissent sa conscience. Un excès de sensibilité « lunaire » la conduit à imiter le comportement de Cronos/Saturne qui vomit ses enfants. Les astrologues y verront bien sûr une manifestation de la complémentarité entre le Cancer et le Capricorne auxquelles ces planètes sont associées.

L’estomac symbolique est la promesse d’une profonde évolution pour celui qui réussit à faire sien ce qu’il admire chez les autres. Il « absorbe » leurs qualités. N’est-ce pas aussi cela « manger » ? Cette stratégie est très profondément inscrite dans le psychisme archaïque. Les Gaulois, dit-on, s’appropriaient la force et l’intelligence de leurs ennemis vaincus au combat en buvant dans leurs crânes. Curieusement, le christianisme à maintenu le sens premier de l’acte de manger puisque, au moment de la communion, les croyants absorbent le Corps du Christ et boivent Son Sang pour mieux s’imprégner de sa Présence. Du déguisement vestimentaire à « l’Imitation du Christ », le mimétisme aide la personne à intégrer les qualités qu’elle admire chez les autres. Agissant ainsi, elle les démystifie et se libère de l’admiration qui consiste à « dévorer des yeux » les êtres aimées. Dans le cas contraire, l’autre deviendrait une « proie » fort sympathique séduite par la trame miroitante des feux qui l’honorent. Peu importe que l’on théorise ou non le mimétisme. Le plus important est de le vivre puisque l’estomac appartient à l’espace sensible de l’Eau et se destine à l’élaboration du sujet.

L’ego qui souhaite échapper à l’enfermement narcissique devrait éviter l’écueil de l’absorption de l’autre. Il a pour tâche d’incorporer les qualités qu’il juge exemplaires et non de dévorer des formes qu’il aime avec admiration. L’estomac digère les expériences en les soumettant au rude malaxage des sucs gastriques ! Une personne qui refuserait la souffrance du deuil, cette l’opération de destruction des images et des souvenirs pour se réapproprier une simple essence d’expérience, serait comme Narcisse[1]. Elle ne verrait dans le monde extérieur qu’une image d’elle-même, sans la symboliser, sans la métaboliser, sans la transformer, sans la détruire et s’offrir la chance de devenir un être à part. Car tout se passe parfois comme si l’estomac voulait avaler tout rond ce que les yeux admirent sans se donner la peine de l’acidification douloureuse par les sucs gastriques. Douloureuse, car l’estomac propose un processus de mort des images et des formes reçues du monde extérieur pour n’en retenir que l’essentiel. « Nourrir » et « mourir » sont si proches ! Grandir est un processus de deuil. L’estomac le rappelle à sa manière en absorbant du vivant pour le transformer en substances mortes. La langue des oiseaux n’est pas en reste : le J que dessine le « Je » naissant dans la poche stomacale évoque en même temps les multiples petites morts qui égrènent l’existence dans l’expression « ci-gît ».

Un estomac accompli possède donc sur le bout des doigts l’art du deuil. L’être psychique fonctionne exactement comme le viscère biologique : il reçoit par voie sensible des informations du monde extérieur puis il les fait siennes en les « tuant ». Grâce à ce processus de mort, la mémoire des choses et les souvenirs disparaissent pour se transformer en une essence d’expérience. De l’image, il ne conserve que l’idée de beauté ; de la souffrance du manque il honore sa sensibilité. Mais mourir pour grandir n’est pas toujours facile. La tentation est grande de rêver dans son estomac, de ne conserver que le désir de plénitude en refusant l’arrachement du deuil. Alors surgit l’addiction. Lorsque l’estomac ne symbolise plus il absorbe sans cesse le monde extérieur. Il collectionne les objets, les images, les souvenirs, les amours, les rêves artificiels ou les livres… tout ce qui le remet en contact avec ses richesses intérieures non encore intériorisées. Chacun d’eux joue le rôle de la célèbre madeleine de Proust. Le collectionneur absorbe le monde et le dépose au creux de sa maison-estomac dans l’espoir de se sentir comblé. Mais s’il oublie de métaboliser les objets qu’il rassemble, ceux-ci s’accumulent et il court le risque de vivre de drame de Cronos qui vomit ses enfants.

Les trois niveaux de lecture de l’estomac symbolique sont donc  « manger ou être mangé » dans l’involution ; « se changer ou être mangé » dans l’évolution ; « devenir consubstantiel au Réel » dans la transvolution. L’involution confronte la personne au sens de sa fragilité mais aussi à une violence possessive ; l’évolution consiste à entrer dans le processus de symbolisation et de deuil ; la transvolution porte au plus haut point les conséquences de l’incorporation des essences.

La grande et importante tâche de l’estomac consiste finalement à métamorphoser un « moi » narcissique en un « je » centré et utile au reste de l’organisme. Le doute sur soi (« est-ce thomas ? ») désarçonne son rêve de toute puissance ; l’irritation l’oblige à reconnaître l’autre dans sa réalité inabsorbable donc imparfaite à ses yeux. Mais, un jour, l’homme engage sa responsabilité par un « Je » : il affirme son estomac. Il réalise sa juste place au point médian des extrêmes corporels.

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L’estomac et l’œsophage

À force de vouloir tout conserver dans sa maison-estomac, la personne se retrouverait dans la situation délicate de Cronos, le Titan qui avalait ses enfants.

