Le massage au cochon d’Inde
Vous êtes à Lima. Vous allez quérir sur le marché un cochon d’Inde en vérifiant précautionneusement que l’animal est bien du même sexe que vous. Vous prenez ensuite un moto-taxis qui vous conduit chez un guérisseur… et c’est là que tout commence. L’homme reçoit votre cochon d’Inde – appelé ici le cuy – et le passe sur votre corps en commençant par votre front. Lorsqu’il arrive sur la plante des pieds le cuy est dans un coma profond. Il a, entre-temps, réagit vivement aux zones malades. Puis le guérisseur enlève la fourrure de l’animal. Alors commence l’interprétation, avec une précision qui ferait pâlir bien des anatomo-pathologistes universitaires et rendrait totalement futile les scanners et autres machines à rayons[1]. La dissection effectuée, l’état des organes du cochon d’Inde renseigne très précisément le guérisseur sur les pathologies du patient car le rongeur a pris dans ses organes les pathologies en question. Il suffit alors d’observer leur état sur le cobaye pour connaître par analogie celui de l’homme. . L’Information est proportionnelle à la gravité de la maladie. L’animal absorbe une partie de l’affection du patient mais aussi les impressions (susto) et les énergies négatives (les maléfices, dano) qui l’affecte.
La médecine traditionnelle amazonienne, loin de la lecture mécanique occidentale, considère en effet qu’il n’y a que trois sources maladies. Les impressions reçues de l’environnement au sens large : familial et social mais aussi naturel comme une colline, un cimetière ou une source. Ces maladies dues au « susto », ou « impressions » entrainent une perte temporaire de l’« âme ». Le susto est une affection qui a pour origine une émotion, un accident ou une situation de terreur et qui se manifeste dans le corps comme un symptôme après les faits. Une vive émotion provoque la séparation de l’âme du corps, ceci pouvant être dû à sa capture par la nature (la terre, les eaux). L’absence de l’âme fait que le corps du patient, abandonné à lui-même, se nourrit mal et que surviennent les manifestations de la maladie, avec ses symptômes physiques et psychiques. Les pathologies peuvent aussi venir des envoûtements intentionnels, par « sorcellerie ». Le susto s’apparente à une lecture psychosomatique de la maladie, le dano ne fait pas partie de notre culture. A quoi il faut ajouter les maladies naturelles, jugées très rares. Pour les Matsigenka, qu’une personne puisse mourir de mort naturelle est absurde. C’est seulement dans le cas de la mort d’un vieillard cacochyme qu’ils acceptent que sa vitalité se soit épuisée[2].
Bernard Herzog qui a participé avec un groupe de médecins occidentaux à la cérémonie du massage cite ce patient opéré d’un neurinome du nerf auditif qui entendit, à sa grande surprise, la guérisseuse lui décrire son amputation auriculaire. L’auteur offre d’autres témoignages[3] :« Mme M avait subi une embolie pulmonaire un an plus tôt. Ce qui correspondait au lobe moyen du cobaye était violacé, infarci, et le reste des parenchymes demeurait rose. M. Y avait eu 18 mois plus tôt, une phlébite de la loge antéro-externe du pied gauche. Il put vérifier sur son cobaye la même localisation pathologique. Ceux qui « se font de la bile » ont une énorme vésicule dilatée, etc. La technique s’avère capable de déceler les tumeurs, mais également les affections psychosomatiques et les cas d’ensorcellement. L’ancienne fracture claviculaire de M. M. laissait observer une exubérance sur l’os homologie du cobaye. Nous ne comprenions pas la rapidité de réalisation des lésions sur l’animal, nous ne pouvions que le constater : quelques minutes suffisaient pour matérialiser ce que l’on appelle en radiologie : l’image latente. Deux messieurs observèrent une bride péricardique devant le cœur du cobaye dénudé : ils avaient une vie sentimentale en accord avec cette présence inusitée. Le cobaye d’un médecin avait dans ses canaux déférents deux petits serpents transparents à tête sombre : il n’avait guère de vie sexuelle !Pour trois messieurs, Euphémia devait exercer une pression sur la glande prostatique du cobaye. Malgré son profond sommeil, il se mit en érection et devait éjaculer une substance semblable au vermicelle chinois… Tous trois, parvenus à l’andropause, retrouvèrent dans les semaines suivantes un certain renouveau sexuel… Car la méthode d’Euphémia est non seulement l’homologue de nos radiographies sophistiquées, mais possède un versant thérapeutique – le coût modique de la consultation (7 francs) est sans comparaison avec les prix des investigations pratiquées quotidiennement dans toutes les installations radiologiques. »
Lors de notre séjour à Tarapoto nous avons interviewé Éric et Raphael qui se firent masser à leur tour par le cobaye. Voici leur témoignage sur cette vidéo de sept minutes.
