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Le murmure des mots : la langue des oiseauxLa langue des oiseaux Extrait du Petit dictionnaire en langue des oiseaux, Luc Bigé, Éditions de Janus Les mots nous parlent au moins autant que nous les parlons. Certes, ils ont un sens conventionnel sur lequel tout le monde s’est mis d’accord au fil des siècles mais ce sont aussi des symboles, tant par la géométrie des lettres qui les composent que par les sonorités qui les agitent. C’est cela la langue des oiseaux encore appelée « la langue des anges ». Comprendre ce langage c’est reconnaître que derrière les significations parlées conventionnelles se cache un métalangage autonome qui est celui de l’inconscient. Lacan reconnaissait déjà cela en intitulant l’une de ses conférences « les non dupes errent » pour évoquer « les noms du père ». Et celui qui connaît « les noms du père » n’est-il pas sans racines, « non dupe » de l’emprise des traditions et « errant » seul, à jamais sans références ni « re-pères » ? L’inconscient ignore nos conventions grammaticales et les origines étymologiques des mots. Il ne se limite pas à l’unique signification que la conscience cherche à leur accorder. A deux choses seulement il est sensible : la sonorité et l’image. Pour le reste il fait feu de tout bois, un peu comme dans les rêves où il utilise les matériaux de la vie objective pour les transformer de manière apparemment chaotique et délivrer, dans son parler symbolique, un message à notre conscience. C’est cela un univers onirique : un monde objectivement irrationnel et chaotique qui ne suit pas les règles de la raison, mais un monde saturé de significations. Ces deux voies d’expression du sens, celles de la géométrie et de la sonorité, s’enracinent très profondément dans la nature de l’univers. La philosophie tantrique enseigne que la Mère Divine se manifeste par la forme et le nom, et qu’il existe de nombreux mondes sur différents plans de conscience, tous contrôlés par le pouvoir de la Mère Divine. L’objectif de la pratique tantrique consiste à s’identifier au Sans Forme et au Sans Nom situé au-delà de tous ces univers : à la suprême Shakti[1]. Comprendre le jeu des noms et des formes est un premier pas pour sortir de la prison de nos identifications et nous ouvrir au pouvoir, à la conscience et à la bénédiction du Suprême. Chaque lettre est à la fois un son et une image. Les voyelles portent préférentiellement la sonorité alors que les consonnes, imprononçables sans l’aide des précédentes, existent d’abord par leur graphie. Chaque mot ressemble à une mélodie architecturale qui amplifie les sonorités et les formes des lettres. Nous verrons que les vingt-six lettres de l’alphabet latin représentent vingt-six archétypes, autant de pierres blanches sur un chemin initiatique de transformation et d’évolution intérieure. Néanmoins ce petit texte sur la langue des oiseaux est à prendre comme un jeu, sans prétentions scientifiques ni même l’intention de proposer une réflexion autour de l’impact des sonorités et des formes des lettres sur la psychologie humaine. C’est donc un jeu avec ses règles, son univers à lui, ses limites, sa grammaire et surtout l’intervention du hasard, de la « chance » de découvrir un nouveau sens caché. Chacun aura cependant remarqué que l’activité ludique dévoile toujours une part de vérité, comme sans en avoir l’air : sur la psychologie des joueurs, sur le fonctionnement des lois de la nature ou sur les présupposés d’une société. Et puis l’amusement libère le cœur et l’esprit des contraintes imposées à l’homme par la société et par la nature. Grâce au jeu, l’être humain cherche « sa muse » et « s’ame-use », il sonde son inspiration et l’usage de son âme. A moins, bien sûr que ce ne soit l’inverse lorsque le jeu devient trop sérieux et remplace, pour le joueur trop accroché, le vrai monde. Dans ce cas s’amuser devient l’action de « s’âme-user », de perdre son âme. Comme toujours chaque mot, chaque concept un peu profond, contient en lui-même une chose et son contraire. C’est là l’une des grandes règles du jeu de la langue des oiseaux, comme nous allons le voir. C’est donc dans cet esprit de liberté et d’inventivité que nous convions le lecteur à entrer dans ces lignes. Lorsque le ridicule ne tue plus, la pensée prend son envol vers des horizons incertains, parfois sans avenirs, parfois