Mythologie

Le plus jeune des fils d’Ouranos et de Gaïa castra son père. C’est ainsi qu’il mit un terme à l’incroyable fécondité du couple primordial. Il s’unit ensuite à sa sœur Rhéa qui lui donna six enfants. Pour s’assurer de son trône et éviter le sort qu’il infligea naguère à son père, le Titan ne trouva rien de mieux que d’avaler sa progéniture à l’exception notable du petit Zeus. Sa mère lui épargna en effet l’engloutissement en le remplaçant par une pierre que le Gourmand absorba aussitôt. Cronos, le Saturne des Romains, est donc un dieu mâle enceint de ses œuvres. Dans son immense estomac gisent des dieux ! Le sait-t-il seulement ? Le doute est permis quand on sait avec quelle avidité il avala le rocher que lui présenta Rhéa en substitution à son dernier-né. Tous ces trésors lui restent sur l’estomac faute d’en percevoir l’essence divine.

Heureusement, une déesse va l’aider à accoucher de ses œuvres. Métis fit boire au Titan un émétique, si bien que Cronos ne tarda pas à régurgiter pêle-mêle le contenu de son vaste ventre. Hélas ! Les dieux nés de sa bouche se révoltèrent contre leur père durant dix longues années au terme desquelles celui-ci perdit son trône. « Métis », l’accoucheuse de Cronos, se traduit par « Ruse », mais c’est beaucoup plus que de la simple astuce. La déesse personnifie l’intelligence féminine dont Hésiode affirme « qu’elle sait plus de choses que tout dieu ou homme mortel ». Les hommes possèdent une intelligence logique et abstraite, celle du logos, du verbe. Les femmes affichent une pensée adéquate, sensible à la nature des choses et qui sait comment résoudre immédiatement les situations les plus dramatiques. Une femme douée d’esprit de finesse va donc résoudre l’enfermement narcissique de Cronos et mettre fin à son avidité, à son perpétuel sentiment de vide intérieur. Une sage-femme en vérité. Mais il serait trop simple et dangereux pour un Narcisse d’attendre la rencontre salvatrice avec une femme-mère qui l’aiderait à accoucher de lui-même ! C’est la conscience de Métis qui le libérera de son enfermement psychique au creux de son ventre, c’est sa sensibilité immédiate aux besoins de ses proches qui lui permettra de vomir ses tripes en expulsant ses « dieux », ses dons et ses qualités intérieures. Le mythe ne peut offrir plus de clarté : un jour, l’estomac doit vomir son contenu. Un jour, la conscience des multiples demandes de la vie ordinaire impose à la personne centrée sur son estomac d’offrir au monde le meilleur d’elle-même : les plus digérées de ses expériences. Cette lecture est bien sûr psychologique mais elle vaut aussi sur le plan spirituel car l’estomac est le ventre d’où les dieux sont appelés à naître. Il s’agira alors d’exposer un travail longuement maturé dans le creuset de la vie intérieure. Vomir ses œuvres ! Telle est la destinée mythologique de l’estomac.

Et que régurgite-t-il, le Titan gourmand ? Des merveilles qu’il conservait jalousement cachées au creux de lui-même, mille qualités à nulles autres pareilles ! Entrer dans le processus de création en offrant au monde le fruit d’une longue maturation est la solution que le mythe propose pour soulager les maladies de l’estomac. Les « dieux », entendons ici les œuvres issues du processus de symbolisation, sont prêt à entrer dans la lumière.

Au début le manque de confiance en soi et un narcissique besoin d’être aimé enferment la personne dans son estomac. « Est-ce Thomas ? », « est-ce t’homme as ? », « est-ce que tu es bien l’as des hommes ? ». Le doute surgit au nom d’un perfectionnisme imaginaire et retient le vomissement de l’œuvre. Il faut du courage pour passer cette barrière du doute et oser vomir son Grand Œuvre. Derrière le doute se cache son contraire : la toute puissance. Cronos n’est-il pas assis sur le trône du roi des dieux, un siège royal qu’il juge plus important que la vie de ses enfants ? Le contrôle et le sentiment de suprématie dessinent bien souvent la face cachée du doute et de la peur de l’échec. Les choses sont pourtant si simples : si le vomi est une essence de dieux, c’est aussi du vomi ! Nul ne crée une œuvre parfaite dès le premier essai.

Vomir suppose d’ouvrir la valve qui clôt normalement la partie supérieure de la poche stomacale, le cardia.

« Le principal remède psychique aux maux d’estomac sera d’élever toute expérience de l’altérité au niveau sensible. La construction du moi doit se faire dans le plaisir de l’altérité plus que dans celui des drogues ou de l’alcool. L’autre est aussi une nourriture pour le cœur[1].

Apprendre à déverrouiller la porte du haut pour vomir ses créations, si bien nommée le cardia ! Seule la conscience d’autrui abolit l’encombrant désir de perfection et autorise l’œuvre à se présenter au monde dans son humble tenue de bouillie.