Le massage au cochon d'Inde - Témoignages
La technique est millénaire. Les Incas la possédaient et vraisemblablement également certains prêtres romains et égyptiens. Les conquistadores catholiques la mirent en péril, brûlant ses pratiquants en procès de sorcellerie sous prétexte de divination et autres diableries[4].
La première étude scientifique du phénomène ne fut conduite qu’à la fin des années 1980 par le Dr. Victor M. Reyna Pinedo de la faculté des sciences de Lima qui étudia systématiquement les diagnostics des guérisseurs en les comparant avec les résultats cliniques de la médecine occidentale. Ce travail est résumé dans une publication dans la revue Hegel (vol.4 n°1 2014 à télécharger ici en pdf). Sur un échantillon de 600 cas il confirme l’efficacité de cette méthode. Les résultats des examens histopathologiques réalisés sur les organes des cobayes utilisés dans le massage montrent qu’ils présentent des altérations microscopiques qui sont en relation directe avec l’affection qu’à le malade dans l’organe analogue. Autrement dit, il existe une corrélation exceptionnelle entre l’état histopathologie de l’organe du cochon d’Inde et la gravité de l’affection que présente le patient dans l’organe analogue. Il arrive par ailleurs que le massage mette en évidence des affections dont le patient n’est pas conscient et dont il commence à se rendre compte seulement à partir du diagnostic. C’est donc un procédé très sensible.
Néanmoins le massage au cochon d’Inde n’est pas seulement un outil de diagnostic. C’est aussi un processus thérapeutique puisque le cobaye prend sur lui les « énergies négatives » qui encombrent le patient et produisent ses pathologies. Par ailleurs le guérisseur peut aussi révéler au sujet des aspects de sa vie passée ou future pendant qu’il examine les organes du rongeur. C’est donc également une technique de divination. Ce fut du reste la principale raison de sa disparition sous les fourches caudines de l’Inquisition, et ce qui a longtemps freiné son étude du scientifique puisque cela dépasse les cadres des systèmes de pensées des un et des autres, pour des raisons contraires. D’un côté seul Dieu connaît l’avenir, il est donc proprement hérétique qu’un guérisseur puisse le remplacer ; de l’autre le futur n’est pas écrit, il est donc totalement scandaleux de faire foi dans ce genre de discours.
L’auteur qui a le plus étudié le massage au cochon d’Inde, avant la publication de Victor M. Reyna, est le médecin psychiatre Frederico al y rosa, en 1967. Il précise qu’il s’agit d’un « diagnostic symbolique » et de « pronostique magique » de la maladie au moyen du massage.
Les faits sont là. Comment les comprendre ?