légers qu’une bulle de savon, mais aussi, quelques fois, elle rencontre des perles de sens qui brillent dans le firmament de la conscience. Ce sont ces perles-là, différentes pour chacun, que nous vous convions à glaner au fil des pages, au fil des mots, au fil du jeu et parfois sur le fil du rasoir entre la folie et la raison. Trop de sérieux, c’est-à-dire trop de sciences étymologique, grammaticale ou sémiologique tuerait la liberté de dévoiler le sens des mots. Ce sens-là ressemble étrangement aux oiseaux qui ont donné leur nom à cette « langue » : ils ne s’attrapent que très difficilement et acceptent à peine de se laisser apprivoiser la fragilité d’un instant lorsque la main se fait caressante et donnante. Ce n’est pas la volonté du chasseur ni son intelligence qui feront tintinabuler leur pépillement, mais des graines posées dans une main amoureusement tendue. Celui qui souhaite attirer les oiseaux ne peut donc que se mettre en position d’attente et d’ouverture à tous les possibles, tout en créant un besoin : celui de la nourriture, celui du sens. Les « oiseaux », ces pépites de sens qui circulent dans l’air, le monde symbolique de la pensée, ne supportent pas les cages. Ils sont rétifs aux barreaux rectilignes et froids qui forment l’armature de toutes nos grilles de lectures. C’est pourquoi évoquer des règles pour attraper les pépites de sens qui circulent ici et là dans l’inconscient du langage et dans la forme géométrique des lettres ne devrait se faire qu’avec parcimonie et prudence. En d’autres termes, ici plus qu’ailleurs, il s’agit d’éviter les systèmes car ce langage est celui de la vie, une vie rétive à l’enfermement dans des définitions qui ne seraient en réalité que des « finitions », que des tombes annonciatrices de la mort. L’univers du langage ne s’invente pas : il s’explore. Il s’explore dans son immense richesse que ce soit à travers le roman, l’essai, l’écriture automatique, le texte scientifique ou la poésie. La langue des oiseaux représente l’une de ces voix plurielles du langage. Plus peut-être que toute les autres elle se prospecte. Le lecteur se fait orpailleur à la recherche de la pépite qui parlera à son cœur. Nous ne proposons ici que quelques possibilités : chacun en découvrira d’autres parfois plus pertinentes ou formulera les anciennes d’une manière plus explicite. Seule l’expérience aidera à cela. Les lettres ont une histoire et s’écrivent autrement dans d’autres alphabets. En d’autres termes leurs formes et leurs sonorités varient en fonction du temps et de l’espace. Mais cela n’est-il pas aussi signifiant ? Plutôt que de rechercher la forme originelle du « A », par exemple, ne faut-il pas prendre acte de sa modification et considérer que cela marque la manière dont une époque et un peuple interprètent au plus profond de son inconscient l’archétype porté par le « A » des origines ? Il s’agit donc de prendre garde et d’éviter de porter un hypothétique alphabet originel au pinacle des choses désirables et disparues, comme un Adam du monde des lettres, comme un Adam du monde de l’être. Car si la forme originelle n’est plus utilisée c’est qu’elle ne répond plus à un besoin. C’est que le monde du sens a changé et s’est transformé en même temps que la lettre qui cherchait à l’exprimer. Si l’on souhaite retrouver la nature profonde du « A » le mieux serait sans doute de rechercher une synthèse dans la manière dont il s’exprime aujourd’hui dans les différentes langues vivantes en notant, comme ici avec le Français, sa forme et sa sonorité. Ce livre ne sera pas traduit dans trente-six langues ni même dans une seule puisqu’il joue avec les sonorités du Français. Mais rien n’interdit de penser que le génie propre aux autres parlers se prête à un décodage analogue. Peut-être… car le vocabulaire des oiseaux décode la langue « an-glaise » comme un parler des affaires et du monde matériel (la glaise) ; le sans-script » comme une langue sacrée qui est au-delà de toute forme matérielle, fusse-t-elle celle de l’écriture (le script) ; l’ « Al ment » comme la volonté de l’esprit de l’homme (mens) de s’identifier à dieu (Al)… et le « franc s’est » comme une parole de vérité.
[1] Krishna Bhikshu, a chakra at sri Ramanasramam in The Mountain Path (april 1965). Extrait du Petit dictionnaire en langue des oiseaux (Luc Bigé) |
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