Pathologies

Les pathologies de l’estomac sont liées à une dépendance maternelle, à la femme ou à la mère. Ou encore à une addiction aux drogues douces comme le tabac et le hachich. Pour être précis les effluves du tabac vont dans les poumons via la fumée et dans l’estomac par la médiation de la salive. Elles stimulent l’étage cardio-pulmonaire en augmentant la conscience de soi tout en apaisant les peurs « viscérales ». Fumer conforte la conscience du moi et donne l’impression d’être plus efficace. Derrière ce rideau de fumée persiste le refus de souffrir, de s’ouvrir à sa vulnérabilité et le rêve nostalgique d’un monde parfait dont le premier souvenir est la relation fusionnelle avec la mère. La femme est perçue comme un personnage tout-puissant qui devrait répondre à tous les besoins. Angoissée devant les angularités du monde réel, la personne s’enferme dans son estomac pour rêver. Elle échappe aussi à la toute puissance des personnages du monde extérieur. Le corps, faute de mieux, envoie des signaux pathologiques pour signaler ce dysfonctionnement : Le mérycisme, qui est le retour dans la bouche d'aliments ingurgités dans l'estomac, manifeste exactement le drame de Cronos qui refuse de donner le jour à ses « enfants ». L'autodigestion, qui se caractérise par la digestion de l'estomac et du tube digestif en général, signale une absence de symbolisation, une difficulté à se construire en se différenciant du monde extérieur joint à une dépréciation de soi-même. Le météorisme, c'est-à-dire l’accumulation de gaz dans l’estomac, révèle que la pensée (l’Air) encombre le ressentit au risque de perturber le contact direct avec soi. Il faudrait apprendre à vivre simplement le réel plutôt que de chercher sans cesse à le comprendre. Le cardiospasme se caractérise par un rétrécissement du cardia. Des spasmes empêchent le passage des aliments de l'œsophage vers l'estomac. Il faudrait s’interroger sur sa capacité à se laisser toucher par le monde extérieur et son désir de rester « dans sa bulle ». L’ hyperpéristaltisme désigne l'exagération du péristaltisme, c'est-à-dire des mouvements du tube digestif qui font progresser le bol alimentaire. La volonté prime sur le ressenti. Peut-être est-il temps de lâcher prise et de renoncer à vouloir à tout prix élaborer une image de soi irréelle. l’ulcère est remarquablement décrit par A. Gandolfier[2] :

« L’estomac s’enflamme quand le moi ne trouve pas son compte dans cet acte de manger l’autre, de le toucher aussi. Dans l’ulcère, l’être n’accepte pas la frustration du partage relationnel. Le sac stomacal est le trou par lequel le réel fait appel à la nourriture venant en lieu et place de cette réalité. D’où la pathologie de la perforation qui est ouverture sur le non-moi car la réalité ne peut pas être symbolisée suite à un événement dramatique. »

Et la toxicomanie : lorsqu’une personne consomme des drogues hallucinogènes elle s’enferme dans son estomac pour rêver. Elle tente de devenir l’héroïne de son monde intérieur dans le vase clos de son imaginaire.

D’autres pathologies de l’estomac sont générées par un excès d’acidité. Le viscère lyse, découpe en milliers de minuscules éléments les nourritures pour construire le moi. Lorsque l’acide prédomine de manière anormale l’autocritique tourmente la personne. A moins que cette critique ne se projette sur ses compagnons, signe visible d’une faiblesse du « moi » qui cherche à briser le monde extérieur pour mieux le digérer. En découpant les pensées et scrutant les attitudes de son entourage en petits morceaux sans jamais les recevoir dans leur globalité, le sujet fragile se place en posture de toute puissance (« j’ai toujours raison ») et refuse de se laisser toucher par l’intégralité du mystère de l’autre. Critiquer renforce l’estomac et satisfait un moi faible qui affirme désespérément un perfectionnisme imaginaire ! Le censeur joue alors le rôle de Cronos qui a peur de se laisser détrôner, de perdre sa toute puissance, c’est un père qui critique ses enfants et les enferme dans la nuit de son ventre, les empêchant ainsi de naître en devenant eux-mêmes. Ce n’est pas encore un citoyen capable de dire « Je », ni un écologiste au cœur débordant de gratitude face aux merveilles du vivant.

La peur est un sentiment qui appartient à l’ensemble des viscères : une peur profonde est dite « viscérale ». Néanmoins les peurs sont infiniment précieuses dans le processus d’évolution[3] :

« Selon le symbolisme des Winnebagos, la peur est en général le signe du réveil de l’état conscient, du sens des réalités, voire d’une conscience naissante »

Elles sculptent les contours du moi, dessinent ses limites et lui enseignent le respect du monde extérieur. Elles le protègent aussi d’une démesure qui pourrait nourrir une toute puissance potentiellement présente dans le feu du désir associé à la figure du Bélier sacrifié dans le chaudron de la résurrection que le corps symbolise par le bol pelvien et les ovaires[4]. Sans peurs, le sujet se risquerait dans des aventures qui l’anéantirait sous la pression des forces physiques, psychiques ou spirituelles inattendues, comme dans une interminable tempête. Le « je » ne pourra explorer l’immensité de l’Océan que lorsque l’énergie-conscience sera fermement enracinée dans le cœur et son embarcation : les côtes. Alors la porte du diaphragme s’ouvrira et la conscience, infiniment disponible, entr’apercevra l’Immense. Toutes les constructions identitaires élaborées dans l’Eau sentimentale du bassin seront balayées, emportées dans un grand souffle d’effroi et d’amour.

