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La voie symboliqueL’être humain possède deux hémisphères cérébraux fonctionnellement distincts. Est-ce là un pur hasard où est-ce plus fondamentalement une dualité propre à la nature du réel ? L'hémisphère gauche est « scientifique » : avec lui nous nommons les objets, les mesurons, les pesons et les soupesons. La partie droite préfère quand à elle le global sur le local, la synthèse à l’analyse, l’image au mot. Puisque notre cerveau est, bien plus qu’un outil de compréhension intellectuelle du monde, un produit biologique de l’évolution il semble légitime d’imaginer que la nature se construit et évolue selon deux modalités : la causalité scientifique représentée biologiquement par le fonctionnement de l’hémisphère gauche du cerveau, et un mode d'image représenté par le fonctionnement de l’hémisphère droit du cerveau. N’oublions pas cependant la complémentarité et l’unité des deux hémisphères : chaque objet, chaque situation est à la fois le fruit d’une logique analytique et d’une logique par l’image. Avant de détailler cette étrange « logique par l’image » il convient de revenir un instant sur la méthode scientifique, sa nature et ses limites. N’est objet de science que ce qui est mesurable, quantifiable et répétable. Cela fonctionne très bien lorsqu’il s’agit du trajet d’une pierre lancée en l’air ou du mouvement d’une foule dans une rue. Par contre des choses aussi simple qu’une couleur commencent déjà à poser des difficultés. Certes nous savons caractériser sa longueur d’onde mais nul ne saurait dire pourquoi le rouge est réputé « chaud » alors que le bleu représente une teinte « froide ». C’est, du reste, et nous verrons pourquoi, l’inverse de la réalité physique puisque la longueur d’onde du bleu est plus énergétique que celle du rouge. La science n’examine que la dimension objective et quantitative du réel. Tout ce qui ne se pèse pas échappe à sa pertinence. Certes, l’adrénaline génère de puissantes et impondérables émotions, pourtant ce qui est mesuré ce n’est pas l’émotion elle-même mais le taux de médiateur chimique. Qu’elle différence objective existe-t-il entre un robot qui lève un bras et un être humain effectuant cette même opération ? Une chose fondamentale que nous appelons l’intention. Or qui dit intention dit mise en œuvre d’un sens. Celui-ci ne se voit ni ne se mesure en soi. C’est une perception globale qui, analysée, reste déconfite. Les outils scientifiques ne savent pas faire de différence entre le robot qui lève son bras et l’homme effectuant la même opération : dans les deux cas un influx électrique autorise l’opération. Trop souvent cette incapacité méthodologique à quesionner le sens conduit les chercheurs à prétendre à son inexistence, à assimiler l’homme au robot. Peut-on affirmer l’inexistence du grand vent en cherchant à l’attraper avec un filet à papillons ? Les trois sens du sensAujourd’hui trois hypothèses indémontrées sont candidates pour expliciter la nature du sens, la force de l’intention.