Pour Eduardo Calderon (le Monde, 3 août 1988) « le cobaye, c’est comme une radiographie, aussi bien pour les maladies psychosomatiques que pour les maladies naturelles. Avec ses cellules hypersensibles, l’animal capte l’affection du corps du patient, ses organes l’assimile, qu’il s’agisse du cœur, du foie, des poumons ou des reins, si bien que je peux détecter facilement la maladie. Si celle-ci est due au dano (maléfice), la chair de l’animal est noire et des nerfs moteurs sont brisés près de la colonne vertébrale. »
Dans son ouvrage intitulé Le massage ou soin avec le cochon d’Inde dans la médecine traditionnelle péruvienne Victor M. Reyna Pinedo propose un mécanisme basé sur les biophotons, découverts il y a quelques années par Popp. Nous savons en effet que l’ADN des organismes vivant émet des photons. Les cellules utilisent ces ondes électromagnétiques pour communiquer entre elles, mais aussi pour échanger de l’information avec les autres êtres vivants : « L’organe infecté du patient émet des radiations électromagnétiques (biophotons), lesquelles de même que les protéines (des organes) dont ils proviennent, présentent une configuration caractéristique dans l’espace. Ainsi ces biophotons rencontrent des récepteurs adéquats avec lesquels ils interagissent seulement dans l’organe analogue du cochon d’Inde, qui reçoit cette information électromagnétique chirale et qui l’amplifie, générant immédiatement dans cet organe une affection similaire à celles que présente les patients. »
Mais cette hypothèse ne rend pas compte des aspects thérapeutiques ni divinatoires de la consultation
Enfin ces faits suscitent questionnements et réflexions
- La sensibilité des cochons d’Inde à leur environnement, mais aussi et dans une moindre mesure des chats et autres animaux familiers, relance le débat sur la nature des êtres vivants qu’il devient abusif de considérer comme du matériel de laboratoire ou même comme de la simple nourriture. Certaines personnes possèdent le même type de sensibilité que le cuy en absorbant dans leur corps les pathologies familiales et environnementales. Elles prennent sur elles « la souffrance du monde » en faisant preuve de compassion. Le cuy n’est-il pas, dans le règne animal, l’équivalent d’un être de « compassion » ?
- Dans une société mécanisée, industrialisée et commerciale qui ne jure que par la logique de la « cible » et du « combat » le petit rongeur nous invite à repenser notre vision du monde. Il appelle à explorer une autre facette de la réalité, plus féminine, avec ses transferts d’« énergie », sa sensibilité et ses interactions subtiles entre tous les existants.
- Ces transferts d’informations d’un organisme vers un autre s’apparentent au travaux de Jacques Benveniste et Luc Montagnier sur la mémoire de l’eau mais aussi, en élargissant le champ, au fonctionnement de l’astrologie et autres systèmes « divinatoires » comme l’antique lecture des augures dans le foie du mouton : dans certaines conditions d’ouverture (« chaotiques » au sens scientifique) la matière reçoit une information délocalisée et spécifique présente dans l’ensemble de l’univers. Mais cela n’est concevable que s’il existe un champ porteur dans lequel nous baignons tous, non encore découvert par la science. La matière noire et l’énergie noire sont bien sûr des hypothèses possibles.
- Les personnes ayant participé à des cérémonies d’ayahuasca dans le cadre de la médecine amazonienne témoignent avoir expérimenté consciemment la présence de ce champ unitaire qui relie tous les êtres à leur environnement, animés et inanimés[5].
Quoiqu’il en soit le cuy pourrait devenir un joli sujet de thèse pour des étudiants en médecine, en psychologie ou en biophysique car, du fait de son extraordinaire sensibilité, il fonctionne comme un intermédiaire entre le monde biologique et ce que les guérisseurs péruviens appellent « le Monde Autre ».
Notes et références :
[1] Certains auteurs comparent ce procédé aux rayons X de la médecine occidentale, notamment
Victo Ochoa Medicina popular en la cultura Aymara, Boletines Ocasionales N° 23-24 del instituto de Estudios Aymaras, Chucuito (Puno, Pérù) 1975
[2] Des plantes psychotropes, initiations, thérapies et quêtes de soi, sous la direction de Sébastien Baud et Christian Ghasarian (éditions Imago 2010)
[3] Bernard Herzog, L’or des cendres, éditions Roger Jollois (1991)
[4] Victor M. Reyna Pinedo, Le massage ou soin avec la cochon d’inde dans la médecine traditionnelle péruvienne. Lima Inversiones Gráfica Perú 2002
[5] Par exemple les témoignages de Raphaelle (cet extrait sur You tube, l’ensemble de l’entretien est sur le site de l’université des passages) et de Naysha, curendera à Tarapoto (Pérou), université des passages également.