Servir la vie

Les huit viscères proposent autant de manières de servir la vie. Mais il faut quelqu’un pour accomplir cette grande et difficile tâche. Le contenu du ventre, comme lieu de genèse du « nouvel homme », sera lu de trois manières distinctes : le processus de la formation de la personnalité avec les peurs qui l’accompagne (involution), une expression pleine et entière d’un « sujet » (évolution) toujours tenté par la démesure au risque de se rêver un homme-dieu. Et enfin comme un processus de soumission aux demandes du cœur lorsque s’ouvre la porte du diaphragme, avec ses résistances et ses refus (transvolution). C’est seulement lorsque tout cela sera accompli que les viscères porteront vraiment leur nom de serviteurs de la vie, de « vie sert ». Les naissances de « l’enfant-moi » puis de « l’enfant-je » et enfin de « l’enfant-Roi » représentent les trois niveaux de lecture du symbolisme du ventre, sous l’ombrelle protectrice de l’anima, la grande déesse. La mère est en effet le soutien de l’enfant-moi ; puis l’enfant-je devient une « dame-oiselle » ou un « dame-oiseau » qui sort du nid familial en prenant langue avec son autre moitié ; enfin la « D’Ame » se révèle comme l’indéfectible soutient de l’enfant-Roi, du Soi naissant dans l’espace du cœur.

C’est pourquoi le signe du Cancer est associé à l’estomac. C’est pourquoi la maternité, le deuil, la critique, la différenciation du moi, l’accueil de la souffrance, la transformation des souvenirs en essence d’expérience, le piège de la toute-puissance, l’écoute du cœur, l’ouverture au mystère de l’altérité et la production d’une œuvre appartiennent à la destinée des personnes pour qui l’intégration de la Lune représente le prochain pas à accomplir dans leur vie spirituelle.

(Extrait du Parchemin Magnifique)

Notes et références :

[1] L’éveil de Narcisse, éditions de Janus

[1] Linda Gandolfi et René Gandolfi, La Maladie, le mythe et symbole (éditions du Rocher).

[2] Linda Gandolfi et René Gandolfi, La Maladie, le mythe et le symbole (éditions du Rocher).

[3] C.G. Jung, C. Kerenyi, Paul Radin ; Le Fripon Divin (éditions Georg)

[4] Le Parchemin Magnifique, opuscule 7

Ayahuasca

Ayahuasca

Il ne servirait à rien de raconter une expérience de vision avec l’ayahuasca pour, me semble-t-il, deux raisons. Chaque physiologie et chaque psychologie humaine est différente si bien que les expériences nées de l’ivresse sont spécifiques. La seconde raison est plus mystérieuse aux yeux de la rationalité occidentale. L’intelligence de la plante crée une sorte d’alliance avec l’intelligence du corps de l’expérimentateur si bien que le processus qui en résulte est au-delà de toute prévision. Tout se passe comme si l’ayahuasca connaissait le chemin de la transformation intérieure du sujet malgré lui et ses présupposés conscients. C’est pour cela que, à chaque fois, les expériences sont différentes mais suivent néanmoins un chemin continu et impensable d’une cérémonie à l’autre. C’est du moins mon expérience confirmée par plusieurs curanderos (guérisseurs) après avoir bu l’extrait de chacruna et d’ayahuasca au Brésil et ici au Pérou une trentaine de fois environ. Mais avant de tenter d’explorer plus avant ce processus il convient de donner quelques points de repères pour mieux comprendre cette médecine si naturelle pour les natifs du bassin amazonien et pourtant interdite en Europe et en Amérique du Nord où elle est officiellement considérée comme une drogue dangereuse.

Origine

L’ayahuasca (Banisteriopsis caapi) est une liane de la forêt amazonienne qui utilise les arbres pour tuteur et s’élève très haut vers la lumière, sa force est si considérable qu’il lui arrive de casser les troncs qui la supportent. En la mélangeant lors d’une cuisson particulière aux feuilles de la chacruna[1] (Psychotria viridis) les curanderos produisent un liquide amer ayant la densité du miel qui est bu lors des cérémonies, aussi bien par le chaman que par les participants. L’usage traditionnel du breuvage est essentiellement de guérir les participants sur les plans physique, psychologique, relationnel et dans leur relation au « sacré ». Nous mettons ce dernier terme entre guillemets car la notion de sacré est dépendante de la culture d’un groupe humain, l’occident chrétien n’y appose pas le même sens que le chaman animiste.

Le terme « ayahuasca » fut improprement traduit part « liane des morts ». Il vient du mot Quechua « ayawasca » formé de l’agglutination de aya et wasca : la « corde (wasca) des cadavres (aya) ». Cadavre, dans la pensée Quechua, désignant exclusivement le corps du défunt. Néanmoins le nom le plus probable de l’ayawasca est ayaqwasca qui signifie la « liane amère » [2]. Or ces peuples qui pensent par analogie et sont sensibles aux synchronicités ne se limitent certainement aux propriétés gustatives de la boisson pour la caractériser. Que signifie alors « amer » dans l’univers symbolique ? Quatre saveurs fondent l’expérience gustative : le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Le sucre protège et sécurise, le sel ferme le corps énergétique et individualise, l’acide est un feu critique qui découvrira un jour ses flèches d’innocuité et l’amer libère l’« âme » de ses enfermements[3]. Cette lecture rejoint l’interprétation des cultures amazoniennes qui considèrent que l’ « amer » est une essence. Chaque être, y compris les minéraux, est habité par une essence qui l’anime, ce que nous appelons parfois « l’esprit des plantes » en ce qui concerne le monde végétal. Chaque être humain possède une essence spécifique (âme, anima, esprit… selon les points de vue), de même une espèce végétale est habitée, vivifiée, animée par une essence « amère » spécifique douée d’une vie autonome et d’une intelligence spécifique. La « liane amère » est donc bien plus qu’une boisson au goût désagréable, elle dialogue avec l’essence du sujet qui l’absorbe et lui révèle son « âme ». Une consommation de psychotropes non ritualisée et sans chaman expérimenté pour la diriger risquerait cependant d’entrainer un effet contraire à celui recherché : l’essence des substances, matérialisée dans la saveur amère risquerait de prendre possession de l’esprit humain pour des intérêts qui lui est propre. Comme le remarque Patrick Deshayes « cette pensée loin d’être une pensée arriérée ou archaïque est au contraire extrêmement élaborée. C’est une pensée d’une grande complexité qui est opérante et considérablement active dans la gestion de la consommation de psychotropes ». Le chaman est parfois appelé huni mukaya, « celui qui domine l’amer ».