Comment décider entre ces trois lectures d’un sens artificiellement produit par l’homme, d’un sens émergent fruit de l’évolution de l’univers et d’un sens transcendant au dessein peut-être à jamais mystérieux ? Nous l’ignorons. Remarquons qu’ils ne s’excluent pas nécessairement l’un l’autre. Les panneaux de circulation routière (sens conventionnel produit par le cerveau humain) côtoient l’habileté naturelle des oiseaux à faire leur nid (émergence du sens) et la grâce divine (transcendance du sens). Trop souvent l’intelligence de la nature - l’habileté des oiseaux à construire des nids - est réduite à la logique robotique des mutations et de l’adaptation des plus aptes à l’environnement (la sélection naturelle). Pourtant, sans entrer dans une argumentation trop longue, certains exemples de comportements biologiques sont édifiants, et difficilement interprétables, sans admettre des intelligences émergentes qui accélèrent le simple jeu du hasard darwinien. Que penser en effet de ce groupe des Foraminifères – un groupe de Protozoaires – qui présentent d’une espèce à l’autre des inventions analogues, les unes physiologiques et les autres techniques, avec des solutions intermédiaires. Une espèce sécrète une carapace de silice, une autre la fabrique par soudure de paillettes de mica glanées au fond de l’océan, une troisièmetisse une sorte de cote de maille avec des spicules d’éponge. Enfin, quelques individus maçonnent des chausses trappes indépendantes de leur corps, grâce auxquels ils capturent de petits crustacés. Qui sont-ils ces génie capables de telles prouesses ? des humains ? Non, bien sur, seulement des êtres formés d’une seule cellule pesant moins d’un millionième de gramme ! Sur les côtes de la Corse prospère une très grande moule, la Pinna. La pieuvre la convoite mais elle n’a pas une puissance suffisante pour forcer les valves. Alors elle va chercher de petits cailloux qu’elle dispose près de la Pinna puis attend patiemment que celle-ci se mette à bâiller. Aussitôt la moule ouverte la pieuvre place adroitement les cailloux dans la charnière des valves et attaque le pauvre mollusque, lequel essaie sans succès de se refermer. Victorieuse par ruse, la pieuvre dévagine son estomac sur sa victime et la digère. Une fois repue, elle va plus loin : après avoir enlevé les cailloux elle s’installe dans la coquille et referme les valves sur elle à l’aide de ses tentacules. Ainsi la Pinna lui assure bon souper, bon gîte… et bonne cachette pour chasser à l’affût des proies plus mobiles. Il est étrange de constater à quel point les humains occidentaux, imbus de leurs ruses dites intelligentes, ne se différencient guère des autres organismes vivant tout en les considérant comme de pures mécaniques perfectionnées. Cette intelligence de la nature partagée depuis le protozoaire jusqu’à l’homme n’est-il pas un argument en faveur de la thèse de l’émergence du sens ? Or comment explorer le monde de la signification si celui-ci relève des seconde et troisième hypothèses ? La pure mécanique biologique reste insuffisante. Si le monde du sens existe en soi – qu’il soit immanent et/ou transcendant – la logique scientifique est constitutionnellement aveugle… et prétend que ne pas voir cette réalité là est synonyme de son inexistence. Pourtant, si l’homme possède deux hémisphères cérébraux fonctionnellement distinct n’est-ce pas là une indication pour penser que la nature elle-même se construit selon deux logiques différentes ? Par la voie de la causalité scientifique et par la voie symbolique ; par un traitement « cerveau gauche » de l’information et par une perception « cerveau droit » du monde du sens. De ce point de vue les symboles seront une voie d’exploration du monde invisible et impondéral, exactement comme les mathématiques sont une grille de décodage de l’univers matériel. Alors une simple fleur exprimera à la fois un mécanisme biologique et un sens métaphysique (ou l’expression de l’émergence d’une signification présente dans l’univers). La voie symbolique......explore la pressente présence du sens partout dans la nature. Elle ne peut pas être scientifique car la signification ne répond pas aux critères méthodologiques de la science. Alors que faire ? Les mythes et les sociétés traditionnelles ont conservé des éléments de réponse à cette question. Les trois voies de contactLa mythologie grecque conserve en mémoire trois personnages liés à l’acte de connaissance :
