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La langue des OiseauxParler et écrire revient à émettre des sons et à dessiner des formes. De tous les vivants, l’être humain est devenu un spécialiste dans ce genre d’exercice. Se souvient-il encore qu’il réitère par là un acte fondateur et sacré ? Ces deux voies d’expression du sens, celles de la géométrie et de la sonorité, s’enracinent très profondément dans la nature de l’univers. La philosophie tantrique enseigne que la Mère Divine se manifeste par la forme et le nom, et qu’il existe de nombreux mondes sur différents plans de conscience, tous contrôlés par le pouvoir de la Mère Divine. L’objectif de la pratique tantrique consiste à s’identifier au Sans Forme et au Sans Nom situé au-delà de tous ces univers : à la suprême Shakti[1]. Comprendre le jeu des noms et des formes est un premier pas pour sortir de la prison de nos identifications et nous ouvrir au pouvoir, à la conscience et à la bénédiction du Suprême. Pourtant nous acceptons habituellement notre langue et notre l’écriture comme une évidence qui s’impose à nous du fait de l’histoire. Elle serait le fruit du passé, d’un mélange imprévisible issu du brassage des peuples, des conquêtes territoriales, des évolutions culturelles et, en ce qui concerne le français, une transformation particulière du latin. De ce point de vue, les lettres, les sonorités et les accents toniques se forment et se déforment au gré des aléas de l’histoire, l’alphabet et le verbe sont des habitudes forgées par un passé ancestral. Voici donc deux thèses sur l’origine du langage. La première affirme que le verbe est créateur d’Histoire, la seconde que le verbe est créé par l’Histoire. L’une flirte avec les traditions religieuses tant orientales qu’occidentales pour qui le « verbe s’est fait chair », l’autre s’appuie sur la pensée scientifique qui voit le monde organisé comme sorti du terreau informe d’une matière en chaos. Evitons tout de suite deux écueils : prendre fait et cause exclusif pour l’une de ces deux visions du monde, et les confondre avec le débat actuel autour du créationnisme et du darwinisme. La langue des oiseaux, définitionLa « langue des oiseaux » n’est pas nouvelle. Les alchimistes l’utilisaient déjà pour coder leurs textes puis Lacan la redécouvrit en « jouant » avec le langage. On se souvient des intitulés restés célèbres de deux de ses conférences : Les Non Dupes Errent (pour « les noms du père ») et Le Fond de l’Air est Frais (pour « le fond de l’ère effraie »). Dans « Encore » le psychanalyste dévoile également le sens profond de l’interdit[2] : « Il y a du rapport d’être qui ne peut pas se savoir. C’est lui dont, dans mon enseignement, j’interroge la structure, en tant que ce savoir – je viens de le dire – impossible est par là interdit. C’est ici que je joue de l’équivoque – ce savoir impossible est censuré, défendu, mais il ne l’est pas si vous écrivez convenablement l’inter-dit, il est dit entre les mots, entre les lignes. Il s’agit de dénoncer à quel sorte de réel il nous permet l’accès. Il s’agit de montrer où va sa mise en forme, ce métalangage qui n’est pas et que je fais ex-sister. Sur ce qui ne peut être démontré quelque chose pourtant peut être dit de vrai ». C’est précisément ce savoir « inter-dit » qu’explore la langue des oiseaux. Un savoir indémontrable au sens scientifique du terme mais qui, pourtant, est lourd de conséquences. Restons encore un instant sur l’ « interdit ». Il s’agit de ce qui se tient silencieusement « entre les dits » et, d’une manière plus métaphysique, de ce qui est « entre la déité (inter - D.I.T.) ». L’inaccessible, pour nous les hommes, c’est bien sur tout ce qui n’a pas encore été verbalisé, tout ce qui est resté dans les limbes sans définition, même très imprécise. Tout ce qui n’est pas formulé nous est interdit. N’oublions pas que formuler un interdit c’est déjà dire quelque chose et par conséquent sortir de l’inter-dit. Le véritable interdit, c’est l’inimaginé et le non verbalisé, là où les mots sont absents. Et pour celui qui a la foi il s’agit de tout ce qui n’est pas dieu. Mais c’est là seulement une question d’éclairage puisque la déité est « d i t », dieu est très précisément le verbe. Ce savoir n’est « défendu » que par ce qu’il est « d’E fendu », il « fendille ce qui vient du E », c’est-à-dire les constructions mentales élaborées par l’ego, puisque c’est là le sens symbolique de cette lettre dans notre alphabet. En effet, la ligne verticale (I) du E relie les trois plans de l’être symbolisés par ses trois lignes horizontales : le physique, le sensible et l’intelligible. « E » symbolise l’affirmation pleine et entière de la personnalité, encore que celle-ci passe parfois par des phases d’hésitation (heu… !) et aie besoin de la confirmation de ses compagnons pour prendre des décisions que de toutes manières elle aurait prise ! Entrer dans la langue des oiseaux n’est pas jouer avec les mots, c’est accueillir dans sa conscience le jeu divin de la pluralité des sens qui cherchent sans cesse à prendre forme dans l’histoire, la psychologie humaine, la nature et, en cas d’échec ou de résistance, dans nos maladies. Chacun sait que la « mal à die » est « un mal à dieu (d.i.e.) », une souffrance corporelle et/ou psychique qui signe l’inaccomplissement de la joie du cœur. Le corps « sait » naturellement cette langue des oiseaux. C’est ce qu’ont bien compris les praticiens du décodage biologique. En plus du sens symbolique de la cause organique de