Notons que, dans le corps, le foie sécrète la bile amère. Or le breuvage d’ayahuasca inhibe les enzymes du foie qui est symboliquement la « mère » du système des viscères. Ces derniers symbolisant les huit manières d’élaborer le « moi » qui s’affiche dans le nombril, là où le « nom brille » (le Parchemin Magnifique, opuscule VIII, à paraitre).

Ayar

En premier plan la Chacruna et en arrière plan la liane d'Ayahuasca

L’ayahusaca est-elle dangereuse ?  

De nombreuses études ont montré que son absorption n’entrainait aucune dépendance ni toxicité. Par contre il convient d’éviter absolument son interaction avec d’autres psychotropes, l’alcool et la consommation d’antidépresseurs[4]. Ici, en Amazonie, les cérémonies d’ayahuasca et les « diètes » sont accompagnées de prescriptions alimentaires très précises afin que les esprits des plantes absorbées soient à la fois opératifs et inoffensifs.

Par ailleurs l’usage thérapeutique, initiatique ou religieux des substances hallucinogènes est une constante dans l’histoire des civilisations partout autour du monde. Ce n’est que très que récemment, au XIXe siècle, avec le développement de la médecine scientifique, que le discours dominant a radicalement changé. Le tabac, l’alcool et les psychotropes devinrent des ennemis à abattre, dans les limites des intérêts économiques de certaines entreprises multinationales. Cette interdiction des substances hallucinogènes exclue toute compréhension anthropologique et symbolique de leur usage[5]. Cette posture s’est surtout radicalisée à la fin des années 1960 en réaction à la « contre-culture » née du mouvement Hippie et des travaux de Timothy Leary[6] et Richard Alpert. Des études sont en cours pour évaluer scientifiquement les effets thérapeutiques de l’ayahuasca, notamment ici, au centre Takiwasi, dans le cadre d’une cure de désintoxication pour toxicomanes. D’une manière générale plusieurs études ont montré « des améliorations en ce qui concerne la santé mentale et la douleur physique six mois après avoir commencé à assister à des cérémonies de Santo Daimé et de l’Uniao do Vegetal[7] ». Le breuvage s’est avéré efficace pour remédier à la dépendance de drogues, la dépression et l’anxiété. En outre de nombreuses communautés locales consomment de l’ayahuasca depuis des générations sans présenter de dysfonctionnements individuels ou collectifs[8].

D’après les témoignages que nous avons recueillis, les cérémonies d’ayahuasca conduisent parfois à des changements de vie radicaux où la personne retrouve sa quête essentielle, les appels immémoriaux de son âme. Ainsi à Raphaëlle, la plante a enseigné la musique et le chant et Marie a découvert sa vocation artistique grâce à l’ayahuasca.

Extrait vidéo d'un entretien avec Raphaelle 

Pourquoi une interdiction dans la plupart des pays européens ?

De toute évidence la décision légale d’interdire l’usage de l’ayahuasca ne repose sur aucune étude médicale. Les enquêtes ethnologiques montrent par ailleurs que les cérémonies d’ayahuasca conduisent à des processus de guérison et de rééquilibrage social. L’histoire de cette interdiction en France est contée ici par Ghislaine Bourgogne, elle se fonde sur un fait divers monté en épingle bien plus que sur des faits scientifiques ou des enquêtes de terrain. Si certaines précautions doivent effectivement être prises, il ne viendrait à personne l’idée d’interdire les voitures sous prétexte qu’un chauffard sans permis risque de percuter un mur. C’est pourtant ce qui s’est passé ici. Une substance thérapeutique utilisée en Amazonie depuis des dizaines de siècles qui guérit le corps, rééquilibre le psychisme et élargit la conscience en est venue à être considérée comme une drogue dangereuse à interdire pour cause d’addiction possible, or il n’y a strictement rien d’addictif dans cette médecine.

Le processus de diète

Si l’ayahuasca ne présente pas de dangers pour la santé il convient néanmoins de l’utiliser précautionneusement avec une personne expérimentée (chaman) et en suivant un régime alimentaire approprié pour la raison que nous avons évoquée plus haut : l’esprit de la plante œuvre de conserve avec l’esprit de l’expérimentateur. Dans la conception chamanique les relations entre l’invisible et la santé sont imbriquées. La diète commence par une cérémonie d’ayahuasca et se poursuit par une retraite solitaire d’une semaine à un mois dans la jungle, accompagnée d’une ou deux autres plantes généralement non psychotropes qui agissent comme des « thérapeutes » et soignent des dysfonctionnements spécifiques. Elle se termine ensuite par une dernière séance d’ayahuasca afin d’évaluer le chemin parcouru.