Tous dispensent un savoir magique, non rationnel, et pourtant guérisseur. Dans le monde magique l’acte de connaissance est un acte de guérison. Il existe donc trois voies de contact entre le visible et l’invisible, entre la matière et l’information. Chiron : le sens par le symboleChiron (« main ») serait le créateur légendaire des constellations. Il apprit d'Apollon et d’Artémis les arts de la botanique, de la médecine, de la musique et de l'astronomie. Il pouvait prédire l'avenir d'après les étoiles. Il enseigna sa science à Dionysos, Achille, Hercule, Asclépios, Jason, Castor, Pollux, et Orphée qui, tous, devinrent des argonautes. C’est le précepteur des Héros. Une flèche empoisonnée lancée par Hercule le blessa accidentellement. Souffrant d’un blessure incurable, il finit par donner son immortalité à Prométhée. La blessure de Chiron est le fruit d’un « accident », c’est-à-dire d’une injustice.Cette injuste blessure symbolise le fait d’être placé dans une situation extérieure qui semble inacceptable : exil, guerre, persécution raciale, exploitation. La vie semble absurde, elle parait ne plus avoir de sens. Une rage inconsciente (la souffrance incurable) se met en place comme système de défense face à cette injustice. Chiron symbolise la nécessité de renoncer à une vision enfantine d’un monde idéal afin d’accepter la vie dans toute son imperfection là où l’on est. Avec Chiron il s’agit d’apprendre à se servir de sa blessure comme de quelque chose qui nous permet de guérir et d’enseigner. Là où on fut blessé on a gagné le droit de guérir les autres. Par sa connaissance vécue de la douleur, par son expérience, il sait ce qui est juste pour guérir l’autre. Le guérisseur blessé enseigne en se servant de la souffrance et de l’injustice pour reconstruire quelque chose qui fait sens et guérit. Ce qui fait sens ce sera la lecture des signes dans le ciel : l’astrologie. Finalement, avec Chiron, le sentiment d’injustice lié à la conscience de la souffrance et à son absurdité pousse l’homme à interpréter les signes du destin présents dans la nature, à contempler les messages du ciel, à lire dans le foie du mouton, Bref ! à s’ouvrir à autre chose qu’à lui-même en contemplant l’infini. Dionysos : le sens par la transeC’est là la voie chamanique. L’ingestion de plantes psychotropes, le jeune, les épreuves d’endurcissement comme la solitude, la répétition de stimuli acoustiques et visuels provoquent un abaissement du niveau de la conscience objective. Cette atténuation de l’être au monde, cette dissolution de la présence à soi-même, conduit l’apprenti chaman au cœur même de son angoisse, à la lisière de sa propre mort. Là, s’il sait convenablement chevaucher son ivresse, il pénètre dans le monde des esprits, reçoit des informations sur la conduite à tenir, guérit les disfonctionnements physiques et psychiques des membres de sa communauté. Dans cette état où l’être atteint le seuil du chaos il conclut un pacte avec lui. Alors son intention se révèle toute puissance : elle guérit, tue, illumine, brûle parfois, et lui apporte la clairvoyance. Par la transe l’explorateur découvre un monde de synchronicités permanentes au-delà de toute éthique. Sa conscience perçoit avec acuité la nature signifiante des plantes, des animaux et des esprits. Rien n’est plus là « par hasard », chaque chose est comme magiquement à sa place dans une étrange et innommable banalité. Apollon : le sens par le détachementLa voie apollinienne de contact avec le monde du sens procède exactement à l’inverse de la précédente. Au lieu d’entrer dans son chaos intérieur en plongeant dans sa propre labilité le prêtre Apollinien garde toute sa conscience, rien que sa conscience, en en laissant s’évaporer tous les contenus. Par la méditation, l’observation détachées de pensées, des émotions et des sensations, il se désidentifie de ses tuniques de peau jusqu’à ce que la pure lumière de la conscience-connaissance le touche de son aile. Alors, comme la Pythie, il profère des paroles oraculaires, dans un langage symbolique souvent mystérieux aux oreilles des auditeurs. Car cette conscience là ne parle pas la langue descriptive des humains. Son expression se rapproche de la poésie ce mode d’expression le plus chargé de sens et le moins lourd en mots. Ces trois voies de contact avec la présence du sens sont autant de tentatives pour établir consciemment un dialogue avec les intelligences de la nature. Le chercheur plonge, en quelque sorte, dans les trois