la pathologie, le nom de la maladie révèle sa nature. Ainsi la « surdité » signifie-t-elle « je n’entends plus par pur orgueil ». Qui suis-je en effet pour être au-dessus (sur) de dieu (D.I.T. déïté) ? Ou encore : « je n’entends plus parce que j’ai le sentiment d’avoir déjà tout dit (sur-dit) mille fois, j’en ai marre de me répéter et de ne pas être compris ». Quand à la lecture biologique elle décode « je suis malentendant car il y a quelque chose que je veux ou ne peux pas entendre ». Voyons maintenant la « sclérose ». Il s’agit littéralement d’une injonction à aller de l’avant : « Est-ce clair ? ose ! » par « S clér ose »… sans jamais plus se laisser enfermer dans un système familial, moral ou mental (le S initial) ». Tout cela est en réalité très perturbant. Lors de l’écriture du petit dictionnaire en langue des oiseaux [3]je me sentais parfois sur le fil du rasoir entre folie et raison. L’irrationalité de ce savoir « d’E-fendu » et la multiplicité de significations possibles arrivant comme cela, par flashs, sont profondément déstabilisantes. Cela donne l’impression de naviguer sans repères dans un océan de sens dont la houle parfois emporte et donne le tournis. Car les quelques exemples proposés plus haut ne font pas figure d’exceptions. La langue française contient un métalangage qui évoque directement l’intelligence de la nature. L’intelligence du corps qui « parle » du sens de sa maladie et de ses organes, l’intelligence de notre prénom qui signe (partiellement) notre identité, l’intelligence de mots aussi banaux que « interdit » où « âme », qui se décode « a-me », sans « moi », « sans ego » et aussi : « la force créatrice (A) de l’amour (M, « aime ») diffuse dans la totalité de la personne (E) ». Les deux significations émanent du même mot. Diffuser l’amour dans toutes les directions implique un effacement du moi. Cela n’est pas nouveau. Mais il est remarquable de le découvrir d’une manière aussi simple et synthétique dans ce mot forgé par la langue française. Nous ignorons à vrai dire si les autres parlers - Anglais, Allemand ou Italien par exemple - arborent les mêmes caractéristiques. Au fait, pourquoi la « langue des oiseaux » ? Cette expression fut apparemment forgée par les alchimistes dans le but de protéger et de transmettre tout à la fois les secrets du Grand Œuvre. Les oiseaux sont des organismes biologiques qui se déplacent dans l’air. Ce sont, symboliquement, des formes pensées qui naviguent dans l’univers des idées (l’air). Ils représentent donc le monde du sens en mouvement et leur vol était, du reste, utilisé par les anciens Grecs comme un moyen de divination. De cette antique pratique, il nous reste encore l’expression « un oiseau de mauvais augure ». D’une manière plus imagée, ces volatils sont la métaphore des anges. Encore appelée « langue des anges », la langue des oiseaux nous parle du monde du sens et, littéralement, du dit de la déité. Quelles sont les conséquences philosophiques de cette langue des anges ?Si les mots nous parlent autant que nous les parlons cela signifie que le langage à deux sources : une origine historique forgée dans le grand creuset de l’histoire des hommes, et une « cause » transcendantale. Par elle le monde du sens fait pression, en quelque sorte, sur le choix des lettres et des sonorités afin que le mot ne reste pas une simple convention, mais soit un symbole porteur de sens. C’est ainsi et seulement ainsi que « trans-paraît » derrière ce qui paraît la « vérité » du mot, la « vers I T » du mot, « vers » la mise en terre (T) de la transcendance (I). Cette force transcendantale n’est pas un concept intellectuel. Elle a suffisamment de pouvoir pour structurer la langue, faire parler un corps souffrant… et suggérer aux publicitaires quelques inventions commerciales. Qui n’a jamais croisé un hôtel dont l’enseigne lumineuse affiche « Au Lion d’Or »… pour nous dire que, ici, « au lit on dort » ? Et qui se souvient encore de cette publicité affichée lors du lancement de la cinquième chaîne de télévision : « - Eduquons ! – Mais c’est une insulte ! » ? Effectivement, « eh ! du con ! » est bien une insulte. L’œuvre alchimique consiste précisément à marier ces deux causes qui produisent notre réalité quotidienne - le monde de l’Esprit et celui de la matière - afin d’accélérer l’évolution des règnes végétaux (spagyrie) et minéraux ; afin, finalement, de rétablir l’unité entre le visible et l’invisible. Nous sommes loin du débat aujourd’hui réanimé entre les tenants du darwinisme et les adeptes du créationnisme. Les premiers pensent que les êtres vivants sont le fruit du hasard et de la sélection imposée par l’environnement. Les seconds s’appuient sur la Bible pour dire que la volonté et l’intelligence du divin ont créé et créent encore notre univers physique et biologique. Nous proposons une troisième voie qui récuse à la fois le hasard et le dessin intelligent[4]. Tout se passe en effet comme si une pression de sens sans intention infiltrait les mots, la matière biologique et l’histoire pour manifester sa propre nature. Tout se passe comme si l’évolution était le produit raffiné d’un grand jeu entre le visible et l’invisible, entre une matière inerte et une force joyeuse et intelligente qui cherche à la modeler afin que le monde objectif devienne le miroir toujours de plus en plus clair de la réalité intérieure. [1] Krishna Bhikshu, a chakra at sri Ramanasramam in The Mountain Path (avril 1965). |
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