Dans cette vidéo nous évoquons le processus de diète que nous avons suivi.

Puis survient une longue période dite de « post-diète » avec un régime dénué de sucre (même les fruits), de porc, d’alcool, de piment et sans relation sexuelle afin de ne pas perturber le corps énergétique qui est occupé à intégrer, digérer et assimiler les expériences de la diète. En fait les plantes continuent à travailler le corps et la conscience longtemps après leur absorption.

L’approche scientifique habituelle des états modifiés de conscience se heurte à un dilemme méthodologique. A propos des champignons hallucinogènes Christian Ghasarien écrit[9] : « les gens se divisent en deux catégories : ceux qui ont pris le champignon, et sont disqualifiés par le caractère subjectif de leur expérience, et ceux qui ne l’ont pas pris et son disqualifié par leur totale ignorance du sujet ! ». Ne peut-on envisager une troisième posture qui consisterait à considérer la psyché des l’observateurs comme un terrain d’expérimentation, où l’intersubjectivité des participants serait le fondement d’une objectivité[10] ? Que sait-on vraiment de la mésange, de Banisteriopsis caapi ou du minerai de cuivre ? Description et classification sont nécessaires mais insuffisantes. L’observation du biotope des plantes et l’éthologie des animaux ne suffisent pas non plus car toutes ces approches ne disent rien sur la nature de la Nature, sur son essence. L’expérience de l’ayahuasca est un puissant outil pour explorer la dimension « conscience » du vivant, cette aptitude que l’homme expérimente chaque jour en s’en croyant l’unique dépositaire, sans l’ombre d’une preuve. Bien sûr, cela nécessite un protocole qui reste à élaborer pour ne pas tomber dans des dérives hallucinatoires. C’est exactement le rôle du laboratoire en ce qui concerne la face matérielle du réel. Les chamans de l’Amazonie ont, à leur manière et depuis des millénaires, développés ce genre de méthode de manière totalement empirique cependant.

Il reste encore de nombreuses questions, notamment sur la nature de l’esprit des plantes, le processus de guérison et la cosmovision amérindienne. Ce sont elles que nous explorerons dans de prochains articles.

 

Notes et références

[1] La chacruna apporte au mélange le D.M.T. (N,N-diméthytryptamine) qui procure les visions, alors que la liane d’ayahuasca fournit les molécules qui évitent au D.M.T d’être immédiatement détruite par les sucs gastriques. Les amazoniens disent joliment que la chacruna est la lumière qui permet la lecture du livre représenté par la liane d’ayahuasca. (Université des passages : préparation de l’ayahuasca - audio)

[2] Patrick Deshayes, De l’amer à la mère, quiproquos linguistiques autour de l’Ayahuasca (C.N.R.S).

[3] Luc Bigé, le Parchemin Magnifique, opuscule VIII : les viscères (à paraître en ebook). La langue des oiseaux lira « l’âme erre » dans « l’amer ». L’âme qui sait libérer ses larmes par la boisson amère retrouve la fluidité du mouvement et la joie.

[4] J.C. Callaway : phytochemistry and neuropharmacology of ayahuasca in Ayahuasca : hallucinogens, Consciousness and the Spirit of Nature, Metzner R., New York Thunder’s Mouth Press, 1999.

[5] C. Sueur, A. Benezech, D. Deniau,, Met B. Lebeau, C. Ziskind ; les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques (première partie). Revue de la littérature.

[6] Timoty Leary, la politique de l’extase (édition Fayard)

[7] Il s’agit de deux mouvements religieux du Brésil qui utilisent l’ayahuasca lors de leurs cérémonies.

[8] Anderson, B.T. et al, Statement on ayahuasca, International Journal of Drug Policy, Volume 23, issue 3, May 2012, p 173-175.

[9] C. Ghasarien, Usage de l’Ayahuasca et du San Pedro dans les pratiques néo-shamaniques contemporaines. Institut d’ethnologie, Neuchâtel, Suisse.

[10] Luc Bigé, La Force du Symbolique (éditions Dervy).

Le bélier et le système génital féminin

Ce texte est extrait du Parchemin Magnifique, opuscule VII : Bassin, système génital et système excrétoire.

Le Bélier sacrificiel

Jésus crucifié puis ressuscité fut surnommé « l’agneau de Dieu ». Lorsque Abraham s’apprêta à sacrifier son fils Isaac celui-ci fut miraculeusement remplacé in extremis par un bélier, en témoignage de l’obéissance du patriarche à la demande de Yahvé. Mais les monothéismes n’ont pas le monopole de la figure symbolique du bélier sacrificiel. Nous savons que la toison d’or appartenait à un bélier volant sacrifié dans le jardin d’Arès. On se souvient également de Médée qui plongea un agneau démembré dans le chaudron magique pour redonner son trône à Jason, et que le pourtour du bol d’argent de Gundestrup offrait au regard des divinités à tête de bélier qui meurent puis ressuscitent rajeunies. Dans tous les cas, le bélier métaphorise un processus de mort sacrificielle suivi d’une renaissance.