dimensions de l’espace. Par le haut il rencontre le soleil apollinien d’une pure conscience dégagée des gangues de la matière ; par la descente dans les profondeurs il se laisse chevaucher par des forces signifiantes appelées « esprits » ; par l’horizontalité de la vie quotidienne il observe les signe, autant de clin d’œil d’un sens devenu visible en se densifiant en événements, objets, formes, couleurs et sons. Apollon, Dionysos et Chiron ne sont pas thérapeutes au sens moderne dans la mesure où, en ces époques mythologiques reculées, le concept de développement de la personnalité était vide de sens, mais il procédaient néanmoins à des guérisons en reconnectant l’individu à une harmonie perdue : celle de son lien intelligent avec l’univers. C’est là en réalité la spécificité de l’homme, bien plus que la technique ou le langage qui ne sont que des floraisons des capacités animales. L’homme est l’unique créature de la biosphère qui sait lire et interpréter les signes, qui transforme sa danse en transe ou s’assied sur un zafou pour méditer, immobile et silencieux. L’occident chrétien n’ignorait sans doute pas cela puisque les trois vœux monastiques visaient précisément à expurger l’animal de l’homme afin de l’ouvrir à l’une des ces trois voies de contact. Le vœu d’obéissance freine le puissant et instinctif besoin de liberté des animaux non domestiqués. Il contraint notre pulsion animale à dire « oui » au monde, à accepter totalement ce qui est, jusque dans ses recoins les plus inacceptables et les plus injustes. Le sentiment d’injustice et la perte de sens qu’implique l’obéissance est certes une cruelle ascèse. Mais imagine-t-on un instant les souffrances de Chiron qu’aucune herbe jamais ne soigne ? l’absurdité de la blessure contraint l’homme qui a choisi la voie du Centaure d’accepter l’inacceptable. La contrainte sur sa liberté extérieure a pour finalité de lui apprendre la liberté intérieure. Il n’y a point là de miracle mais la perception intime, profonde, que tout ce qui arrive est fondamentalement juste et à sa place dans l’économie de l’univers. Il réalise alors la profondeur métaphysique des paroles que Voltaire met dans la bouche de Candide : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Le vœu de pauvreté freine le puissant et instinctif besoin de propriété des animaux. Le marquage, la défense et l’élargissement du territoire sont des rappels de la présence de l’animal en l’homme. En ce sens aller sur la Lune n’a rien de spécifiquement humain, il n’y a donc pas de quoi s’en glorifier ! L’engagement à la pauvreté contraint le désir de possession à se retourner de manière à ce que l’être humain puisse accepter d’être possédé par un « esprit », par l’une des nombreuses forces signifiantes qui zèbre l’invisible. Cette difficile ascèse du dénuement jusque dans l’acceptation de la mort est source d’une métanoïa par où la richesse extérieure se transforme en richesse intérieure. Telle est, idéalement, la voie du chaman. Le vœu de chasteté freine le puissant et instinctif besoin de reproduction des animaux. Il contraint la sexualité à se retourner afin que l’ascète accumule suffisamment d’énergie dans son corps et se prépare à être fécondé par l’Esprit sans risquer d’exploser sous l’impact d’une trop grande différence de potentiel qui foudroierait son corps non préparé. Cette grande métamorphose pour la naissance de l’Enfant spirituel en l’homme est accomplie par le méditant qui cultive, seconde après seconde, la divine indifférence, le détachement de toutes ses identifications. Sans cette capacité il serait immédiatement aveuglé par la lumière des intelligences du monde magique. En réalité l’obéissance rend libre, la pauvreté rend riche et la chasteté rend fécond. Toutefois ces outils extraordinairement puissant pour sortir l’homme de la vie animale, s’ils sont appliqués aveuglément sans intention et sans conscience de leur raison d’être génèrent de nombreuses pathologies et, en définitive, augmentent l’asservissement de l’homme de bonne volonté. Beaucoup l’ont, hélas, compris ! Sous prétexte de travail spirituel les religions créent parfois des zombies dépendant, dénués et frustrés. Chiron, Dionysos et Apollon nomment la triple voie symbolique. Ce chemin délicat et plein d’incertitudes n’est autre que le col de l’utérus par où l’homme-animal du passé pourra un jour accomplir sa véritable dimension d’être humain. |
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