Ces étonnantes convergences s’expliquent peut-être par l’observation que le buste du Bélier est codé dans la morphologie féminine. La tête de l’animal dessine exactement le système génital féminin[i] :

 

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Lorsque Médée plonge un agneau dans son chaudron magique elle dévoile sa géographie intime ! Néanmoins, le vieux roi apprit à ses dépens qu’il ne suffisait pas de s’immerger dans une bassine d’eau bouillante pour redevenir vert. Seule la sourcière a le pouvoir de le rajeunir car elle intériorise l’éros et dirige la force jusqu’à sa bouche par la prononciation des formules magiques appropriées. La magicienne est celle qui sait orienter ses énergies sexuelles vers sa gorge. Elle transforme l’intensité vitale en paroles et produit un miracle. Elle « comprend » que les régions sexuelle et laryngée sont morphologiquement inversées et en correspondance l’une avec l’autre. De manière plus romantique, la femme conserve dans son petit bassin le secret de l’éternelle jeunesse. Lorsqu’elle l’élève jusqu’à sa bouche, elle propose à l’homme un baiser qui les rendra tous les deux jeunes et alertes comme aux premiers printemps de leur adolescence.

« Médée » vient d’une racine grecque qui a donné « méditer » au sens de « conceptualiser », et de « réfléchir ». La magicienne rappelle ce message si important déjà transmis par les héros de la hanche comme Jacob, Carmen et le Roi-pêcheur : il est essentiel de penser pour poser des questions, de conceptualiser pour nommer les forces, afin que le processus de renaissance dans le nouveau monde s’accomplisse avec succès.

Que savons-nous du mammifère qui meurt puis ressuscite ?

La constellation du Bélier

Dans le ciel, une figure approximativement triangulaire dessine la constellation du Bélier. Il s’agit de l’animal dont la toison en or est conservée dans le jardin d’Arès. Son buste est « caché » derrière une série d’étoiles qui évoquent, dans le corps, le triangle « pubien » dont nous avons déjà noté qu’il représentait la porte vers l’Autre Monde. Dans le ciel, comme dans le corps féminin, le « bélier » est caché derrière une porte triangulaire. Le Caché, c’est l’autre nom d’Amon, le dieu à figure de bélier si important dans l’ancienne Egypte. Quelle puissance et quel secret voilent cette partie du corps, si ce n’est celui de la procréation et, par analogie, de la création ? Ce qui expliquerait pourquoi le Bélier devint le nom du premier signe zodiacal : il procède à tous les commencements. Nous négligerons ici les descriptions psychologiques du signe[ii] pour nous intéresser au mystère métaphysique qu’il sous-tend : la question de l’origine.

La perception intuitive du mystère de l’Origine crée de l’angoisse. Une Origine à la fois inatteignable et inconceptualisable, irrémédiablement « Cachée ». Le corps la nomme « Éros », le mythe orphique de la création également. La Genèse décrit ce passage comme celui de la Création vers la Formation. Quelle que soit la formulation symbolique, l’intention reste la même : franchir un voile, passer du monde métaphysique vers celui de l’incarnation avec ses objets, ses couleurs et ses bruits.

Comment formuler cela autrement ? L’univers des physiciens naquit d’une singularité initiale, le Big Bang ; le monde des Titans et des dieux sortit d’une « faille » originelle, le « chaos » ; quant au bébé il jaillit du ventre maternel par une autre faille. Le Bélier « sait » qu’au-delà de toutes ces « fenêtres » qui s’ouvrent sur le monde sensible, un univers immense reste caché derrière elles. Alors oui, son angoisse est métaphysique. Il pressent le tournoiement ininterrompu des forces mystérieuses et insondables qu’il nomme la « Vie » mais qui, sur le chemin du retour, l’appellent à traverser la mort. Pourquoi la mort ? Parce que l’animal est toujours celui du sacrifice !

L’expérience du sacrifice est une partie intégrante du destin des Béliers. Naturellement, les femmes sont particulièrement porteuses de cette mémoire puisque le buste de l’animal se love dans leur petit bassin.

Quoi de plus emblématique que la procréation biologique pour symboliser la création d’un nouveau monde ? L’univers naquit du Caché exactement comme le bébé naît de l’obscurité du ventre. Le ciel conserve la trace de ce surgissement dans le triangle des étoiles dites du « bélier » et le corps dans le triangle pubien qui voile le système génital féminin si semblable au buste du mammifère.

Derrière l’enthousiasme pour tous les commencements qui caractérise ce signe astrologique subsiste un contact profond avec l’Origine, l’angoisse du vide, le non-représentable, l’inconceptualisable et l’impensable[iii]. Le sacrifice du Sans-Forme produisit le monde manifesté. Certains béliers se souviennent de ce passage qui va de l’invisible vers le visible en termes d’énergie. Ils le reproduisent dans leur vie ordinaire par des prises de risques, dans des combats dangereux ou en devenant cascadeurs. Mars/Arès, le maître traditionnel du signe, domine sur la voie de l’involution lorsque la mort est sans cesse frôlée par défi. Lorsque la conscience s’en mêle, dans l’évolution, l’utilité du sacrifice apparaît. Il surgit soit sous la forme d’événements extérieurs qui empêchent le sujet de réaliser ses désirs, soit dans le choix de se dévouer pour une famille ou une cause. Grâce à ce « sacrifice », le sujet découvre des capacités créatrices nouvelles, hors de tous les sentiers balisés. Découverte difficile car il entre périodiquement dans la peur du vide, parfois dans la tentation suicidaire. C’est que retentit intensément l’appel de l’Origine, le désir inconscient et puissant de revenir vers le Soi en franchissant à nouveau le voile qui sépare la vie ici-bas de son Origine, la complexité de la vie humaine de son innocence première. Et puis, dans la transvolution, la personne renoue enfin avec cette Origine après avoir traversé l’angoisse du Rien. Ce Vide devient paradoxalement le propulsif qui la conduit à accomplir la fonction spirituelle du bélier : initier un Nouveau Monde.

Selon le niveau de lecture, le « sacrifice » prend donc des sens distincts. Goût du risque et défi quotidien de l’accident dans l’involution ; obéissance au contexte social et familial aux dépens de ses désirs essentiels : cette phase douloureuse du processus d’évolution est nécessaire pour que la conscience regarde enfin vers l’intérieur, elle qui était si habituée au sport, à la vitesse et à l’action. Ce retournement déstabilise la confiance en soi, née de toutes les réussites dans la fulgurance extérieure. L’angoisse du Vide surgit, suivie du désir de mourir. Alors le sujet n’a plus d’autre choix que de sacrifier sa volonté personnelle afin que l’Œuvre prévue de toute éternité par le Soi s’accomplisse à travers lui.

Le Bélier détient la volonté spirituelle du sacrifice. Subie, l’homme devient « bouc-émissaire » ; utilisée, il risque de tomber dans son contraire, la figure du bourreau ; transformée, il s’immolera sur l’autel pour accomplir le dessein de Dieu.

Sa relation paradoxale au pouvoir conduit le sujet tantôt à dominer, tantôt à plier sans combattre. L’animal qui guide le troupeau est aussi l’emblème de la soumission. Ce schéma mythologique est remarquablement illustré par l’histoire d’Abraham à qui Yahvé demanda d’immoler son fils Isaac. En acceptant d’égorger son enfant Abraham démontre sa soumission absolue à la volonté de Dieu. Voyant cela, Yahvé se réjouit et envoie un bélier pour remplacer Isaac comme offrande sacrificielle. La soumission totale à un archétype, l’abandon du « moi » à un unique composant de l’univers métaphysique, est à la fois héroïque et générateur d’angoisse de mort.

Pour compléter cette exploration de la figure du Bélier voyons comment il apparaît dans les rêves éveillés[iv] :

« Le mouton du rêve non seulement invite au passage, mais il entraîne au franchissement, il participe au mouvement libérateur ». « Il est grand en ce qu’il ouvre un chemin. »

Que dire d’autre pour symboliser cette partie du corps qui représente le système génital féminin et le canal de la naissance ?

« Le mouton imaginé est un signe de résurrection. Quelles que soient les les racines de la problématique, lors de son apparition ce qui était figé retrouve la flexibilité, ce qui était comme mort redevient vivant. La psyché inhibée par l’emprise du mental retrouve sa capacité naturelle de métamorphose »

Corps, rêves et mythes puisent dans la même source du savoir. Le chaudron pelvien avec son éros bouillonnant est le lieu de la résurrection de ce qui est mort.

Au creux du petit bassin, l’homme sacrifie des idéaux devenus inutiles. Les explorateurs des pieds, des chevilles, des genoux, des cuisses et des hanches demandaient sans cesse : « où vais-je ? » « quel est le sens de ma vie ? », « quelle est ma voie ? ». Devant le bassin, le sujet se pose. Il descend au creux de son espace intérieur et sacrifie ses anciens rêves. Alors une autre question surgit : « Où est ma place ? ». Sa quête s’achève lorsqu’il réalise que sa place est précisément là où il se trouve, d’instant en instant.

La femme a littéralement la tête dans le petit bassin. Elle est profondément consciente que toute pensée est vivante, qu’œuvre de chair et œuvre d’esprit ne diffèrent guère que par leur Source. Le système génital de l’homme est extériorisé alors que celui de la femme reste majoritairement à l’intérieur du corps. La femme intériorise la force pour croître en conscience alors que l’homme l’extériorise et l’utilise pour comprendre puis agir sur les objets du monde. La force est intérieure dans le monde féminin alors qu’elle est projetée vers l’extérieur dans l’univers masculin. C’est pourquoi, en termes psychologiques, les femmes résistent mieux aux dépressions et sont plus à l’aise dans les processus de transformation psychique, comme le « développement personnel » aujourd’hui à la mode ; alors que les hommes choisissent souvent la transformation du monde par la science et la technologie, ou s’investissent dans des activités sportives. In fine les hommes sont fragiles intérieurement et forts physiquement, les femmes s’avèrent vulnérables dans l’exercice de la force et résistantes au stress.

Le thème du « sacrifice du bélier » sembla si important aux premières civilisations que deux des trois monothéismes choisirent de l’accentuer en le signant sur la biologie corporelle du nouveau-né.

Ce texte est extrait du Parchemin Magnifique, opuscule VII : Bassin, système génital et système excrétoire.

 

Notes

[i] Source des illustrations : wikipedia.

[ii] Pour une lecture psychologique des signes du zodiaque se reporter par exemple à notre ouvrage, La symphonie du Zodiaque (édition de Janus), ou encore au livre de Dane Rudhyar Le rythme du Zodiaque (édition du Rocher).

[iii] L’impensable n’est pas l’impensé. Ce dernier laisse une lueur d’espoir au sujet qui se dit que, un jour, le mystère sera éclairci. L’impensable ne pourra jamais être pensé, d’où le vertige qui surgit lorsque l’être réalise profondément qu’une partie du réel, et non des moindres, est absolument hors de contrôle.

[iv] Georges Romey, l’encyclopédie de la symbolique des rêves (Quintessence)